Après de graves dérives durant les vendanges 2024, le Comité Champagne va prendre de nouvelles mesures pour réguler l’hébergement des vendangeurs. © Archives Aurélien Laudy
Les scandales de 2023, qui ont fait quatre morts à cause de l’exposition à des chaleurs extrêmes, L’article de Thomas Crouzet, paru dans les pages économiques du journal l’Union, mardi 29 octobre 2024, empreint d’angélisme, dépeint une situation d’amélioration globale dans l’organisation des vendanges en Champagne, alors que les conditions d’hébergement des saisonniers demeurent dramatiques, comme l’a dénoncé la CGT champagne, avec des conditions d’hébergement indignes et de possibles cas de traite d’humains, montrent que la filière n’en a tiré que très peu d’enseignements et qu’elle est encore bien loin d’un progrès substantiel.
Qualifier ces améliorations de « travail accompli » relève du déni de la réalité.
C’est pourquoi l’Intersyndicat CGT du champagne a souhaité faire une critique à chaque réponse donnée par David Chatillon, Président de l’UMC et Maxime Toubart, Président du syndicat général des vignerons, dans le cadre de leur interview par le journal l’Union…
L’Intersyndicat CGT du champagne
Temps de lecture : 15 mn
Ces questions posées aux principaux leaders de la filière champagne sont extraites de l’interview qu’ils ont accordés aux journal l’Union, le mardi 29 octobre 2024 :
« Aucune dérive n’est restée sans réponse »
Un mois après les vendanges, la filière champagne et les services de l’État ont tiré le bilan du plan d’actions déployé pendant la campagne. De nouveaux chantiers sont en réflexion pour la récolte 2025, notamment la volonté d’autoriser l’hébergement sous tente.
Thomas Crouzet : David Chatillon, Maxime Toubart, vous êtes tous deux coprésidents du Comité Champagne. Vous avez tiré, mardi dernier à la préfecture, le bilan du plan d’actions « Ensemble pour les vendanges en Champagne ». Qu’en est-il ressorti ?
Maxime Toubart : Il y a le sentiment, partagé par toutes les parties prenantes autour de la table, d’un travail accompli. Tout ce qui a été imaginé, organisé et conçu pendant un an a porté ses fruits. L’organisation globale des vendanges et le cadre collectif mis en place ont fonctionné.
David Chatillon : Nous sommes allés à la rencontre des différents acteurs pendant les vendanges. Partout où nous nous sommes rendus, dans les coopératives, chez les vignerons, dans les maisons, le sujet abordé était celui des conditions d’accueil et de l’emploi des saisonniers. Nous pouvons affirmer que la prise de conscience est réelle. Il y a eu un avant 2024 et il y aura un après 2024.
La CGT Champagne : Maxime Toubart, Président du Syndicat général des vignerons, souligne que les efforts de préparation ont » porté leurs fruits » et que l’organisation a « bien fonctionné ». Pourtant, cet optimisme efface la réalité, car la situation la plus urgente, celle des conditions d’hébergement, reste très partiellement solutionnée. La réalité est qu’en revendiquant l’autorisation de l’hébergement sous tente pour les prochaines vendanges, la filière continue de proposer des solutions précaires et inadéquates au lieu de véritables logements décents.
David Chatillon affirme que « la prise de conscience est réelle » et évoque une rupture entre les vendanges de 2023 et celles de 2024, mais sans évoquer les conséquences tragiques de l’année précédente. Les mesures de 2024 n’ont pas réglé le problème de l’hébergement, comme le montrent les fermetures administratives des sites insalubres et des campements sauvages. La vraie prise de conscience serait de mettre fin à ces situations inacceptables en sanctionnant les donneurs d’ordres et les prestataires peu scrupuleux dont sont victimes bon nombres de salariés en grandes précarités.
Thomas Crouzet : Bien que vous évoquiez des résultats positifs, les conditions de la vendange 2024 n’ont pas été celles de 2023. Du fait de la petite récolte, les saisonniers accueillis ont été moins nombreux. Il n’y a pas eu, non plus, de fortes chaleurs. N’est-il pas un peu tôt pour se satisfaire de ce plan d’actions ?
MAXIME TOUBART : Il est évident que l’on ne peut pas se satisfaire d’une seule campagne. Le plan d’actions s’inscrit dans le temps. Nous devons réfléchir dans la durée, entre les années qui vont bien et les années qui vont moins bien. Les conditions de récolte évoluent d’une vendange à l’autre et cela nécessite que nous nous adaptions en permanence.
