Intervention de Sophie Binet à la conférence sociale ce lundi 16 octobre 2023. Crédit photo La CGT.
Bien loin des revendications des centrales syndicales, Élisabeth Borne a fait savoir, lundi 16 octobre, qu’elle allait instaurer un haut conseil des rémunérations et, suite à la demande de la CGT qu’un atelier supplémentaire allait être mis en place, afin de repenser l’index d’égalité professionnelle.
La conférence sociale en est donc restée au stade des effets d’annonce.
Élisabeth Borne, sans grande surprise, a refusé que dans l’immédiat l’État prenne toute mesure pour augmenter le Smic et les salaires. Elle a également fermé la porte à l’indexation des salaires sur l’inflation. Elle a cependant repris la proposition de la CGT, sur le plan de l’égalité femmes-hommes et proposé aux partenaires sociaux de « bâtir un nouvel index ». Selon la 1ère Ministre « L’index d’égalité professionnelle a constitué un outil important pour faire progresser les entreprises, mais il ne doit pas se substituer aux négociations sur le sujet. Il est évidemment perfectible et il demeure des biais »
Déclaration de Sophie Binet à la conférence sociale
Je voudrais d’abord commencer par un mot : Enfin ! Enfin, on parle salaires… Il était temps parce que cela fait des mois que la CGT et les organisations syndicales interpellent sur l’urgence de la situation :
- les salaires ont baissé alors que les prix des produits de première nécessité explosent ;
- la pauvreté est en progression continue depuis 2017, avec 9 millions de pauvres aujourd’hui en France ;
- la moitié des salarié·es du privé gagnent moins de 1,6 smic… c’est-à-dire 2012 euros/mois, montant en dessous duquel on ne peut pas se projeter sur l’avenir.
Derrière ces chiffres, il y a surtout des millions de ménages qui ne peuvent pas épargner, qui ne peuvent pas payer d’activités extra-scolaires à leurs enfants, qui peinent à remplir leur frigo, qui ne peuvent pas partir en vacances…
Alors, après la mobilisation contre la réforme des retraites dont je crains que vous n’ayez toujours pas tiré les leçons, il est essentiel que cette journée soit productive.
La CGT a quelques propositions.
Il faut d’abord se mettre d’accord sur le bon diagnostic, celui de la cause de l’inflation.
Une fois n’est pas coutume, la CGT vous renverra au FMI : l’inflation à laquelle nous sommes confronté·es est :
- durable, on n’y répondra donc pas par des primes ponctuelles, comme vous avez prétendu le faire ;
- principalement liée au niveau des profits. Les marges atteignent 48% dans l’agroalimentaire, quand les prix ont augmenté de près de 20% en 2 ans. Il n’y a donc pas de boucle « prix salaires » mais une boucle « prix profits » !
Il faut donc augmenter les salaires, taxer les profits et baisser les prix des produits de première nécessité :
- parce que les salarié·es ne vivent plus de leur travail ;
- parce que les qualifications sont niées, ce qui pose de graves problèmes d’attractivité, notamment dans nos services publics où il faut aussi augmenter les salaires. Pas question que la journée ne se traduise par « faites ce que je dis mais pas ce que je fais. » ;
- mais, aussi, parce que la dégradation des perspectives économiques est liée à la baisse de la consommation. Augmenter les salaires est donc indispensable pour notre économie !
Ensuite, il faut regarder en face les conséquences de la financiarisation de l’économie.
La part des salaires dans la valeur ajoutée a baissé de près de 9 points de PIB depuis 1982, date de la désindexation des salaires sur les prix, date du décrochage entre salaires et inflation, soit 112 milliards d’euros.
La France est un pays de bas salaires et, dans le même temps, elle est championne d’Europe de la distribution de dividendes et de l’accueil des millionnaires. Cocorico ! Millionnaires dont la fortune a d’ailleurs augmenté de 86% depuis le covid. Il s’agit d’une tendance propre à la France, liée à votre politique et, notamment, à la baisse de la fiscalité pour les plus riches et à la multiplication des aides aux entreprises.
D’ailleurs, l’État n’est même pas en capacité de nous donner le nombre de niches fiscales ! Heureusement, la CGT tient à votre disposition l’étude de l’IRES, qui chiffre à 157 milliards d’euros avant le Covid et, maintenant, probablement au moins 200 milliards d’euros, le montant des aides publiques attribuées chaque année aux entreprises, soit un tiers du budget de l’État.
Cette politique de bas salaires et d’exonérations a-t-elle permis à la France d’être compétitive et d’exporter plus ? La réponse est non. Le déficit commercial se creuse structurellement, les industries lourdes et celles de haute technologie ont été massivement délocalisées. C’est le secteur des services non exposé à la concurrence qui s’est développé. C’est un échec économique, technologique, social et écologique !
On peut donc dire pour résumer que la France est aujourd’hui un paradis de rentiers.
Alors, pour que cette journée soit productive, dans ce contexte d’urgence sociale et économique, nous voulons des actes concrets, contraignants et rapides. Pas question de sortir avec des promesses creuses, des commissions Théodule ou des annonces sans lendemain !
