Dans un billet du Club de Mediapart, intitulé : le plan Macron contre l’abrogation des 64 ans, sa faisabilité et la Vème République, François Malaussena, conseiller politique à l’Assemblée nationale, détaille le plan que compteraient mettre en œuvre les députés du groupe Renaissance (nouveau nom de La République En Marche) pour éviter d’aller au vote sur la proposition de loi abrogeant le recul de deux ans de l’âge légal de départ à la retraite.

En un mot, leur plan « machiavélique » est le suivant :

  • Pendant l’examen en commission, les députés Renaissance, Modem, Horizons et LR réussiraient à faire adopter un amendement supprimant l’article 1, qui est l’article d’abrogation du recul de l’âge légal à 64 ans.
  • Puis, lors de l’examen en séance, les oppositions déposeront un amendement pour rétablir cet article. La présidente (macronistes) de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet (et non Eric Coquerel, président (insoumis) de la commission des finances), aurait alors à juger de sa recevabilité financière, c’est à dire juger si l’amendement crée ou agrandit une dépense pour l’Etat (dans le vocabulaire parlementaire, une « charge financière »)
  • Elle utiliserait donc ce pouvoir pour déclarer que l’amendement crée bien une charge financière, et donc qu’il est irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution, qui dispose « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique. » (un fil sur le sujet si vous voulez en savoir plus)
  • L’amendement ne serait donc pas appelé en discussion en séance, pas examiné et surtout, il n’y aurait pas de vote permettant de montrer la vraie position de l’Assemblée nationale sur la réforme des retraites.

Les porte-étendards de la Macronie estiment, et surtout essaient de vendre médiatiquement, que ce plan respecterait les règles, les usages, bref, que ce ne serait pas problématique, habitués comme ils sont à penser que « si c’est constitutionnel, c’est légitime ».

Le souci, c’est que c’est faux : ce plan ne respecterait pas les règles, il violerait même l’un des standards les plus fermement établis de la procédure parlementaire. Pourquoi ? En un mot : parce que l’amendement est en réalité recevable. Pour le détail, il faut s’attarder sur le fonctionnement de la procédure d’examen de la recevabilité.

Un amendement de rétablissement ne crée pas de charge

Lorsqu’il est question de juger si un amendement crée une charge financière, l’autorité qui juge, qu’il s’agisse du président de la commission des finances ou de la présidente de l’Assemblée nationale, doit toujours se demander “une charge par rapport à quoi ?”, c’est ce qu’on appelle la “base de référence”. En effet : est-ce que l’amendement dépense de l’argent, par rapport à :

  • La loi actuellement en vigueur ?
  • Ce qui est proposé par le texte initialement déposé ?
  • Ce qui est proposé par le texte, tel que modifié par la commission ?
  • Ce qui est proposé par un éventuel amendement du gouvernement (qui n’est pas tenu par l’article 40 de la Constitution) ?

La réponse est simple : la jurisprudence, constante, est de prendre la base de référence la plus favorable à l’initiative parlementaire. 

Concrètement et en l’occurrence, la base de référence sera ce qui est proposé par le texte initial, à savoir l’abrogation des 64 ans. Donc, si elle est supprimée en commission, proposer de rétablir l’abrogation en séance ne crée pas de charge et ne devrait pas être irrecevable.

Mais lorsque l’amendement de rétablissement sera déposé, et que sa recevabilité sera contestée, qui jugera ? La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet. Selon quelles règles ? En principe, tout ce qui a été énoncé ci-dessus, et si elle suit les règles, elle devra déclarer l’amendement recevable.

Mais si elle décide de violer ces règles, en déclarant l’amendement irrecevable ? Eh bien il n’existe aucun moyen de contester sa décision.

Et nous disons bien aucun moyen : certains pourraient peut-être penser au Conseil constitutionnel, mais à notre connaissance, il n’existe nulle part de dispositions prévoyant sa consultation dans un tel cas de figure.

Autrement dit, en droit, l’amendement de rétablissement est recevable… mais en pratique, Yaël Braun-Pivet peut décider de n’en avoir rien à faire et le déclarer irrecevable quand même, en toute impunité, et sans que personne, nous disons bien personne, ne puisse rien faire.

Et, c’est vous dires combien c’est absolument dément qu’il n’y ait aucune autorité externe, se voulant à peu près impartiale, pour faire respecter le règlement (sur ce point spécifique, comme en général)… Cela démontre concrètement que le règlement ne vaut que tant que la majorité de l’Assemblée veut bien le respecter, mais que si elle en a envie, elle peut l’ignorer et faire ce qu’elle veut.

Mais alors que se passera t-il le jour où on aura une majorité (RN ?…) qui se moquerait complètement de respecter les règles républicaines ? On risquerait d’être sacrément mal barrés…

L’adage « la fin justifie les moyens » prendrait alors tous son sens !

A la lecture la vidéo ci-dessous, vous allez encore mieux comprendre pourquoi le gouvernement, une fois de plus, manœuvre afin tout mettre en œuvre pour éviter l’abrogation des 64 ans par le parlement.