Temps de lecture : 5 min
Les membres du Conseil, nommés par le pouvoir politique et majoritairement issus des rangs de la droite, pourraient toutefois, sous certaines conditions, offrir une porte de sortie honorable à l’exécutif.
Note de l’Intersyndicat :
Emanuel Macron et le gouvernement Borne seront-ils désavoués par leurs pairs ?
A la lecture de cet article, nous avons toutes les raisons d’en douter…
Alors, pas d’autre choix : tous en grève le jeudi 06 avril prochain.
On lâche rien !…
Dans le conflit des retraites, ce ne sont plus ni le gouvernement ni les syndicats qui fixent le tempo, mais les neuf membres du Conseil constitutionnel. Saisis par trois recours, celui de la Première ministre et deux autres de parlementaires d’opposition, l’institution de la rue Montpensier vient d’annoncer que la décision sera rendue le vendredi 14 avril.
Comme les « sages » ont le pouvoir de censurer, c’est-à-dire de déclarer nulle et sans effet, une loi en toute ou partie, certains voient, ou espèrent, qu’il offrira « une porte de sortie » aux protagonistes du conflit. C’est donner beaucoup (trop ?) de crédit à l’institution.
D’abord parce que le conseil ne peut se substituer au Parlement. Il ne peut juger que de la conformité à la Constitution de la Ve République. Sur le fond, il aura probablement peu à dire. Par exemple, l’article 7 de la loi qui reporte l’âge de départ à taux plein à 64 ans ne devrait pas être menacé car rien dans la loi fondamentale ne s’y oppose.
En revanche, le conseil regardera de près les procédures que le gouvernement a employées pour parvenir à ses fins. Les conseillers devront juger si la multiplication des recours aux articles permettant d’accélérer, voire de supprimer les débats, ont ou non entaché la nécessaire clarté du débat parlementaire.
Certains constitutionnalistes, dont Dominique Rousseau, estiment que le recours à l’article 47.1 de la Constitution (un projet de réforme des retraites maquillé en projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative) est un « abus de procédure », et devrait logiquement entraîner la censure globale de la loi.
Autre angle d’attaque, plus probable : la censure des « cavaliers législatifs », soit le fait de mettre dans une loi de finances des dispositions qui n’y ont pas leur place. C’est notamment le cas de l’index senior et du CDI senior.
Peu de lois retoquées
Ensuite, le Conseil constitutionnel n’est pas « profilé » pour empêcher le gouvernement de gouverner à sa guise. C’est tout le contraire. A l’origine, lors de sa création en 1958, le conseil était une instance tout à fait secondaire de l’édifice institutionnel.
Sa fonction se limitait essentiellement à proclamer les résultats de l’élection présidentielle, et donner asile (et une rémunération) aux anciens présidents de la République. Ainsi, en 1961, lors de la crise entre le chef de l’Etat et le Parlement au sujet de l’utilisation du référendum, il avait décidé… de ne rien décider !
Le Conseil constitutionnel, selon l’expression de la sociologue Dominique Schnapper qui en fit partie, est « un club de retraités » de la politique et des amis des dirigeants
Même si les réformes constitutionnelles successives ont élargi le champ d’action du conseil avec la possibilité de saisine des parlementaires, puis la création de la question prioritaire de constitutionnalité, cette pusillanimité perdure.
Une dizaine de lois seulement ont été retoquées dans l’histoire du Conseil. Cela tient évidemment à sa composition : les membres sont nommés pour neuf ans, par tiers tous les trois ans, par le chef de l’Etat, par le ou la présidente de l’Assemblée et celui ou celle du Sénat. La « fiche de poste » est inexistante, mis à part le fait d’être appréciée par une de ces trois personnalités, et l’examen de passage par les commissions des lois du Sénat, sans aucune enquête préalable, est une formalité.
Résultat, le collège, selon l’expression de la sociologue Dominique Schnapper qui en fit partie, est « un club de retraités » de la politique et des amis des dirigeants. Aujourd’hui, Laurent Fabius, qui fut Premier ministre de François Mitterrand, préside le conseil, avec à ses côtés Alain Juppé, le Premier ministre célèbre pour avoir échoué à réformer les régimes spéciaux de retraites en 1995, Jacques Mézard, ancien sénateur PRG puis LREM, François Pillet, ex-sénateur LR, et Jacqueline Gourault, ex ministre de la Cohésion des territoires, LREM).
La piste d’une censure partielle
Les autres membres, sans avoir de carrière proprement politique, sont des proches des personnalités qui les ont nommés. Le poids de la droite au Sénat et du centre droit à l’Assemblée et à l’Elysée n’est pas un mystère, et on voit mal comment cet aréopage pourrait créer des problèmes au locataire actuel de l’Elysée.
Car évidemment, loin d’être une issue de secours honorable pour l’exécutif une censure complète représenterait une victoire des oppositions syndicales et politiques à la loi, qui validerait en fait leurs arguments. Ce serait également le cas du Référendum d’initiative partagée.
En revanche, une censure partielle, plus attendue, permettrait à Emmanuel Macron de déclarer que sa loi, amputée de certains articles de « compensation » sur les seniors, le minimum contributif, voire la surcote des mères de famille…, est dénaturée et pourrait être un prétexte acceptable pour demander une deuxième lecture au Parlement, en vertu de l’article 10 de la Constitution.
Comme le gouvernement est maître de l’ordre du jour, cette relecture pourrait être repoussée de quelques semaines, voire mois ou années… Une « pause » conforme aux institutions, en somme, qui ouvrirait la voie à des discussions avec l’intersyndicale, si Emmanuel Macron s’y résout. Le Conseil constitutionnel, à défaut d’être un recours, pourrait devenir un facilitateur…