Tous déclarés, les travailleurs saisonniers de Farat revendiquent une ambiance fraternelle dans leur campement avec musique, feux de camp et présence de leurs nombreux chiens. Illustration / Remi Wafflart

L’article publié dans le journal l’Union le 4 octobre 2024, où un prestataire viticole d’Épernay exprime sa colère suite à la fermeture de camps d’hébergement sous tentes pour vendangeurs, met en lumière une réalité choquante que la CGT champagne ne cesse de dénoncer. 

Si M. Fayat, prestataire viticole, se présente en victime d’une réglementation jugée trop stricte, il occulte une réalité bien plus préoccupante : celle de la précarité et des conditions indignes dans lesquelles vivent de nombreux travailleurs saisonniers.

Des excuses insuffisantes face à des abus évidents

Tout d’abord, il convient de noter que la colère de ce prestataire semble davantage motivée par des considérations économiques que par une réelle préoccupation pour le bien-être de ses employés. Les propos qu’il tient, évoquant un esprit de camaraderie entre saisonniers, ne doivent pas masquer le fait que ces travailleurs, souvent en situation précaire, méritent un hébergement décent et respectueux de leur dignité. Fermer des camps qui ne respectent pas les normes minimales de sécurité et de salubrité n’est pas un acte arbitraire ; c’est une nécessité pour protéger ces hommes et ces femmes qui viennent de loin pour participer à la récolte des raisins les plus chers au monde.

Une déresponsabilisation inacceptable

Le prestataire tente de se dédouaner de toute responsabilité en affirmant que ses salariés sont “tous en règle”. Pourtant, il admet également que la situation était “à la limite de la régulière”. Ce discours ambivalent trahit une volonté de minimiser des pratiques qui, aux yeux de la CGT champagne, relèvent d’une exploitation. Les lois sur l’hébergement des travailleurs saisonniers, notamment l’arrêté du 1er juillet 1996 relatif à l’hébergement des travailleurs agricoles interdisant les hébergements sous tente au nord de la Loire, existent pour une raison : elles visent à garantir leur sécurité et leur dignité. Peut-on vraiment récupérer de journées harassantes de travail (possibilité de faire 10 h/jours pendant 13 jours d’affilés depuis la suspension du repos hebdomadaire) en dormant sous une tente sans aucun confort et sans aucun respect des normes sanitaires. Fermer les yeux sur cette responsabilité ne fait que perpétuer une culture de l’impunité.

Un appel à la justice sociale

“peut-on décemment hurler avec les loups quand on est chef de meute ?”

Les propos de M. Farat, se disant très en colère d’être comparé à un “esclavagiste”, sont non seulement inappropriés mais révèlent une profonde incompréhension des enjeux pour la filière en termes d’image. Les véritables esclavagistes sont ceux qui exploitent la vulnérabilité des travailleurs, qui vivent dans des conditions indignes et sans aucune protection.

Ne serait-ce pas ce même prestataire qui paie ces salariés à la tâche, 19 centimes seulement du kilo, soit un tarif en dessous des recommandations du barème de salaire (0,236 €+ 0,029 € prime de tri = 0,265 €) établi lors de la réunion de la commission vendange, le 23 juillet 2024 par le syndicat général des vignerons ? Et ne serait-ce pas lui non plus qui envoie ses hommes de main aboyer après ces salariés dès que les camions de la caravane vendange de la CGT arrêtent pour donner des tracts à ces équipes de vendangeurs ?

Plutôt que de se positionner en victime, il serait plus judicieux qu’il s’interroge sur les pratiques qui favorisent une telle précarité.

Une obligation de régulation et de solidarité

L’Intersyndicat CGT du champagne appelle les pouvoirs publics à agir de manière ferme contre tous ceux qui, comme ce prestataire, tentent de contourner les règles en matière de travail et d’hébergement. Il appelle également les pouvoirs publics et les parlementaires de la région de ne pas céder aux chants de sirènes de la filière afin que l’hébergement sous tente, sous quelque forme que ce soit, ne soit pas autorisé lors des prochaines vendanges. L’Intersyndicat CGT exige des inspections régulières et une réglementation stricte pour protéger les droits de ces travailleurs. Il est temps de mettre un terme à cette vision rétrograde du travail saisonnier, qui traite les salariés comme de simples ressources humaines à exploiter. Il est urgent que les donneurs d’ordres et les prestataires changent de mentalité afin de valoriser l’image de l’amont de la filière champenoise.

En conclusion, la colère du prestataire viticole est mal placée. Au lieu de défendre un système qui ne fait que profiter de la misère d’autrui, il serait plus sage de reconnaître l’importance d’un cadre légal respectueux des droits des travailleurs. Par leurs pratiques, ces sociétés de prestations entachent l’image de toute une filière élaborant un produit de luxe. Pour ces raisons, La CGT du champagne continuera à se battre aux côtés de ceux qui luttent pour la justice sociale, et est déterminée à dénoncer tous les abus où qu’ils se trouvent.

L’Intersyndicat CGT du champagne

Voir l’article de l’Union ci-dessous :

Philippe Launay Vendredi 04 cotobre 2024

Tous déclarés, les travailleurs saisonniers de Farat revendiquent une ambiance fraternelle dans leur campement avec musique, feux de camp et présence de leurs nombreux chiens. Illustration / Remi Wafflart

Pays d’Épernay Prestataire viticole depuis 25 ans, et non simple prestataire vendanges, un Sparnacien a vu deux des hébergements collectifs où séjournaient ses vendangeurs être fermés par les services de l’État en septembre 2024. Sa colère ne redescend pas.

