Dans deux tiers des cas, le sort des procès-verbaux établis par l’inspection du travail reste inconnu, et peu d’entre eux aboutissent à une réponse pénale. © Alternatives économiques
✍️ l’Intersyndicat CGT du champagne
📅 Publié le 03 février 2025
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Menaces, intimidations, absence de sanctions… L’inspection du travail se retrouve en première ligne face aux infractions patronales, mais ses actions sont largement entravées. Tandis que la justice laisse en suspens une majorité des procès-verbaux, les employeurs usent de leur influence pour réduire au silence les inspecteurs trop zélés. Face à cette situation préoccupante, la CGT demande une réforme profonde pour garantir un véritable respect du Code du travail et protéger les travailleurs.
Un système judiciaire en panne face aux infractions au Code du travail
Une enquête publiée par Alternatives Économiques le 27 janvier 2025 met en évidence une défaillance majeure dans le traitement des infractions relevées par l’inspection du travail. En France, lorsqu’un inspecteur constate une violation du Code du travail, il peut rédiger un procès-verbal (PV) et le transmettre à la justice. Pourtant, dans près de deux tiers des cas, le devenir de ces PV reste inconnu.
Les chiffres sont édifiants :
- 40 % des PV sont classés sous la mention « suites inconnues », ce qui signifie que ni les inspecteurs ni le ministère du Travail ne savent ce qu’ils sont devenus.
- 25 % sont encore « en cours », ce qui signifie qu’ils stagnent au parquet ou sont renvoyés pour enquête, avec un fort risque de prescription.
- Seulement 25 % des PV donnent lieu à une réponse pénale, et à peine 10 % se concluent par un procès devant un tribunal.
Ce flou judiciaire affaiblit considérablement le rôle de l’inspection du travail. Bien que les inspecteurs privilégient généralement la négociation avec les employeurs et n’ont recours aux sanctions que lorsque les infractions sont graves ou répétées, la plupart des infractions qu’ils constatent finissent dans l’oubli, sans aucune conséquence pour les entreprises fautives.
Une inspection du travail affaiblie et entravée
Le rôle des inspecteurs du travail est de plus en plus marginalisé. Selon la Direction Générale du Travail (DGT), les procès-verbaux ne représentaient en 2023 que 1,7 % des documents produits par l’inspection du travail. Depuis 2016, les agents sont d’ailleurs incités à privilégier les amendes administratives aux sanctions pénales pour des infractions mineures, dans le but de désengorger les tribunaux.
Mais même en sélectionnant avec soin les infractions les plus graves, les inspecteurs du travail perdent souvent la trace de leurs PV après leur transmission aux parquets. Et pourtant, 85 % des infractions relevées concernent des atteintes à la santé et à la sécurité des travailleurs ou des cas de travail illégal. Il s’agit donc de violations qui peuvent avoir des conséquences graves, voire mortelles.
Face à ces difficultés, le manque d’information et d’échange entre l’inspection du travail et les parquets est dénoncé. Certaines juridictions jouent le jeu en informant les inspecteurs des suites données aux affaires, mais d’autres gardent le silence, rendant impossible tout suivi efficace des procédures. Une plateforme expérimentale de suivi, Infoparquet, a été mise en place en 2021 pour améliorer la communication entre la justice et l’inspection du travail, mais son efficacité reste à démontrer.
Un enjeu crucial pour la santé et la sécurité des travailleurs
L’absence de sanctions dissuasives a des conséquences dramatiques pour les travailleurs. Selon l’Assurance Maladie, 759 personnes sont mortes en 2023 des suites d’un accident du travail en France. À cela s’ajoutent les milliers de maladies professionnelles mal reconnues et souvent sous-estimées.
Mais au-delà de l’impunité judiciaire, les inspecteurs du travail eux-mêmes sont la cible de pressions croissantes de la part du patronat. Un article de la CGT publié le 11 juin 2018 alertait déjà sur l’intensification des attaques contre ces agents de contrôle, qui subissent des menaces, des agressions et des poursuites judiciaires injustifiées.
Certains cas sont particulièrement graves :
- Menaces de mort et injures racistes à l’encontre d’un inspecteur dans la Drôme.
