Quelque part entre Avize et Cramant, communes de la prsetigieuse côtes des blancs en Chamapgne © Terroir Champagne

Dans cet article détonant publié, le 9 mai 2024 dans certains médias anglophones, Caroline Henry, journaliste indépendante, examine de manière très détaillée, le fossé toujours grandissant entre l’image que la Champagne souhaite véhiculer et ses pratiques sociales, environnementales et qualitatives réelles, loin de représenter « la plus haute norme d’excellence ».

L’Intersyndicat CGT du champagne, dans son rôle de lanceur d’alerte, n’a de cesse de dénoncer toutes ces pratiques délétères en termes de qualité et d’image du roi des vins, produit de luxe par excellence.

Malheureusement, les dirigeants de notre filière ne comprennent pas les messages que nous tentons de faire passer, les assimilant à une volonté de nuisance salissant l’image du champagne et de la Champagne.

Fort heureusement, certains journalistes s’emparent de ces sujets scandaleux et les relaient dans la presse internationale. Eux-aussi, par leurs écrits, sont perçus par les dirigeants de la filière comme des détracteurs portant atteinte à l’économie du champagne.

Mais, quand on examine d’un peu plus près toutes ces pratiques sociales, environnementales et qualitatives, qui sont les plus nuisibles à l’économie champenoise ? Ceux qui les dénoncent, ou bien ceux qui les mettent œuvre ?

L’intersyndicat CGT reviendra sur ce sujet dans une vidéo qui sera diffusée prochainement sur notre chaîne YouTube : CGT Champagne TV

L’inexorable croissance du fossé entre le message véhiculé et les pratiques dans le vignoble et les caves

Quelque part entre Cramant et Avize

Parfois, j’ai l’impression de vivre dans un monde parallèle. J’ai reçu mardi ce message du Bureau américain du CIVC : « Le printemps dans un vignoble marque le début du cycle de croissance alors que les vignes en dormance s’éveillent et que les premiers bourgeons apparaissent.

Cela marque également l’approche du Jour de la Terre, le 22 avril. Le Jour de la Terre nous rappelle qu’il faut être attentif à notre environnement et aux effets du changement climatique. »

Un peu plus loin dans l’email reçu du Bureau américain du CIVC, il y avait ce paragraphe : « La culture des vignes et le processus de vinification continuent d’être soumis aux normes les plus élevées d’excellence, avec des spécifications strictes qui ont été développées au fil des générations. Cela garantit que la qualité du Champagne restera constante au fil du temps, indépendamment des facteurs, y compris ceux concernant le changement climatique. »

J’ai dû me pincer en lisant cela, car il est évident que le nouveau directeur du bureau américain du CIVC n’a :

  1. jamais mis les pieds dans les vignobles lors de sa visite ;
  2. aucune idée des réglementations sur la pulvérisation de glyphosate et que la pulvérisation à blanc est en fait illégale, ni aucune idée sur le rapport avec les effets négatifs qu’on dit qu’elle a sur l’environnement et le climat ;
  3. pas saisi l’essence de ce que représente « la plus haute norme d’excellence » dans le vignoble et combien cette idée est déconnectée de la réalité au regard des pratiques de trop nombreux producteurs ;
  4. manifestement pas analysé la signification de « tri à la cuve » ou triage au niveau des cuves nécessaire parce que les vins sont trop moisis pour être mis en bouteille ;
  5. pas vraiment réfléchi à la qualité du champagne ;

Je ne savais pas si je devais transférer certaines des photos prises par drone ce printemps avec quelques commentaires, ou même mettre certaines des merveilleuses photos de caisses de raisins pourris prises dans les centres de pressurage, lors des dernières vendanges ou simplement ignorer ce faux message purement marketing. Au final, j’ai opté pour cette dernière option. Il est évident que je ne fais pas partie du public qu’ils souhaitent idéalement cibler, non seulement parce que je vis ici, mais surtout parce que je refuse d’être embarquée dans ce mythe qui vise à faire croire que le mot champagne est toujours un gage de qualité supérieure. De l’eau a coulé sous les ponts depuis bien longtemps…

Au lieu de cela, j’ai décidé qu’il pourrait être plus ludique d’utiliser ce message pour examiner de plus près le fossé toujours grandissant entre l’image que la Champagne souhaite véhiculer et ses pratiques réelles, loin de représenter « la plus haute norme d’excellence ». De plus, cela ne joue pas en faveur de l’image que renvoient les maisons, donc l’UMC (Union des Maisons de Champagne) et le SGV (Syndicat Général des Vignerons) et le CIVC (Comité Interprofessionnel des Vins de Champagne) : ils sont tous au courant et pleinement conscients des listes croissantes de certaines pratiques contraires à « l’excellence », et préfèrent les ignorer en espérant que la presse ne s’en rendra pas compte non plus.

