Il n’y a pas que les mĂ©tiers du vignoble qui Ă©prouvent des pĂ©nuries de main d’œuvre. La filière connexe au champagne y est Ă©galement confrontĂ©e. (© l’Hebdo du Vendredi)

Que ce soit dans les vignes ou dans les entreprises connexes au champagne, les besoins en main-d’Ĺ“uvre sont importants et tous, ou presque, Ă©prouvent des difficultĂ©s Ă  recruter. En cause, la formation, l’attractivitĂ© des mĂ©tiers et sans doute les salaires.

Comme ailleurs en France, la Champagne n’est pas épargnée par les difficultés de recrutement. Et le secteur d’Épernay, où le chômage a toujours été historiquement bas, y est confronté en premier lieu. Sur le bassin sparnacien, qui regroupe près de 80 communes, Pôle emploi a ainsi enregistré, entre avril 2022 et mars 2023, plus de 5 000 offres, soit 25 % de plus que l’année passée et une évolution de 73 % sur deux ans.

Le 11 mai dernier, afin de rĂ©pondre aux besoins de ses membres, le Club des entrepreneurs champenois a organisĂ© une journĂ©e de recrutement au Palais des fĂŞtes d’Épernay. « Ç’a Ă©tĂ© une belle rĂ©ussite, avec 115 offres d’emploi, d’alternance et de stage recensĂ©es pour 350 participants, alors qu’il n’y avait eu que 100 personnes l’annĂ©e dernière », note AurĂ©lie Henry, chargĂ©e de projet Ă  la Maison de l’emploi et des mĂ©tiers d’Épernay, associĂ©e Ă  l’évĂ©nement. « Il y avait une vingtaine d’entreprises et tout le monde est reparti avec des CV », se fĂ©licite Christophe Labruyère, prĂ©sident du Club des entrepreneurs champenois.

Soudeur, mécanicien, technico-commercial, préparateur de commande, informaticien, technicien de maintenance, poste administratif… Les besoins sont presque partout chez ces entreprises connexes au champagne, c’est-à-dire celles qui fournissent consommables, matériels et services nécessaires à la production de raisin et de vin, même si ce sont les postes les moins qualifiés qui souffrent le plus du manque de candidat. « Les métiers de l’industrie véhiculent une image d’Épinal, alors qu’ils ont beaucoup évolué, note la salariée de la Maison de l’emploi et des métiers. Les femmes n’osent pas aller vers ces métiers, qui restent essentiellement masculins. »

« Les métiers manuels ont une mauvaise image, acquiesce Christophe Labruyère. Pourtant, c’est fini Germinal ! Il existe des métiers pénibles, c’est sûr, mais il y a aussi des moyens pour travailler, des horaires à 35 ou 39 heures moins prenants, des perspectives d’évolution de carrière… Il faut redorer l’image de ces métiers et des formations. On a besoin de cols bleus et de cols blancs, sans rivalité, car les deux sont complémentaires. »

L’IMAGE D’ÉPINAL DES MÉTIERS MANUELS

Dans le vignoble, le problème est similaire. Selon l’interprofession, il manquerait un peu plus de 1 000 emplois dans les vignes et dans les caves, sur toute l’appellation Champagne. Tout récemment, le Syndicat général des vignerons (SGV) a révélé, lors de son assemblée générale, que la filière avait éprouvé un manque de personnel à hauteur de 10 % de ses besoins lors de la vendange 2022. « C’est de plus en plus galère de constituer des équipes », confirme Maxime Toubart, président du SGV. Même le palissage, qui nécessite moins de mains-d’œuvre et est plus étalé dans le temps que la vendange, est devenu une période de tension. Selon le patron des vignerons, le vignoble souffre d’un « problème d’attractivité. On valorise sûrement mal les métiers de la vigne et du vin. Il y a pourtant une vraie diversité, selon les saisons. On n’est pas sur un travail manuel répétitif. »

La situation particulière d’Épernay en matière d’emploi jouerait aussi dans ces difficultés de recrutement. En effet, le bassin affiche, depuis des décennies, de meilleurs chiffres en matière de chômage que le reste du département et du pays. Avec 4,7 %, c’est même le taux le plus bas du Grand Est. « Ce taux bas, en dessous de 5 %, génère des tensions, car la main-d’œuvre disponible est moins importante qu’ailleurs », explique la directrice de Pôle emploi, Christelle Marquez.