DAVID CHATILLON : Au sortir de la vendange 2023, nous avions deux objectifs. Le premier était de mettre sur pied un plan d’actions pour la campagne 2024. Le second était d’inscrire ce plan dans la durée car nous savions que nous ne réglerions pas tous les problèmes en un an.
La CGT champagne : Concernant les conditions de travail, comment Maxime Toubart peut-il affirmer que les efforts de préparation ont réellement » porté leurs fruits » et que l’organisation a « bien fonctionné » alors que les salariés n’ont pas été exposés cette année aux fortes chaleurs, comme ce fut le cas lors de l’épisode caniculaire que nous avons connu pendant la vendange 2023. De plus, la réponse de Maxime Toubart et de David Chatillon quant à la durée du plan d’actions ne fait que masquer l’urgence d’un problème dénoncé depuis la vendange 2018.
Thomas Crouzet : Justement, tous les problèmes n’ont pas été réglés. Au cours de cette vendange, quatre hébergements ont été fermés par arrêté préfectoral, où 180 saisonniers étaient logés dans des conditions non conformes. La prise de conscience n’est, semble-t-il, pas totale.
DAVID CHATILLON : L’ambition affichée, c’est une vigilance accrue et une tolérance zéro aux dérives. Tout en sachant que le risque zéro n’existe pas. Au cours de cette vendange, aucune dérive n’est restée sans réponse. Ces quatre fermetures administratives sont évidemment de trop, et nous savons que pour la vendange prochaine, notre priorité est de poursuivre nos travaux sur l’hébergement.
MAXIME TOUBART : Ces situations irrégulières ont pu être rapidement traitées grâce à la cellule de suivi mise en place quotidiennement entre l’administration, les forces de l’ordre, la sécurité civile, et la filière. Ce dispositif était une première et a bien fonctionné. L’objectif était la circulation en temps réel de l’information, pour identifier et répondre immédiatement aux problèmes rencontrés.
La CGT champagne : Maxime Toubart et David Chatillon insistent sur le traitement rapide des cas de logements non conformes grâce à la cellule de suivi. Pour autant, les services de l’État n’ont recensé que quatre fermetures de sites et 180 saisonniers logés dans des conditions insalubres ce qui démontre bien l’insuffisance des contrôles (pour rappel : seulement 3 000 salariés contrôlés sur un effectif d’environ 100 000 recrutés).
Thomas Crouzet : Vous demandiez, avant la vendange, un renforcement des contrôles menés par les services de l’État. La préfecture de la Marne indique avoir obtenu, globalement, une hausse de 30 % des effectifs par rapport à 2023. Était-ce suffisant ?
MAXIME TOUBART : L’inspection du travail a réalisé 130 contrôles sur la période : 70 se sont déroulés sur les lieux de travail et 60 dans les centres d’hébergement. Cela a porté sur environ 3 000 salariés. La surveillance des autorisées a été davantage orientée vers les situations à risque, notamment les campements.
DAVID CHATILLON : La police a également renforcé sa présence à la gare d’Épernay et dans le quartier Bernon pour capter rapidement les personnes débarquées sans emploi et parfois sans papier. Ce sont ces populations qui représentent la cible des voyous. Un dispositif exceptionnel a été déployé par France Travail et le Club de prévention d’Épernay à la gare, pour orienter ces personnes vers un poste. Nous souhaitons le décliner l’an prochain dans d’autres gares, notamment Dormans et Château-Thierry.
La CGT Champagne : Maxime Toubart se réjouit d’une hausse de 30 % des contrôles. En 2024, le renforcement par les services de l’état de seulement 22 inspecteurs n’ont permis de couvrir que 3 000 saisonniers pour un effectif total de 100 000 saisonniers recrutés, un nombre dérisoire pour prétendre assurer une « tolérance zéro » envers les abus. Ce manque de contrôles permet aux prestataires mal intentionnés de recruter et d’exploiter des travailleurs sans crainte de sanction, compromettant ainsi la sécurité des vendangeurs. David Chatillon met en avant les mesures de renforcement sécuritaire déployées à la gare d’Épernay, en particulier la présence de la police et des dispositifs de France Travail et du Club de prévention pour orienter les saisonniers vers des postes. Cependant, il fait abstraction d’un élément majeur qui a contribué à déclencher ces mesures : la présence de la CGT du champagne, dès le premier jour de l’ouverture des vendanges, menant des actions de sensibilisation devant la gare d’Épernay. Actions relayées par une journaliste dans un article du journal L’Union pour alerter sur les conditions de précarité extrême et les abus que subissent certains travailleurs.