D’abord, il n’est pas question d’aggraver la question des plus précaires avec la réforme France Travail et RSA à laquelle vous devez renoncer.
La première proposition de la CGT est d’augmenter le Smic.
Nous n’avons pas besoin de comité d’experts, si c’est toujours pour dire qu’il ne faut pas de coup de pouce. Le Haut conseil aux rémunérations que vous annoncez dans la presse doit se substituer au comité d’experts, être composé des acteurs et actrices sociaux et d’expert·es proposé·es par chaque partie de façon à retrouver la pluralité qui manque cruellement au comité d’experts du Smic !
Ensuite, il faut renforcer la négociation collective affaiblie par les ordonnances Travail mises en place par Emmanuel Macron.
Le rétablissement de l’indexation des salaires sur les prix, comme cela existe en Belgique ou au Luxembourg, permet à la négociation de se concentrer sur l’essentiel : les déroulements de carrière, la prise en compte des qualifications, de l’investissement ou des gains de productivité, au lieu de passer notre temps à courir après l’augmentation des prix.
40% des branches ne respectent pas la loi et ont des minima en dessous du Smic. Il faut les sanctionner et en les privant d’exonération de cotisations sociales. Nous proposons la mise en place d’un comité national d’évaluation des aides publiques, décliné en régions. Dans l’entreprise, les aides doivent être soumises à un avis conforme des représentants du personnel.
Quatrième point, la question des temps partiels et des contrats courts.
Il faut des mesures contraignantes. Il existe en France un Smic horaire mais toujours pas de Smic mensuel, il y a près de 30% des femmes qui gagnent moins que le Smic mensuel. Il faut mettre fin à une hypocrisie majeure, celle de secteurs entiers qui fonctionnent essentiellement avec des temps partiels utilisés comme outil de flexibilité. Il est nécessaire d’aligner immédiatement le droit des salarié·es à temps partiel sur le droit des salarié·es à temps plein notamment en matière de majoration des heures supplémentaires. Il faut faire un bilan critique de la loi de 2014 qui a permis de trop grandes dérogations et il faut créer un droit opposable pour les salarié·es à temps partiel au passage au temps plein.
De même sur la question des contrats courts, malgré la facilitation des licenciements de CDI suite aux ordonnances travail, la France est toujours championne d’Europe des contrats courts ! Il faut donc moduler les cotisations à la hausse pour les employeurs qui en usent et en abusent sans exception. Il faut donc augmenter la prime de précarité, mesure qui permettra d’augmenter immédiatement le pouvoir d’achat et incitera à recruter en CDI.
Dernier point, sur la question de l’Égalité femmes/hommes, je me félicite que la CGT ait été entendue et qu’un atelier supplémentaire ait été mis en place sur ce « détail » – 25% d’écart de rémunération – qui concerne 50% du salariat, à savoir les femmes.
Maintenant, il va falloir faire preuve d’un peu de courage et sanctionner les entreprises qui ne respectent pas la loi. Cela passe, bien sûr, par une révision de l’index égalité salariale mais cela passe aussi par la transposition de la directive de l’Union Européenne avant l’été !
Cela passe aussi par la revalorisation métiers féminisés, avec des dispositifs contraignants et volontaristes, pour les négociations de classification dans les branches qui n’intègrent jamais ces questions, par une revalorisation des métiers de la fonction publique majoritairement féminisés. Cela passe, enfin, par la lutte contre les violences sexistes et sexuelles en garantissant la ratification de la Convention 190 de l’OIT.
Pour conclure, Madame la Première ministre, vous avez annoncé une nouvelle méthode, en juillet dernier, à Matignon et promis de respecter et transposer les accords. Nous tenons à vous interpeller au sujet de vos déclarations dans la presse sur les caisses de l’Agirc-Arrco. Votre gouvernement s’est, à plusieurs reprises, permis de s’exprimer pour contester l’accord Agirc-Arrco, en menaçant d’utiliser le PLFSS pour ponctionner dans les caisses. Cela pose un problème de fond, avec une double peine pour les salarié·es concerné·es condamné·es à un report de leur âge de départ en retraite et la désindexation du montant de leur pension.
Mais, cela pose aussi un problème de méthode et de loyauté. Il n’est pas question que nous découvrions les choses au détour d’un amendement à 3 heures du matin. La moindre des choses, c’est d’assumer et de nous dire, maintenant, si oui ou non vous allez ponctionner dans les caisses de l’Agirc-Arrco. Je préviens, la CGT sera binaire. Soit vous vous engagez clairement, ici et maintenant, à respecter l’accord Agirc-Arrco, soit, si vous refusez de vous positionner, nous en déduirons que vous voulez ponctionner dans les caisses et nous en tirerons toutes les conséquences !
Madame la première ministre, nous voulons une réponse claire, oui ou non et maintenant !
Télécharger les propositions de la CGT pour la conférence sociale (ICI)
Télécharger le communiqué de presse suite à la conférence sociale (ICI)
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