4,7 % DE CHĂ”MAGE SUR LE BASSIN D’ÉPERNAY

L’intersyndicat CGT des salariés du champagne ne partage pas tout à fait le même constat. Selon son secrétaire général, José Blanco, « beaucoup de gens sont prêts à travailler », comme le prouve l’affluence enregistrée lors des différents événements liés à l’emploi à Épernay. « Mais les salaires et les conditions de travail sont des freins. Certains recruteurs demandent un concours de taille, un certificat phytosanitaire et un diplôme de tractoriste pour un métier payé au Smic… Si les salaires étaient un peu plus élevés, il y aurait moins de difficultés à recruter. »

Alors que les employés des maisons de négoce bénéficient de la généreuse convention collective du champagne, beaucoup de travailleurs du vignoble dépendent de la convention de la production agricole, moins avantageuse. « Le salaire est un sujet de réflexion qui doit être permanent », concède Maxime Toubart. Un récent article sur les augmentations du Smic en 2022 paru dans « La Champagne viticole », le magazine édité par le SGV, conseillait ceci aux vignerons : « Il est important de rappeler qu’un taux horaire attractif permettra d’attirer la main-d’œuvre en cas de poste à pourvoir et que l’évolution du salaire est un moyen de fidélisation du personnel déjà présent dans l’entreprise. » Au moins, le SGV et la CGT sont d’accord sur ce point…

Note de l’Intersyndicat :

Le SGV et la CGT d’accord sur ce point ?… Pas si sûr que ça !

Pourquoi alors, dans le cadre du rapprochement des branches professionnelles, lorsque la Convention des Exploitations Viticoles de la Champagne a fusionnĂ© avec la Convention Collective Nationale de la Production Agricole et CUMA en septembre 2020, le SGV t-il dĂ©crĂ©tĂ© appliquer unilatĂ©ralement, sans aucun accord des organisations syndicales, le barème des salaires de la Convention Collective Nationale de la Production Agricole et CUMA Ă  partir du 1er avril 2021, barème pourtant nettement moins favorable que celui des salaires de la Convention des Exploitations Viticoles de Champagne qui prĂ©valait jusqu’ alors. Et pourquoi refuse-t-il Ă©galement de nĂ©gocier les salaires au niveau territorial “Champagne”, prĂ©fĂ©rant se contenter des dĂ©cisions prises au niveau national beaucoup moins avantageuses pour les salariĂ©s des exploitations viticoles locales ?

Paradoxale, n’est-ce pas, la réponse du président du SGV Maxime Toubart ?

La main d’Ĺ“uvre Ă©trangère Ă  la rescousse

Le président du Club des entrepreneurs champenois en est persuadé : « Dans quelques années, la France sera contrainte à de l’immigration construite pour certains métiers. » Et cela ne pose pas de problème particulier à Christophe Labruyère, quand bien même le sujet est politiquement inflammable.

Dans le vignoble, le recours Ă  la main d’Ĺ“uvre Ă©trangère est dĂ©jĂ  largement rĂ©pandu, notamment pendant la rĂ©colte : un tiers des vendangeurs seraient des Ă©trangers. « La solution du manque de main d’œuvre a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© trouvĂ©e : beaucoup de vignerons font appel Ă  des prestataires qui ont sous la main un vivier important de travailleurs europĂ©ens, ce qui explique pourquoi, chaque annĂ©e, malgrĂ© les difficultĂ©s, la vendange se fait », explique Maxime Toubart, prĂ©sident du Syndicat gĂ©nĂ©ral des vignerons. Le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’intersyndicat CGT du champagne reste circonspect : « Ce qui est Ă©trange, c’est que ces prestataires arrivent Ă  recruter des travailleurs dĂ©tachĂ©s ou Ă©trangers alors que selon la loi française, l’employeur doit assurer le transport, le logement, la nourriture et la rĂ©munĂ©ration au minimum salarial français et payer ses charges en France.

Je vous laisse faire le calcul, par rapport à un travailleur local… »

1 000 offres Ă  Reims

Le Village des recruteurs fait Ă©tape une nouvelle fois Ă  Reims, le jeudi 25 mai. Cet Ă©vĂ©nement rassemblera une soixantaine d’entreprises et des centres de formation, prĂ©sents pour rencontrer et Ă©changer avec les candidats. Sur l’esplanade de la Porte de Mars, de 9 h Ă  17 h, les candidats pourront y retrouver environ 1 000 offres en CDI, CDD, alternance, stage et intĂ©rim et plus de 300 offres de formation. Infos : levillagedesrecruteurs.fr