Thomas Crouzet : Vous indiquez que l’hébergement sera votre priorité pour la vendange 2025. Vous militez notamment pour que le logement sous tente soit autorisé. N’est-ce pas contradictoire avec les bonnes conditions d’accueil que vous soutenez ?
DAVID CHATILLON : S’il s’agit d’un camp de fortune, avec une tente de bivouac lancée au coin d’une rivière, cela restera interdit. En revanche, si l’on parle d’un barnum, avec un sol dur, un chauffage, des douches et des toilettes à proximité, alors il y a un sujet. Nous n’arriverons pas à créer 80 000 logements en quelques années. Il convient d’être réaliste et de trouver d’autres solutions.
MAXIME TOUBART : C’est un combat que nous menons aux côtés des autres vignobles du nord : la Bourgogne, le Val de Loire, l’Alsace. La Champagne est sans doute le vignoble qui est le plus concerné, par le nombre de saisonniers accueillis. Un groupe de travail s’est monté sur le sujet au sein de la confédération nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie à appellations d’origine contrôlées (Cnaoc). Il nous faut définir un cadre décent pour accueillir dans de bonnes conditions les saisonniers.
DAVID CHATILLON : Nous continuerons d’encourager les autres formes d’hébergement, à l’image du village créé sur l’ancienne base aérienne 112. Plus de 300 vendangeurs ont pu être accueillis. Quand on s’organise et qu’on met les moyens, cela fonctionne
La CGT champagne : De toutes ses réponses, la proposition d’autoriser l’hébergement sous tente est la plus choquante. Malgré les campements sauvages, dont certains s’apparentaient à des bidonvilles, qui se sont implantés en toute impunité dans bon nombre de communes en 2023 et 2024, David Chatillon soutient cette mesure en justifiant que l’installation pourrait inclure un sol dur, chauffage, douches et toilettes. Une solution qui reste néanmoins un retour au campement précaire, en dépit des obligations inscrites dans le Code rural et de la pêche maritime. La CGT du champagne a mis en garde contre cette « ligne rouge ». Elle a rappelé l’impératif de garantir à minima des hébergements mobiles ou démontables, type « mobile-home » ou « Algeco », comme prévu par le Code rural, mais Maxime Toubart et David Chatillon semblent ignorer cette demande en privilégiant des mesures de fortune au lieu de logements décents.
Thomas Crouzet : Différents outils ont été déployés au cours de cette vendange pour mieux encadrer le système de prestation. Ont-ils été pris en main par les professionnels ?
MAXIME TOUBART : Les guides pratiques édités autour de la sécurité, de la santé, de l’emploi, du recrutement et de l’hébergement ont été consultés 6 000 fois sous forme digitale, et imprimés un millier de fois. Pour 2025, nous réfléchissons à déployer le livret d’accueil des vendangeurs sous format électronique, avec une application dédiée. Celui-ci est disponible en huit langues et permet de toucher un grand nombre de travailleurs.
DAVID CHATILLON : En parallèle, 105 prestataires se sont inscrits sur la plateforme VitiArgos. Ils représentent environ 17 000 vendangeurs recrutés, soit 40 % du total des saisonniers embauchés par la prestation de service. Une deuxième version est en développement pour 2025.
La CGT champagne : David Chatillon note avec satisfaction que 105 prestataires se sont inscrits sur la plateforme VitiArgos. Ce chiffre est pourtant alarmant, car ces prestataires ne couvrent que 17 000 vendangeurs, soit à peine 40 % des saisonniers embauchés par des prestataires de service. Cela laisse la majorité des travailleurs saisonniers exposés aux abus des prestataires « véreux ». La filière Champagne, dans le déni, semble ignorer les risques d’exploitation encourus par la majorité des vendangeurs embauchés par des prestataires non référencés dans la plateforme numérique VitiArgos.
Thomas Crouzet : Concernant les étudiants, une centaine a pu travailler pendant les vendanges, grâce au partenariat avec l’Université de Reims et Neoma. Ce dispositif sera-t-il renforcé ?
DAVID CHATILLON : Les conventions établies ont permis aux jeunes de s’absenter le temps de la récolte et d’avoir une expérience valorisante. Nous devons retravailler avec les universités de Reims, de Troyes, l’école de Neoma, pour faire monter en puissance ce partenariat.
