Plusieurs cas de vendangeurs mal logés et/ou exploités ont surgi cette année encore. (© l’Hebdo du Vendredi)
Plusieurs cas de vendangeurs logés dans des conditions indignes ont encore été recensés en Champagne, cette année. L’interprofession dit plancher sur le sujet. La vendange a-t-elle perdu son côté festif ?
Alors que le livre de la vendange 2023 se referme à peine, l’appellation a vécu l’un des pires chapitres de son histoire récente d’un point de vue humain. Si agronomiquement, l’important rendement a permis, presque partout, de trier et donc de rentrer « une très belle vendange », dixit Maxime Toubart, président du Syndicat général des vignerons, « l’aspect social et humain est une tâche sur ces vendanges ».
Cinq décès vraisemblablement dus aux fortes chaleurs, des vendangeurs hébergés dans des logements indignes, des hommes dormant dehors en attendant un contrat qui ne viendra jamais… À Mourmelon-le-Petit, Vinay ou Cuis, des hébergements irréguliers ont été fermés. À Nesle-le-Repons, une cinquantaine de vendangeurs venus d’Afrique de l’Ouest, pour la plupart sans papiers, étaient privés de couvertures, de nourriture et de contrat de travail. Comme dans les autres cas, l’arrêté préfectoral faisait état d’installations électriques vétustes et dangereuses, de la non-conformité des pièces de sommeil ou encore « de l’état répugnant des toilettes, sanitaires et lieux communs . On est tous responsables de ce qu’il se passe. Il faut réfléchir à ne plus jamais revoir ça », exhorte Maxime Toubart.
« On ne refermera pas la boite pendant onze mois. On doit trouver des solutions rapides pour enrayer ce qu’il s’est passé. »
DES NORMES D’HÉBERGEMENT « RIDICULES »
Le sujet n’est pas nouveau, mais il est devenu plus visible. S’est-il aggravé ? Difficile à dire… Selon certains observateurs, la vendange n’est plus toujours le moment convivial qu’elle était auparavant. « Même si c’était dur, c’était une période festive », se souvient James Darsonville, œnologue-conseil en Champagne pendant plus de quatre décennies, aujourd’hui à la retraite.
Il y avait beaucoup de gens du Nord qui se liaient facilement. Aujourd’hui, la barrière de la langue et des coutumes rend parfois les choses plus difficiles. Surtout, il y avait moins de problèmes, car les vendangeurs étaient logés chez les vignerons. Tous les témoins interrogés évoquent ainsi ce grand changement d’habitude. Et de pointer du doigt les normes devenues plus protectrices envers les saisonniers, mais aussi plus contraignantes pour les employeurs. « Des gens voulaient très bien faire, mais ont imposé des choses impossibles à gérer, dénonce James Darsonville. Certains vignerons ont baissé les bras et font appel à des gens qui leur livrent le raisin clé en main. »
Ce n’est pas le cas de Christine Sevillano. Présidente de la fédération des Vignerons indépendants de la Champagne, la vigneronne de Vincelles continue de loger une vingtaine de vendangeurs chaque année. « Je fais appel à des habitués et à des anciens qui me recommandent des gens intéressés et sérieux. Ce sont mes ambassadeurs. » Elle emploie aussi bien des Français que des étrangers, telle cette Polonaise qui réside dans l’Hexagone et qui a fait venir sa famille pour la récolte. Ses équipes sont logées dans un lieu dédié, un corps de ferme et une ancienne maison transformés pour l’occasion. Avec douches, lavabos, réfectoire, cuisine semi-professionnelle… « Ça coûte de l’argent pour un bâtiment qu’on utilise que deux semaines par an, mais c’est le prix à payer pour un recrutement un peu plus facile et la garantie d’un véritable esprit d’équipe », estime la vigneronne
Mais Christine Sevillano sait qu’elle est presque une exception dans le vignoble. « Les règles sont devenues de plus en plus strictes, voire ridicules, dénonce-t-elle. On demande 9 m² par vendangeur, ce qu’on n’a même pas dans un petit hôtel, et on interdit les lits superposés, alors que ma fille va passer tout son internat au lycée dans un lit superposé ! » Cette année, la profession a obtenu ce qu’elle réclamait depuis longtemps : une dérogation collective allégeant les normes d’hébergement. Par exemple, il est désormais possible de loger dix travailleurs au maximum par chambre, au lieu de six, et la surface minimum par occupant est passée de 9 m² à 4,5 m². Il convient de fournir un lavabo pour six personnes (au lieu de trois) et une douche et un WC pour huit personnes au lieu de six). Mais cela n’a pas suffi à stopper les pratiques illégales.
RESPONSABILISER LES DONNEURS D’ORDRES
Bien souvent, les personnes exploitées et/ou mal-logées le sont par des intermédiaires qui voient le jour exclusivement au moment des vendanges et n’ont pas grand-chose à voir avec les nombreux prestataires viticoles qui travaillent à l’année dans le vignoble. « Ce sont des sociétés qui sont créées 15 jours avant les vendanges et qui disparaissent aussitôt. Elles exploitent la misère humaine », déplore Philippe Cothenet, secrétaire général adjoint de l’intersyndicat CGT Champagne. « Des maisons et des vignerons confient la vendange à des sous-traitants, qui délèguent à leur tour à des sociétés peu scrupuleuses. C’est aux donneurs d’ordres, comme le prévoit le Code du travail, de vérifier les conditions d’hébergement et de travail. Car il y a aussi eu des morts dans les vignes. »
Pour éviter que de telles pratiques se répètent l’an prochain, l’intersyndicat CGT Champagne réclame une table ronde avec tous les intervenants champenois professionnels et une rencontre avec les ministres de l’Agriculture et du Travail. « Il faut être plus vigilant et ferme », insiste Philippe Cothenet. « Il n’y a pas que le problème des prestataires, il faut que tous les acteurs soient responsabilisés et surtout les donneurs d’ordres ». Le coprésident du Comité Champagne, Maxime Toubart, conclut : « Il faut trouver une solution pour couper 35 000 hectares de raisin en très peu de temps et bien accueillir, transporter, loger et nourrir plus de 100 000 saisonniers. Toutes les propositions doivent être mises sur la table ».
Simon Ksiazenicki