Un campement à Bisseuil, commune associée d’Aÿ-Champagne, où s’étaient installés comme toujours depuis des années des saisonniers principalement tchèques : fermé administrativement le 24 septembre. Un autre à la sortie sud d’Avize : évacué le 19 septembre. Pour Farat, un prestataire viticole champenois, la sanction est tombée deux fois. Il sait qu’un combat judiciaire va suivre mais « je suis prêt à me défendre. Je ne lâcherai pas l’affaire » .

Le prestataire viticole, à ne pas confondre avec un prestataire vendanges (lire par ailleurs), ne décolère pas contre l’application des textes par les autorités.
« En fermant, les lieux d’hébergement, ils ont fait du chiffre pour les statistiques mais ils n’ont mis personne à l’abri » , clame le prestataire. Ses saisonniers séjournaient sur un terrain privé à Avize et sur un terrain qu’il a acheté en 2015 entre Bisseuil et Plivot spécialement pour ses saisonniers.

« LES POUVOIRS PUBLICS NE VONT PAS LA OU IL Y A LES VRAIS PROBLEMES »

« Ce sont les mêmes vendangeurs qui viennent au même endroit et ne demandent rien à personne. Ils ont droit de vivre leur vie comme ils le veulent. Ils traversent l’Europe pour travailler et aiment à se retrouver dans un esprit de camaraderie. Ils ont des animaux, font des feux, chantent et dansent. On ne va pas les mettre de force dans un vendangeoir ou les séparer dans des gîtes » , insiste le Champenois qui note que « personne n’a eu à se plaindre d’eux » . Ni les riverains, ni les commerçants et surtout pas les vignerons chez qui ils viennent vendanger ou relever, palisser et lier à la sortie du printemps. « Ils ne sont pas fainéants. Quand ils s’engagent, ils vont au bout et travaillent sérieusement. »

« Mes salariés sont tous en règle. Ce ne sont pas des gens abandonnés que j’ai maltraités »

En creux, le Champenois consent qu’il savait la situation à la limite de la régulière mais il assure « ne jamais avoir imposé quoi que ce soit. Nous avons toujours essayé de faciliter leur installation en respectant leur choix. Je veux m’excuser auprès de beaucoup de ces personnes. On a gâché leur fin de vendanges. J’ai dû les arrêter brusquement sans leur dire merci et au revoir » . ©

Quelques-uns sont restés et « ont été relogés en urgence et je remercie tous ceux qui leur ont ouvert leurs portes » , lance Farat qui vit la situation comme une injustice. « Il y a une réglementation pour les exploitations viticoles viticulteur, une réglementation pour le prestataire et une réglementation spéciale pour les gens du voyage. En ce qui concerne le non-respect de la réglementation, j’invite les autorités et la CGT à dénoncer les camps de gens du voyage à l’entrée de l’avenue de champagne, aux abords des communes ou dans des zones commerciales, à venir à Bernon où les saisonniers dorment sur des cartons. Là où il y a les vrais problèmes, les pouvoirs publics n’y vont pas. »

Selon lui, des sans-papiers seraient embauchés à la sauvette, vivraient entassés dans des appartements voire dans de nombreuses tentes au pied des caravanes qu’il qualifie de 5 étoiles « Après, on fait l’amalgame et on me fait passer pour un esclavagiste, quelqu’un qui exploite des personnes vulnérables. Mais, jamais les autorités n’ont relevé une quelconque plainte de ces personnes. Moi, je suis installé à Épernay depuis toujours. Je vis et je travaille à Épernay. Mes employés sont tous en règle vis-à-vis du droit français. Ce ne sont pas des gens abandonnés que j’ai maltraités » , conclut le prestataire viticole qui a la cinquantaine mais affiche ce qu’il faut de fougue pour mener son combat.

Il y a prestataire viticole et prestataire vendanges

« Ils sont épiciers ou maçons le reste de l’année. Ils ne savent même pas ce qu’est un pied de vigne. » Dans le collimateur de Farat figurent ceux qu’ils appellent « les prestataires vendanges pendant 15 jours. Ils montent leur boîte quelques jours avant les vendanges et la coulent dès que c’est terminé. Ce sont des sociétés champignon. On n’ira jamais les inquiéter ceux-là. On ne cherche pas là où il faut. Pourtant, ce sont eux qui cassent le marché. C’est à cause d’eux que l’on est tous montré du doigt. On met tout le monde dans le même sac » .

Le Sparnacien calcule qu’il emploie près de 2 000 personnes au fil de l’année. Il rappelle qu’il est dans les vignes de janvier à décembre, de la taille à la récolte, qu’il a prôné la création d’un label pour les prestataires « il y a 20 ans. On était au début de la profession et on voulait qu’il y ait un label, un diplôme, que ce soit l’activité principale… On m’a répondu que c’était anticoncurrentiel. On voit le résultat. Tout le monde peut devenir prestataire en cinq minutes. On ne sait même pas d’où sortent ces pseudo-prestataires ».

C’est du laxisme administratif. Il ne faut pas s’étonner des dérives » . Le logement n’en serait pas une selon lui car ses vendangeurs revendiquent ce mode de vie proche de la nature. « Je ne vais pas aller contre leur souhait de vivre une vendange conviviale. Partout en Europe où ils vont, ils vivent comme ça. Ils ont tous un contrat de travail. Ils sont déclarés et ont un bulletin de salaire. J’ai un siège social, le même numéro de SIRET depuis 25 ans, je suis à jour fiscalement. Ils n’ont rien à me reprocher si ce n’est le mode de vie de ces vendangeurs mais qu’est-ce que j’y peux » ?