La CGT champagne : Ce partenariat entre la filière viticole et les universités locales permet à des étudiants de participer aux vendanges et de financer une partie de leurs études. Grâce aux conventions avec l’Université de Reims, de Troyes et Neoma, ces jeunes peuvent suspendre brièvement leurs cours pour une expérience valorisante et rémunérée. Renforcer ce dispositif démontrerait la volonté d’élargir cette opportunité en offrant aux étudiants un soutien financier concret tout en renforçant les liens entre le secteur viticole et les établissements d’enseignement
Thomas Crouzet : Bien qu’il n’y ait pas eu de fortes chaleurs cette année, vous indiquez que 530 personnes ont été formées aux gestes de premiers secours. D’autres sessions sont-elles programmées ?
Maxime Toubart : Oui, nous avons reçu un accueil très favorable de la part des Services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) de la Marne, de l’Aube et de l’Aisne. Nous avons formé ces 530 personnes sur les mois de juillet et août seulement. L’an prochain, nous envisageons d’ouvrir plus largement ces sessions.
La CGT champagne : La formation de 530 personnes aux gestes de premiers secours est mentionnée avec enthousiasme, mais elle est nettement insuffisante. La CGT du champagne pointe ici un problème majeur : former 530 personnes pour couvrir 100 000 saisonniers est un chiffre anecdotique face aux risques auxquels sont exposés ces travailleurs. La sécurité des vendangeurs doit être une priorité absolue, pas une mesure symbolique. Ces actions de formation doivent impérativement se développer de manière exponentielle en amont de la prochaine vendange.
Thomas Crouzet : Quand reprendrez-vous les travaux pour le prochain plan d’actions ?
MAXIME TOUBART : Dès novembre, nous réactivons le groupe de travail interprofessionnel, comme l’an passé. Nous avons convenu de refaire des points réguliers avec le préfet et l’administration jusqu’à la vendange, avec une première réunion prévue en janvier.
DAVID CHATILLON : Nous envisageons également de partager nos réflexions à l’échelle nationale, ces problématiques n’étant pas spécifiques à la Champagne.
La CGT champagne : Maxime Toubart et David Chatillon annoncent la réactivation du groupe de travail interprofessionnel dès novembre, mais ne mentionnent pas la participation des organisations syndicales qui, jusqu’à présent, ont été écartées de ces groupes de travail. En effet, ces dernières n’ont été invitées qu’à participer aux réunions de suivi des groupes de travail de la filière organisées par le préfet de Châlons-en-Champagne. Cette exclusion limite une réflexion véritablement représentative. Les revendications de la CGT champagne, de toute évidence ignorées, Les revendications de la CGT champagne, de toute évidence ignorées, montrent que le Comité champagne préfère éviter le dialogue directe avec les syndicats, notamment avec la CGT, élément moteur de la prise de conscience de la filière par ses actions fortement médiatisées et sa présence sur le terrain pendant les vendanges. Cette absence de confrontation syndicale prive les saisonniers d’un soutien essentiel pour défendre leurs conditions de travail.
En conclusion : L’article masque une réalité dure et inacceptable pour les vendangeurs, en minimisant des mesures très insuffisantes au regard des scandales passés. Maxime Toubart et David Chatillon semblent échouer à apporter des solutions pérennes, s’appuyant sur des mesures cosmétiques qui ne règlent en rien les problèmes d’hébergement, de contrôle et de sécurité des vendangeurs. L’inaction et l’insouciance, voire le déni, face aux conditions de vie des saisonniers dans le secteur du Champagne, pourtant vital pour cette industrie, montrent un manque criant de respect pour ces travailleurs précaires venus récolter les raisins les plus chers du monde.
Dans cet article, en aucun cas les dirigeants de la filière ne semblent tenir compte du rôle déterminant joué par la CGT Champagne, notamment lors des maraudes de sa caravane CGT pendant les vendanges 2024. Par sa mobilisation sur le terrain, relayée par de nombreux médias régionaux, nationaux et même internationaux, ainsi que par ses moyens de communication (site internet, page Facebook, tracts etc.), la CGT champagne a contraint, sous la pression, la filière à avoir une véritable prise de conscience autour des conditions indignes réservées aux vendangeurs dans une industrie de luxe. Cette mobilisation a mis en lumière l’impact négatif de ces situations sur l’image de marque du Champagne, qui repose sur des valeurs d’excellence et de prestige. Ignorer cette contribution revient non seulement à occulter le travail de ceux qui se battent pour améliorer le sort des travailleurs, mais aussi à ignorer le risque d’une crise d’image profonde pour une filière de renommée mondiale.
L’Intersyndicat CGT du champagne