C’est ahurissant qu’ils s’accrochent à la croyance que le consommateur continuera d’accepter la version qu’on lui a vendue, et qu’il ne remarquera pas que la hausse des prix qu’il constate n’est pas due à une amélioration de la qualité.

Ce n’est plus un secret pour personne, les ventes de champagne continuent de baisser depuis février dernier. Dans l’article d’analyse des ventes que j’ai rédigé pour Wine-Searcher en mars dernier, voici ce que j’écrivais : « Une raison rarement évoquée est que la plupart des champagnes non millésimés n’ont pas un prix justifié par leur qualité. Le prix de la bouteille a augmenté car le prix du raisin et des matières sèches a augmenté mais pas parce que les vignerons ou les maisons ont investi pour améliorer la qualité.

C’est un contraste frappant avec d’autres appellations de vins effervescents qui, elles, ont dû et ont su gagner en qualité. Par conséquent, de nombreux champagnes non millésimés offrent une expérience de dégustation terne ou moyenne ne correspondant pas à leur gamme de prix. » Cet article, on me l’a confirmé plus tard, était loin de faire l’unanimité dans les instances officielles, probablement parce qu’il ne correspond pas au message de « plus haut standard d’excellence » qu’elles souhaitent véhiculer.

Néanmoins, au lieu d’investir dans des messages creux, il serait peut-être plus productif, surtout à long terme, que les dirigeants de la Champagne investissent réellement dans la recherche d’atteinte du plus haut standard d’excellence.

Et, il est primordial d’agir tôt, plutôt que tard, car dans quelques années le marché pourrait être beaucoup moins indulgent concernant l’ignorance flagrante par la région des réglementations écologiques françaises et de la volonté de récolter et de vinifier tous les raisins, indépendamment de leur état sanitaire ou de leur niveau de maturité, sans parler des conditions de travail des vendangeurs et des travailleurs saisonniers qui, dans beaucoup de cas, laissent à désirer.

La forte couverture médiatique de deux affaires d’esclavage moderne lors des dernières vendanges a durement touché la région. Ainsi, les monopoles de l’alcool nordiques – Alko Inc (Finlande), Systembolaget (Suède) et Vinmonopolet (Norvège), ont menacé d’arrêter de vendre du champagne dans leurs magasins à moins qu’un plan d’action de mise en conformité puisse démontrer que les conditions dénoncées lors des vendanges, l’an dernier, sont des cas isolés et ne se répèteront pas. Jusqu’à présent, il y a très peu de concret pour construire un tel plan, mais objectivement on ne s’attend pas à ce que de nouvelles directives soient annoncées avant au moins un mois. Pendant ce temps, cette menace ne peut qu’être mal accueillie par le C.I.V.C (Comité Interprofessionnel des vins de Champagne) qui venait d’investir cette année dans un Bureau du Champagne Nordique pour la promotion de vins de la région.

Sans vouloir être pessimiste sur l’issue de plus de soixante réunions (pour l’instant) sur l’affaire des vendanges, je ne peux que m’interroger sur les motivations de la filière champenoise après avoir entendu les commentaires de Maxime Toubart sur le sujet lors de la conférence de presse de l’assemblée générale du SGV, le mois dernier. Quand on lui a demandé pourquoi le SGV, en signe de bonne volonté, refusait de payer les personnes reconnues exploitées comme esclaves modernes, qui pour mémoire étaient venus pour protester sur le parvis de l’Assemblée Générale du SGV en compagnie de la CGT (Confédération Générale du Travail) et des représentants des monopoles nordiques, il a répondu que « le SGV ne peut pas payer pour tous les producteurs qui ne payent pas leurs travailleurs » et que « s’ils commençait à le faire, il n’y aurait pas de fin au paiement des salaires impayés des travailleurs ».

Même si aucun membre de la presse locale n’a semblé sourciller, ces déclarations montrent clairement que la problématique de l’exploitation des travailleurs est beaucoup plus profond que ce que le CIVC voudrait admettre, et qu’à ce jour, il n’y ait eu aucune volonté d’imposer de changements, ou même de punir les fautifs. Si, la manière dont les vignerons continuent de défier impunément la loi, par exemple en pulvérisant leurs vignobles avec du glyphosate est un indicateur, il est peu probable qu’ils soient disposés à changer leur manière de recruter, de traiter et de payer leurs travailleurs saisonniers.

