L’augmentation des salaires en cette période de forte inflation n’est pas un « petit sujet » à traiter à la légère. La forte résistance du patronat en la matière est profondément idéologique. Si nous n’obtenons pas une augmentation qui soit à minima à hauteur de l’inflation réelle dès maintenant, le décrochage des salaires par rapport au coût de la vie sera tel qu’il sera impossible à résorber dans le temps. Pire, il s’aggravera si l’on continue d’accepter les termes de négociations imposés unilatéralement par l’UMC. Or, ce décrochage des salaires constituerait un palier d’accélération d’un processus déjà à l’œuvre depuis longtemps : la paupérisation des classes moyennes.

     La disparition des classes moyennes souhaitée par les élites financières s’inscrit dans un projet plus vaste de réorganisation de la société sur le modèle de ce qu’elle était au XIXe siècle. C’est-à-dire, concrètement, une société qui s’articulait autour de deux grandes classes sociales, les riches et les pauvres, les dominants et les dominés, où des rentiers représentants 10 à 20 % de la population vivaient grassement et oisivement au détriment de tous les autres. Aussi, il est important de se mobiliser fortement sur le sujet, car l’issue de ce conflit pourrait bien se révéler décisive pour l’avenir, dans un sens comme dans l’autre.

     Nos revendications en matière d’augmentation de salaire ne sont pas que légitimes, elles sont aussi économiquement réfléchies, réalistes et relativement modestes compte tenu des résultats de la branche Champagne. Car la situation économique particulière du Champagne n’est certainement pas à confondre avec une prétendue situation économique globale présentée à longueur de journaux comme fatalement mauvaise et dont l’horizon indépassable serait un appauvrissement généralisé des travailleurs. En réalité, à l’image du monde, le Champagne n’a jamais produit autant de richesses qu’aujourd’hui, richesses qui n’ont jamais été aussi concentrées.

     En réponse à Monsieur Letter qui considère que nous n’aurions pas d’arguments pour étayer nos revendications, voici quelques observations d’ordre économique sur lesquelles nous nous appuyons :

     À propos de l’évolution des salaires et des négociations :

     Entre 2009 et 2021, les salaires suivant les augmentations de l’UMC augmentent de 14,79 % , alors que sur la même période, le chiffre d’affaires du Champagne augmente, lui, de 48,57 %. Le CA du Champagne a donc augmenté 3,28 fois plus que les salaires.

     L’UMC renvoie systématiquement les organisations syndicales à un taux moyen que personne en France n’utilise. Pour exemple, lors des N.A.O. 2021, alors que la France entière se référait à un taux d’inflation de 2,8 %, l’UMC se référait à un taux moyen de 1,6 %. Même le MEDEF, qui n’est pourtant pas en reste lorsqu’il s’agit de verser dans la provocation antisociale, n’a pas osé.

     En renvoyant systématiquement les organisations syndicales aux indices de prix de l’INSEE, et en occultant les résultats du Champagne, L’UMC cantonne les augmentations de salaires à un stricte maintien du pouvoir d’achat, et encore ! Au vu de l’indice choisi par l’UMC et compte tenu du fait que l’inflation est mathématiquement inférieure à l’augmentation réelle du « coût de la vie », les N.A.O. paritaires se traduisent par une dégradation du pouvoir d’achat. Rappelons que pour le commun des salariés le « concept » d’augmentation de salaire est naturellement associé à l’idée d’amélioration des conditions de vie.

      A propos de la hausse des prix et de la spirale « inflation-salaire » :

     Les Maisons de Champagne ont augmenté leurs prix pour faire face à l’inflation ! Oui, mais le principal problème du Champagne est de devoir répondre à une demande bien supérieure à ce que les maisons sont en capacité de produire, ce qui les aurait conduites de toute façon, inflation ou non, à augmenter leurs tarifs.

     Le Champagne est donc avant tout « victime » de son succès, on admettra volontiers qu’il y a pire comme situation. Ainsi, l’augmentation des prix a donc un double intérêt : contenir une demande sans cesse croissante et maîtriser les flux de vente, et en même temps absorber les surcoûts dus à l’inflation.

     Quant à l’argument qui consiste à dire qu’une augmentation des salaires entraînerait mécaniquement une nouvelle augmentation des prix, nous répondons : non pas forcément. Les Maisons de Champagne dégagent des marges assez importantes. Elles sont tout à fait en mesure d’absorber une augmentation de salaire même importante, sans en impacter forcément leur prix, mais simplement en la faisant peser sur les marges. Il reste que le choix de l’utilisation de ces marges est avant tout un choix idéologique qui se résume à vouloir , ou non, redistribuer sous forme de salaire une partie des richesses créées.

