De gauche à droite : Denis Gravouil et Sophie Binet (CGT), Yvan Ricordeau et Marylise Léon (CFDT) et Patrick Martin (Medef), le 17 janvier 2025 pour le premier jour du « conclave » des retraites lancé par François Bayrou. © Bertrand GUAY / POOL / AFP
✍️ l’Intersyndicat CGT du champagne
📅 Publié le 31 Janvier 2025
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Deux ans après la mobilisation historique de 2023, la pression populaire a contraint le gouvernement à ouvrir des concertations sur la réforme des retraites. Mais l’objectif demeure clair : seule l’abrogation des 64 ans permettra de restaurer la justice sociale. Si le gouvernement et le patronat cherchent à limiter les marges de manœuvre, les faits sont têtus : il existe des solutions pour un système de retraite plus juste et mieux financé.
Le refus massif des 64 ans et la nécessité d’un vote démocratique
Imposée par le 49.3 contre la volonté de la majorité des Français, la réforme de 2023 reste contestée. Plus de 70 % de la population est favorable à son abrogation. Cette exigence de justice doit se traduire par un vote au Parlement ou une consultation référendaire.
Le gouvernement a décidé d’organiser un « conclave » des retraites jusqu’en mai 2025, où syndicats et patronat doivent s’accorder sur une version « plus juste » de la réforme.
Concrètement, François Bayrou a chargé la Cour des comptes d’une « mission flash » pour établir des bilans chiffrés « indiscutables » du système de retraite d’ici au 19 février. Les organisations syndicales et patronales ont ensuite jusqu’à fin mai pour proposer des pistes de réforme.
« Si cette délégation trouve un accord d’équilibre et de meilleure justice, nous l’adopterons », a promis Matignon. « Le Parlement en sera saisi lors du prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale, ou si nécessaire par une loi. »
Les financements existent : il faut augmenter les recettes, pas reculer l’âge
Contrairement à l’argumentaire gouvernemental, le système des retraites pourrait être financé autrement qu’en reculant l’âge de départ. Plusieurs économistes, dont Michaël Zemmour, montrent qu’une hausse progressive des cotisations (0,15 point par an jusqu’en 2032) permettrait d’abroger la réforme Borne et de revenir à 62 ans. Cela ne représenterait que quelques euros supplémentaires par mois pour les salariés, un effort largement soutenable.
D’autres mesures permettraient de financer un système plus juste :
- Soumettre à cotisation les primes d’intéressement et de participation, ce qui rapporterait 2 à 3 milliards d’euros.
- Assujettir les revenus du capital aux cotisations retraites, ce qui pourrait dégager 24 milliards d’euros.
- Supprimer les exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises, qui coûtent aujourd’hui plus de 70 milliards d’euros, sans effet avéré sur l’emploi.
Ces solutions permettraient non seulement de revenir à 62 ans, mais aussi d’améliorer les conditions de départ pour les carrières longues et pénibles, tout en renforçant la justice sociale.
Vieilles rengaines patronales et danger de la capitalisation
Qu’il s’agisse d’un retour sur les généreuses aides octroyées aux entreprises ou d’augmentations, même partagées, des cotisations sociales, on voit mal comment les partenaires sociaux pourraient parvenir à un accord global durant leur « conclave ». Lors du budget proposé par Michel Barnier en fin d’année dernière, le patronat avait exercé un lobbying tel que le gouvernement était revenu sur la possibilité de repenser les exonérations de cotisations sociales.
Et interrogé mi-janvier sur France Inter au sujet d’une hausse des cotisations qui financent les retraites, Patrick Martin, numéro 1 du Medef, s’était braqué, répétant un refrain désormais bien connu : le sacro-saint « coût du travail » est déjà trop élevé en France pour être davantage alourdi.
Mais puisque chacun peut mettre ses propositions sur la table, l’organisation patronale compte bien ouvrir le débat d’une retraite par « capitalisation ». Avec un tel système, les individus placent des fonds sur le marché afin d’obtenir une rente ou le versement d’une somme qui constituera leur retraite.
Le problème, « c’est que tout le monde n’a pas la possibilité de mettre de l’argent de côté dans les fonds de pension, et donc ça fait exploser les inégalités parmi les retraités », résume Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS à Sciences Po.
C’est notamment ce qu’il s’est passé en Allemagne. Pour limiter le poids des dépenses de retraite par répartition, l’État a mis en place des dispositifs par capitalisation qui se sont traduits par une augmentation des inégalités devant la retraite et plus de pauvreté des pensionnés. Ces conséquences expliquent pourquoi les syndicats s’opposent farouchement à cette option.
De telles divergences entre les représentants des salariés et ceux des entreprises ne laissent pas augurer une fin heureuse pour les négociations qui viennent de s’ouvrir. Et l’abrogation pure et simple de la réforme de 2023 paraît hors d’atteinte. Sur la même ligne que le gouvernement, le patronat soutient en effet l’allongement de l’âge légal. Il n’a donc pas intérêt à trouver des compromis.
Ne pas se laisser enfermer dans une fausse négociation
Les « négociations » en cours risquent d’aboutir à des aménagements de surface (pénibilité, carrières hachées des femmes) sans toucher au cœur du problème : l’âge de départ. Pourtant, le cadre fixé par le gouvernement, avec son obsession pour l’équilibre budgétaire, biaise déjà le débat. Les syndicats doivent rester vigilants et refuser tout compromis au rabais.
L’urgence d’une mobilisation forte
L’abrogation des 64 ans ne sera pas gagnée dans les salons de Matignon, mais par la mobilisation populaire. S’informer, échanger et se mobiliser restent les clefs pour imposer une véritable justice sociale.
La mobilisation doit être massive et continue, car c’est l’unique moyen de faire pression sur le gouvernement et d’empêcher toute tentative de passage en force. Des manifestations régulières, des actions de terrain et une sensibilisation accrue des travailleurs et travailleuses sont essentielles. L’histoire nous a montré que seule une mobilisation soutenue permet d’obtenir des avancées significatives sur les droits sociaux.
Les syndicats, les collectifs citoyens et chaque individu concerné doivent s’impliquer activement, en relayant les informations, en participant aux débats et en s’engageant dans les actions locales et nationales. Il est impératif de démontrer que cette réforme est inacceptable et que des alternatives existent.
Chaque mobilisation, chaque grève, chaque action collective contribue à renforcer le rapport de force nécessaire pour faire plier le gouvernement et imposer une réforme juste et solidaire.
Ne laissons pas le gouvernement et le patronat confisquer notre avenir. Ensemble, gagnons l’abrogation des 64 ans et exigeons une réforme juste et solidaire !
Alternative économique : « Social « Conclave » sur les retraites : une réforme plus juste est-elle possible ? » article paru le 22 janvier 2025 ;