D’autant plus qu’ils sont bien conscients que la DREETS (Directions Régionales de l’Économie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités), en charge de contrôler les conditions de travail, manque de moyens; au même titre que la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes), censée contrôler si les lois écologiques sont respectées. Lorsque j’ai contacté la DREETS l’année dernière pour réagir sur les conditions de travail déplorables de la vendange, un inspecteur du travail m’a dit que contrairement à ce qui a été dit par le CIVC, Maxime Toubart (président du SGV) et David Chatillon (président de l’UMC), la majorité des producteurs qui emploient des sous-traitants douteux sont bien conscients que quelque chose ne va pas parce qu’ils paient un prix de cueillette souvent un tiers en dessous du prix minimum recommandé. En ayant cela en tête, les déclarations de Maxime Toubart, représentant le SGV, ne voulant pas payer la note des vignerons hors-la-loi deviennent évidentes, mais en même temps, montrent encore que le problème des conditions de travail est peut-être aussi répandu que les infractions au glyphosate de cette année impliquant, une fois de plus, le mépris non dissimulé de trop nombreux viticulteurs pour la loi, avec l’approbation tacite de ce comportement par le SGV, l’UMC et le CIVC.

Cela m’amène au dernier point qu’il faut aborder. Ce n’est pas seulement la loi qui est violée encore et encore, mais aussi les exigences de qualité stipulées dans le cahier des charges qui sont régulièrement bafouées. 2023 a une fois de plus parfaitement illustré que la différence entre ce qui est requis par le cahier des charges et ce qui a été récolté, sont deux choses bien distinctes.

L’année dernière, trop de raisins sont arrivés en dessous du niveau d’alcool minimum, ce qui signifie qu’ils ont été chaptalisés de manière excessive, bien au-delà de ce qui est autorisé dans le cahier des charges. Le rendement agronomique moyen, selon l’équipe technique du CIVC et le réseau matu, était de plus de 20 000 kg/ha, ce qui est au moins 600 kg/ha au-dessus du rendement maximum autorisé pour les vins d’appellation en France. En théorie, cela signifie qu’aucun vin d’appellation ne devrait être produit à partir de vignobles dont le rendement dépasse le maximum de l’appellation au niveau national. Cela implique que la majorité des raisins récoltés l’année dernière auraient dû être distillés car le rendement du vignoble dépassait le maximum de l’appellation, fixé au niveau national. Inutile de dire que cela ne s’est pas produit.

Enfin, tous les contrats de raisins indiquent que tous les raisins récoltés au pressoir doivent être « sains et marchands » ce qui signifie que les raisins immatures et pourris auraient dû être écartés. Le fait qu’au moins 10 % du volume total actuel des vins présente des caractéristiques organoleptiques de champignon frais, illustre clairement que trop de raisins pourris ont été pressés et mis en cuve. Au-delà des 10 % de vin qui devront être remplacés, histoire insalubre qui fera l’objet d’un autre article, il y a probablement jusqu’à un tiers des vins présentant des défauts de moindre importance ne nécessitant pas d’être remplacés. Une bonne partie de ces vins a probablement été mélangée dans la RI (Réserve Individuelle), qui a été augmentée l’année dernière de 8 000 kg/ha à 10 000 kg/ha et pourrait ainsi se retrouver dans des cuvées non millésimées dans les années à venir.
Il n’est désormais de secret pour personne qu’aucun grand vin n’a été conçu à partir de moûts moyens ou de qualité inférieure. Il est peu probable que la qualité de ces bouteilles impressionne les consommateurs lorsqu’elles seront mises sur le marché.

En conclusion, ce qui précède démontre clairement que trop de Champenois se focalisent principalement sur la profitabilité à court terme, soit en enfreignant la loi, soit en négligeant les attentes en matière de qualité, voire les deux, sans jamais réaliser les conséquences négatives de leurs actions sur le long terme. Cependant, si on prend en considération les chiffres de vente de mars où les ventes ont baissé de 21,8 % d’une année sur l’autre, on comprend mieux pourquoi les distributeurs et les consommateurs commencent à comprendre qu’ils sont surfacturés pour des cuvées non millésimées de qualité inférieure ou très moyenne. Et, avec un large choix d’alternatives à disposition, qu’ils délaissent l’univers du Champagne pour explorer le prosecco, le cava, le crémant et la large sélection d’autres vins pétillants.

Plus le Champagne évite de prendre de véritables mesures écologiques, sociales et qualitatives, plus le retour de bâton sera conséquent. Avant tout, le bien-être économique à long terme du Champagne repose principalement sur les ventes de ses cuvées non millésimées. Si celles-ci continuent de s’affaiblir, l’équilibre délicat entre les producteurs et les maisons s’effondrera et le Champagne rencontrera les mêmes difficultés que d’autres régions françaises qui luttent actuellement pour joindre les deux bouts.

Merci de soutenir le champagne durable !

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