Des boîtes de médicaments et de Doliprane à Saint-Hilaire-de-Clisson, en septembre 2023. PHOTO : Mathieu Thomasset / Hans Lucas via AFP

Cet article de Justin Delépine paru, le 09 octobre 2024, dans le magazine numérique “Alternatives économiques” traite du désengagement de Sanofi de son activité “Santé grand public”, qui inclut des produits emblématiques comme le Doliprane. Cette cession, à hauteur de 50 %, souligne une tendance plus large dans l’industrie pharmaceutique, où les grands laboratoires se détournent des médicaments sans ordonnance et génériques, jugés moins rentables.

Sanofi privilégie les molécules protégées par des brevets, offrant des marges opérationnelles plus élevées, allant jusqu’à 40 %, par rapport aux 27 % des médicaments sans ordonnance.

L’acquéreur, un fonds d’investissement, devra également répondre à des questions sur l’avenir des salariés et des sites de production, notamment en France, où l’usine de Lisieux joue un rôle clé. La dynamique actuelle reflète une financiarisation croissante de l’industrie, laissant présager un risque accru pour l’accessibilité et la production locale de médicaments essentiels.

Une sacrée fuite en avant pour le colosse industriel “Sanofi” qui a été gavé d’aides publiques, ces dix dernières année. “Sur cette période, le groupe a dû toucher de l’État français un total d’environ 2,5 milliards d’euros grâce au crédit d’impôt recherche (CIR) et grâce également à des exonérations de cotisations sociales” calcule Jean-Louis Peyren, de la Fédération nationale des industries chimiques (Fnic-CGT), salarié chez Sanofi.

Après avoir détruit 8 000 postes de travail, dont la moitié dans le secteur de la recherche, après avoir été gavé d’aides financées par l’État français sans contrepartie (environ 2,5 milliards d’euros), cette stratégie mise en place s’avère délétère à l’indépendance de la France en matière de fabrication de produits pharmaceutiques, et démontre la volonté de Sanofi de maximiser sa rentabilité pour satisfaire ses actionnaires, au détriment de la souveraineté sanitaire de la France et des préoccupations relatives à l’emploi et à la santé des Français.

L’Intersyndicat CGT du champagne

Le 09 Octobre 2024 – Temps de lecture 6 min

Sanofi vend 50 % de sa branche « Santé grand public », qui produit les médicaments sans ordonnance, dont le Doliprane. Une cession symptomatique des évolutions du secteur.

Des boîtes de médicaments et de Doliprane à Saint-Hilaire-de-Clisson, en septembre 2023. PHOTO : Mathieu Thomasset / Hans Lucas via AFP

 
Cette nouvelle étape dans la financiarisation de l’industrie pharmaceutique a tout du symbole : l’emblématique laboratoire Sanofi s’apprête à céder sa filiale produisant et vendant les médicaments accessibles sans ordonnance, dont le Doliprane. Faut-il s’inquiéter du devenir de cette formulation de paracétamol dans sa célèbre boîte jaune, mais aussi d’autres produits comme la Lysopaïne, le Maalox ou le Dulcolax ?
 
Tous les regards vont évidemment se tourner vers l’acquéreur. Deux candidats ont été retenus pour le rachat de cette filiale « Santé grand public » qui regroupe 11 000 salariés dans le monde, dont un millier en France, et totalise plus de 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Deux fonds d’investissement : un français, PAI, et un États-Unien, CD&R.
 
L’offre retenue devrait être connue en ce début du mois d’octobre, et Sanofi espère obtenir une valorisation de plus de 15 milliards d’euros pour cette entité. Cependant, le fonds choisi ne rachètera que 50 % des parts de cette filiale car Sanofi garde, du moins pour le moment, le contrôle de la moitié du capital. Quels sont les enjeux de cette vaste opération financière ?
 
La cession s’inscrit d’abord dans une tendance beaucoup plus large au sein des grands laboratoires, qui se désengagent des médicaments sans ordonnance et des génériques pour se concentrer sur ce que l’on nomme les princeps, c’est-à-dire les molécules jouissant d’un brevet.
 
Le laboratoire français avait ainsi déjà vendu sa filiale générique en 2018. Et ses principaux concurrents font de même : le géant suisse Novartis s’est séparé à la fin de l’année dernière de sa branche de fabrication de génériques, Sandoz. Le britannique GSK a cette année cédé ses dernières actions dans son ancienne filiale de médicaments sans ordonnance (Advil, Voltarène, etc.). De quoi suggérer un probable désengagement de Sanofi, à terme. Mais pourquoi « Big Pharma » délaisse ces activités ?
 