- Séquestration et menaces de mort d’un agent en Aveyron.
- Citation en correctionnelle pour chantage contre trois inspecteurs dans les Yvelines, simplement pour avoir rappelé à un employeur ses obligations légales.
Un exemple emblématique de ces pressions est celui de l’entreprise Nemera en Seine-Maritime. Cette société de plasturgie refusait de mettre en place un dispositif de captation des substances cancérogènes sur ses presses de production, malgré l’injonction de l’inspection du travail. Plutôt que de se conformer à la réglementation, l’entreprise a organisé une véritable campagne de pression contre l’inspecteur du travail en charge du dossier :
- Mobilisation d’un collectif d’employeurs pour demander son éviction.
- Pétition patronale envoyée aux autorités.
- Menace de délocalisation et de licenciements massifs pour obtenir une décision plus favorable.
Le cas d’Anthony Smith illustre également cette situation préoccupante. Inspecteur du travail dans la Marne, il a été suspendu en avril 2020, puis muté d’office à 200 km de son domicile pour avoir exigé, en plein cœur de la pandémie de Covid-19, des mesures de prévention élémentaires pour les aides à domicile d’une association locale. Son tort ? Avoir demandé des masques pour ces travailleurs essentiels. Face à cette sanction, il déclarait sur Twitter :
« Je n’ai fait que mon métier d’inspecteur du travail. »
Pour la CGT, il est inacceptable que la protection des travailleurs soit sacrifiée au nom de la rentabilité économique. Elle rappelle que chaque jour en France, deux travailleurs meurent d’accidents du travail, et qu’un ouvrier a dix fois plus de risques de mourir d’un cancer avant 65 ans qu’un cadre supérieur, souvent à cause de son exposition professionnelle à des substances toxiques.
L’affaiblissement du rôle de l’inspection du travail, combiné à l’impunité judiciaire des infractions, favorise une dérégulation du marché du travail où la santé et la sécurité des employés deviennent secondaires. La CGT exige donc un renforcement des effectifs de contrôle, une meilleure protection des agents et une réponse pénale plus ferme face aux employeurs qui bafouent la réglementation.
Les revendications de la CGT :
Face à ces constats alarmants, la CGT réclame des mesures immédiates pour renforcer l’inspection du travail et garantir l’application effective du Code du travail. Parmi ses principales revendications :
✅ Une protection renforcée des inspecteurs du travail contre les pressions et les menaces des employeurs.
✅ Un doublement des effectifs de l’inspection du travail, aujourd’hui insuffisants pour contrôler efficacement les entreprises.
✅ Le retour des CHSCT et un renforcement de ces pouvoirs, avec un droit de veto sur les décisions mettant en péril la santé des travailleurs.
✅ Une meilleure protection des salariés exerçant leur droit de retrait, pour éviter les sanctions abusives en cas de danger grave et imminent.
✅ L’abrogation des lois Rebsamen, Macron et El Khomri, qui affaiblissent les droits des travailleurs et réduisent les marges de manœuvre des inspecteurs du travail.
✅ L’interdiction des licenciements et des délocalisations abusives, souvent utilisées comme levier de pression contre les normes de sécurité au travail.
Exigeons des actes pour protéger les travailleurs
Les rapports récents dressent un tableau inquiétant : faible taux de poursuites, justice passive, menaces contre les inspecteurs et dérégulation rampante des normes de sécurité. Dans ces conditions, les employeurs les moins scrupuleux sont encouragés à continuer de violer la loi, au détriment de la santé et des droits des travailleurs.
La CGT exiger des mesures concrètes. Il est impératif de redonner à l’inspection du travail les moyens d’agir, d’assurer un suivi judiciaire rigoureux des infractions et de sanctionner réellement les employeurs qui mettent en danger leurs salariés. Informer, dénoncer, agir : il est temps d’exiger une justice du travail à la hauteur des enjeux.
Sources :
📌 « Suites pénales de la justice du travail : les inspecteurs dans le brouillard », Alternatives Économiques, 27 janvier 2025.
📌 « La CGT s’inquiète des pressions contre l’inspection du travail », CGT, 11 juin 2018.