     Rappelons que l’idéologie néolibérale dominante, à laquelle le patronat champenois adhère sans équivoque, repose sur un certain nombre de fables, dont la théorie de « la main invisible » d’Adam Smith, remise au goût du jour sous l’appellation « théorie du ruissellement » ou encore théorie des « premiers de cordée ». C’est précisément de ce « ruissellement » dont il s’agit lorsque l’on revendique une revalorisation des salaires. Or, il semblerait que le patronat soit finalement farouchement opposé à ce « ruissellement » qu’il a pourtant si souvent invoqué, en chœur avec le pouvoir en place, pour justifier les accumulations de fortunes.

     D’autre part, contrairement à ce que les discours actuels laissent entendre, l’inflation n’a pas que des effets négatifs pour les entreprises. Elle leur permet en effet de se désendetter plus rapidement. Ce mécanisme économique a été expliqué par John Maynard Keynes : en cas d’inflation, les entreprises augmentent leurs prix de vente pour compenser l’augmentation des coûts de production ce qui mécaniquement fait augmenter leur chiffre d’affaires. Or, les emprunts sont contractés à remboursements constants. Il en résulte une diminution du rapport remboursements d’emprunt/chiffre d’affaires. Pour les entreprises, la baisse du ratio d’endettement constitue une amélioration, un assainissement des actifs. Or un assainissement, voire une augmentation des actifs se traduit concrètement par une augmentation de la valeur des titres (actions, parts sociales…). Une amélioration des actifs et l’augmentation du chiffre d’affaires rendent également l’entreprise plus attractive pour d’éventuels « investisseurs » (rentiers), ce qui fait également augmenter la valeur spéculative des actions. Si cette double augmentation de la valeur des actions ne constitue pas un revenu en tant que tel pour les actionnaires, elle constitue néanmoins une augmentation de la valeur du capital et donc un enrichissement personnel qui, de surcroît, échappe totalement à l’impôt. Ajoutons à cela que l’augmentation du chiffre d’affaires conduira naturellement les actionnaires à exiger plus de dividendes. Les actionnaires seront donc une fois encore les doubles gagnants de cette situation économique particulière.

     Les salariés, quant à eux, devraient se résigner à être les doubles perdants en subissant une inflation importante sans augmentation de salaire et devraient se consoler avec des primes PPV accessoirement défiscalisées et surtout désocialisées. D’ailleurs, Monsieur Letter reproche à l’Intersyndicat CGT du Champagne de ne pas évoquer dans sa communication les primes PPV qui seront versées dans certaines Maisons. Effectivement, nous n’en parlons pas puisque nous, nous parlons salaire. Monsieur Letter, et à travers lui, l’UMC et l’ensemble du patronat qu’il représente feindraient-ils d’ignorer le cadre légal de ces fameuses primes PPV qui stipule qu’en aucun cas elles n’ont vocation à se substituer à du salaire, que leurs discussions ne doivent pas interférer dans les négociations salariales et qu’elles doivent se négocier indépendamment des N.A.O. ?

     Mais puisque Monsieur Letter tient à ce que la CGT en parle, parlons-en. Rappelons d’abord, et pour faire court, que ces primes peuvent s’élever jusqu’à 6 000 euros. Les Maisons, pour celles qui la verseront, se cantonnent toutes à un montant de 1500 Euros maximum. Ce montant n’a pas été négocié avec les organisations syndicales, mais fixé unilatéralement par les directions des Maisons. La plupart des Maisons concernées ont annoncé leurs intentions de verser ces primes à peu près au même moment dans une sorte de concorde semble-t-il, après que l’Intersyndicat CGT du Champagne ait évoqué pour la première fois des renégociations salariales pour faire face à l’inflation. Si le versement de cette prime est somme toute une bonne chose, il semblerait qu’elle ait été dévoyée de sa vocation première, à savoir une vocation sociale pour soutenir le pouvoir d’achat des salariés, à la faveur d’une stratégie visant à faire avorter des revendications salariales.

     Finalement, le patronat du champagne ne fait qu’appliquer une recommandation de Bruno Lemaire (ici), qui consiste à détourner une mesure prétendument sociale (prime PPV) pour en faire un substitut de salaire, ce qui confirme unanimement la détermination du patronat et du gouvernement à ne pas augmenter les salaires. Reste à savoir qui donne les directives à qui ? Qui est l’œuf ? Qui est la poule ?

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