Rentable, mais pas assez

Les métiers des laboratoires de princeps et des laboratoires de génériques ou médicaments grand public sans ordonnance diffèrent largement. Le premier implique d’importants efforts de recherche et développement (R&D) afin qu’une petite partie des molécules se transforment en nouveaux médicaments qui soient in fine commercialisés. La structure de coûts est plus lourde, mais compensée par un prix de vente plus élevé.

A l’inverse, l’activité des laboratoires de génériques ou de médicaments sans ordonnance demande beaucoup moins d’efforts en R&D et consiste essentiellement en une production industrielle. Les prix de vente sont moins élevés puisque la concurrence est plus vive.

Mais cette différence se traduit surtout par un décalage dans la profitabilité des activités. Les médicaments protégés par un brevet permettent aux laboratoires d’instaurer un rapport de force avec les pays pour faire monter le prix et/ou les quantités selon la désirabilité du traitement en question. Et ainsi d’arriver parfois à un prix de vente très élevé pour certains traitements.

Certes, le Doliprane est un produit rentable, mais moins que les molécules de Sanofi protégées par un brevet. Les comptes de l’entreprise le confirment. Les activités de la multinationale se découpent en trois divisions : l’activité Santé grand public, qui regroupe les médicaments sans ordonnance dont la marque de paracétamol, les vaccins et l’activité Biopharma, c’est-à-dire les traitements innovants et protégés sous brevets.

La marge opérationnelle1 de l’activité Santé grand public est honorable – 27 % en 2023 –, mais constamment inférieure aux deux autres branches, qui peuvent atteindre selon les années plus de 40 %. Autrement dit : le Doliprane est tout à fait profitable pour Sanofi, mais structurellement moins que ses autres activités. En particulier de son médicament star, le Dupixent, certes moins connu.

Chaque Big Pharma essaie d’avoir un ou plusieurs produits de type « blockbuster », c’est-à-dire une molécule capable de générer un chiffre d’affaires de plus d’un milliard de dollars. Recommandé contre la bronchopneumo­pathie chronique obstructive (BPCO), surnommé la toux du fumeur, mais également utile pour l’asthme ou la dermatite atopique, le Dupixent se vend environ 1 200 euros la boîte de deux seringues injectables.

En 2023, la vente de ce produit a rapporté 10,7 milliards d’euros à la multinationale, soit 25 % de son chiffre d’affaires total ! Et pour 2024, Sanofi table sur un revenu de 13 milliards juste pour ce traitement qui a tout d’une machine à cash.

En comparaison, le Doliprane, à quelques euros la boîte, ne génère qu’un chiffre d’affaires annuel d’un peu moins d’un milliard d’euros. La marque de paracétamol de Sanofi fait face à d’autres concurrents, ce qui limite mécaniquement le prix de vente, dont le coût de production représente une part bien plus importante que pour le Dupixent. La marge est donc nécessairement plus réduite.

Incertitudes pour les salariés français

En se dégageant des produits affichant une profitabilité moindre, Sanofi espère ainsi faire mécaniquement augmenter sa marge moyenne opérationnelle. Le précédent de Novartis l’illustre : en se séparant de son activité générique, le Suisse a fait grimper sa marge opérationnelle de quasiment trois points.

De telles cessions permettent surtout d’améliorer certains indicateurs scrutés par les actionnaires, comme le bénéfice par action – c’est-à-dire le gâteau partageable par tous les détenteurs de titres de la société. Le bénéfice par action du numéro 3 de l’industrie pharmaceutique a ainsi progressé de 18 % après la vente de son ex-filiale de génériques, Sandoz.

Cette tendance pousse à la concentration des activités les plus rentables au sein d’une poignée de firmes, délaissant les activités moins rémunératrices au reste de l’économie. Ce différentiel de taux de rendement du capital participe également à la concentration du capital dans les mains de quelques-uns.

Au-delà, c’est bien l’avenir des usines et des salariés de la branche Santé grand public qui est en jeu. A l’instar de l’usine de Lisieux avec ses 260 salariés qui produisent 260 millions de boîtes de Doliprane par an et alimentent la quasi-totalité du marché français.

Sanofi s’était par exemple engagé à commander le principe actif (la matière première du médicament) du paracétamol auprès de la future usine en construction dans l’Isère, projet phare de relocalisation de la chaîne du médicament.

Le nouvel acquéreur sera-t-il tenu par ces engagements pour la filière française et européenne, et quel avenir réservera-t-il aux sites français, alors que le premier débouché de cette activité est aux Etats-Unis ? Au-delà de l’identité du fonds d’investissement retenu, les réponses à ces questions ne seront données que par la stratégie qu’il déploiera effectivement.

1 La marge opérationnelle correspond au résultat opérationnel rapporté au chiffre d’affaires et sert ainsi à mesurer la santé économique d’une entreprise sur son cœur d’activité. Cette notion est différente du bénéfice (ou résultat net) qui prend également en compte les charges financières ou les impôts.