Mise en place au gré des PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale), adopté à grand coup de 49.3, les exonérations de cotisations sociales appelées « cotisations générales » constituent divers dispositifs soi-disant destinés à favoriser l’embauche de salariés.
Ils ouvrent droit selon les cas à des exonérations de cotisations et/ou au versement d’aides spécifiques.
Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et le crédit d’impôt de taxe sur les salaires (CITS) en faisait partis et ont été supprimés au titre des rémunérations versées à compter du 1er janvier 2019. Ces deux dispositifs sont transformés en baisse pérenne de cotisations sociales.
À ce titre, sont instaurées au 1er janvier 2019 :
- une nouvelle mesure de réduction de 6 points du taux de cotisation patronale d’assurances maladie-maternité-invalidité-décès au titre des rémunérations annuelles ne dépassant pas 2,5 Smic ;
- une réduction générale des cotisations renforcée qui prend en compte les cotisations de retraite complémentaire légalement obligatoires et la contribution patronale d’assurance chômage.
Trappes à bas salaire :
On comprend mieux pourquoi, afin de bénéficier de ces exonérations, les entreprises surveillent les bas salaires, l’œil rivé sur le seuil fatidique de 2,5 fois le montant du SMIC. C’est une des principales raisons pour lesquelles elles refusent d’accorder des augmentations de salaire, et privilégient les primes d’intéressement et autres primes PPV faisant également partie de cet arsenal des rémunérations non-soumises aux cotisations sociales.
Nocives au principe de base du paritarisme de la sécurité sociale, ces mesures orchestrant la baisse du coût du travail en faveur de l’emploi n’ont aucune incidence sur le marché de l’emploi, bien au contraire, au fil des réformes, elles organisent la précarité du travail.
Comme nous le démontre le « Mémo Sécu CGT N° 17 » ci-dessous, les exonérations de cotisations sociales atteignent 82 milliards d’euros en 2022. En grande partie compensées par des transferts, elles entraînent cependant des conséquences sur le budget de la Sécu et sur celui de l’Etat et participent à l’étatisation de la Sécurité sociale.
Pour préserver le financement pérenne des caisses de la Sécu, l’urgence c’est d’augmenter les salaires !
Dès la création de la Sécurité sociale, les cotisations sociales ont été l’objet d’un conflit intense entre l’Etat et le patronat d’un côté, et les organisations syndicales de l’autre.
La CGT militait pour le contrôle du taux de cotisation par la Sécurité sociale. Face à elle, l’Etat et les organisations patronales ont réussi à conserver la main mise sur ce taux et par la même ont construit la fable de la « charge sociale » qui pèserait sur les entreprises et les individus.
La cotisation sociale est donc au cœur de notre modèle social mais représente aujourd’hui moins de 50% des financements du régime général de Sécurité sociale.
Elle doit faire face à la fois à son remplacement par l’impôt, notamment la CSG et la CRDS et à la volonté de l’Etat d’exonérer de plus en plus d’entreprises de son payement.
Les points importants à retenir
- Les exonérations de cotisations sociales atteignent 82 milliards d’euros en 2022
- Les exonérations de cotisations sociales sont en grande partie compensées par des transferts de l’Etat.
- Les exonérations de cotisations sociales entraînent des conséquences sur le budget de la Sécu et sur celui de l’Etat. Elles diminuent les ressources de l’Etat du fait des transferts et limite les marges de manœuvre de la Sécu.
- Les exonérations de cotisations sociales participent à l’étatisation de la Sécurité sociale.
Volume et conséquences des exonérations pour la Sécurité
Les exonérations de cotisations sociales représentaient en 2022 d’après la commission des comptes de la Sécurité sociale (CCSS, rapport mai 2023) un total de :
82 milliards dont :
- 68,6 milliards pour les régimes de base de Sécurité sociale
-
- 13.3 milliards pour les autres Administrations de Sécurité Sociale.
Au-delà du coût élevé que représentent ces exonérations ou de leur inefficacité sur le fond que nous rappelions dans un Mémo Eco très récent, ces exonérations conduisent à transformer la Sécurité sociale, son fonctionnement et son esprit en remettant en cause son financement par la part socialisée des salaires.
C’est en effet grâce à la cotisation sociale c’est-à-dire la part de la valeur qui revient aux travailleurs que la Sécurité sociale tente historiquement de répondre à leurs besoins. Insistons sur le fait que toute baisse de cotisation est une baisse de salaire, de sa part mise en commun pour les travailleur·ses.
Comme ces besoins sociaux doivent être toujours être financés, les gouvernements successifs qui ont porté ces dispositifs d’exonération ont instauré des mécanismes de compensation, tout en faisant diminuer les dépenses entrainant un recul des droits (réforme des retraites, déremboursements divers, austérité à l’hôpital ou en matière de petite enfance).
Cette compensation, absolument nécessaire, a ainsi entrainé la fiscalisation massive du financement de la Sécurité sociale et rompu le lien entre les travailleurs et la Sécurité sociale. Cela participe de l’étatisation de la Sécurité sociale.
Dernier effet et non des moindres, la problématique d’assiette c’est-à-dire de la base de calcul. En effet, la partie du financement de la Sécurité sociale alimentée par la cotisation évolue de manière très différente que la partie nourrie par l’impôt, l’assiette étant très différente. Cette problématique est intimement liée aux exemptions de cotisations sociales, c’est-à-dire à un ensemble de dispositifs qui auraient dû être soumis aux cotisations mais qui ne le sont pas. Ces exemptions feront l’objet d’un prochain mémo Sécu.
En résumé, les exonérations de cotisations entrainent directement ou indirectement des mutations profondes sur le mode de financement de la Sécurité sociale et construisent mécaniquement un déficit de financement.
Des conséquences au-delà de la Sécurité sociale
Les exonérations de cotisations sociales pèsent dans le budget de l’Etat dans la mesure où l’Etat à travers cette politique d’exonération fait le choix de se priver de recettes au nom de sa politique de « baisse du coût du travail en faveur de l’emploi ».
Autrement dit plutôt que d’agir pour les travailleur.ses et leurs emplois, les gouvernements ont fait le choix de faire confiance aux entreprises et cela sans quasiment aucune conditionnalité comme nous l’indiquons dans le Mémo Eco consacré aux exonérations.
Ces exonérations, mêmes compensées, contribuent donc directement à alimenter le discours du gouvernement sur l’état dégradé des finances publiques ou sur la dette publique qui ne cessent de croitre alors même que ces situations sont notamment le fait de sa stratégie inefficace de réduction du « coût du travail ».
Concrètement, les exonérations de cotisations sociales sont quasi intégralement compensées par l’Etat à la Sécurité sociale. Ainsi les exonérations de cotisations sociales pèsent aujourd’hui plus sur les comptes de l’Etat que sur la Sécurité sociale. C’est donc de 82 milliards d’euros dont l’Etat se prive chaque année soit l’équivalent du budget du ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, de 2 fois celui du ministère de la transition écologique, 4 fois le budget du ministère de l’enseignement supérieur, ou de plus de 6 fois celui de la justice.
Mais attention ! La non-compensation pourrait être une arme du gouvernement pour diminuer une nouvelle fois les recettes de la Sécurité sociale et de la protection sociale en général. Récemment, dans les débats autour du financement de l’UNEDIC et de l’AGIRC-ARRCO, le gouvernement a émis plusieurs fois l’hypothèse de ne plus compenser les exonérations de cotisations.
Faut-il voir derrière cette menace une logique hypercentralisatrice du pouvoir en place, cherchant à remettre en cause l’existence de tous les organismes paritaires ? Sans aucun doute…