Patrick Martin, président du Medef, et Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, réunis à Matignon en juillet 2023 à l’occasion d’une rencontre entre partenaires sociaux. © Eric TSCHAEN / REA
✍️ Par l’Intersyndicat CGT du champagne
📅 Publié le 18 avril 2025
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Sous prétexte de renforcer la démocratie sociale, le gouvernement propose de confier aux syndicats la gestion des retraites. Mais à quelles conditions ? Sans aucun levier sur les recettes, ni liberté sur les orientations, cette délégation reviendrait à faire porter aux organisations syndicales la responsabilité des restrictions. Pendant ce temps, les Français, eux, rejettent toujours massivement la réforme de 2023. Le dernier sondage Ifop pour la CGT confirme un rejet net, profond et transversal. Décryptage.
Un faux pouvoir de pilotage, pour une vraie impasse sociale
Le 10 avril 2025, la Cour des comptes, par la voix de son président Pierre Moscovici, a proposé au gouvernement de confier davantage de responsabilités aux partenaires sociaux dans la gestion des retraites. Cette idée est défendue par plusieurs membres du gouvernement, comme la ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet, et le Premier ministre François Bayrou, qui voit dans ce pilotage un « avenir des retraites confié aux partenaires sociaux, et non plus à l’État ».
Dans Alternatives Économiques (15 avril 2025), la journaliste Audrey Fisné-Koch démonte l’illusion d’un pouvoir de décision réel pour les syndicats. Elle rappelle que même dans le cadre de l’Agirc-Arrco, présenté comme un modèle de gestion paritaire, les syndicats n’ont pas la main sur les leviers financiers. Le patronat y domine les négociations, et les décisions prises — comme la sous-indexation des pensions ou les mécanismes de malus — ont eu pour effet de faire payer aux retraités l’équilibre budgétaire.
Transposé au régime général, ce type de gouvernance ne ferait que renforcer un déséquilibre existant. Comme le résume l’économiste Michaël Zemmour, cela reviendrait à dire : « Vous pilotez, mais sans pouvoir mettre un centime de plus. » Autrement dit, choisir entre deux sacrifices : baisser les pensions ou reculer l’âge de départ.
Le sondage Ifop pour la CGT : un rejet démocratique massif
À contre-courant de cette logique gestionnaire, le dernier sondage Ifop pour la CGT, réalisé du 2 au 4 avril 2025, montre à quel point les Français rejettent la réforme de 2023… et la philosophie qui la sous-tend.
Quelques chiffres clés :
- 68 % des Français sont favorables à l’organisation d’un référendum sur la réforme ;
- 65 % voteraient pour son abrogation, un chiffre qui grimpe à 73 % chez les salariés et 83 % chez les ouvriers ;
- 61 % souhaitent un retour de l’âge légal à 62 ans, un chiffre qui monte à 73 % chez les ouvriers et à 77 % chez les employés ;
- 56 % restent favorables à un départ à 60 ans, malgré une baisse de 15 points depuis 2022.
Ces résultats traduisent une colère sociale persistante, mais aussi un attachement majoritaire à un modèle de retraite juste, accessible, solidaire. Une majorité de Français considère que l’on ne pourra pas travailler jusqu’à 64 ans : 54 % des actifs s’en disent incapables, une proportion qui atteint 60 % chez les femmes et 66 % chez les ouvriers.
Des alternatives largement soutenues
Contrairement au discours dominant qui voudrait faire croire qu’il n’existe pas d’alternative, les réponses au sondage montrent que les solutions défendues par la CGT sont massivement soutenues :
- 82 % des Français sont favorables à la fiscalisation des dividendes ;
- 86 % soutiennent l’égalité salariale femmes-hommes comme levier de financement ;
- 76 % approuvent une hausse des cotisations patronales ;
- 78 % valident une augmentation des salaires pour renforcer le système.
Quant à la retraite par capitalisation, elle reste profondément rejetée : seuls 29 % des Français lui font confiance pour garantir leurs vieux jours. Là encore, les ouvriers sont les plus sceptiques (70 % de défiance).
Démocratie sociale ou délégation punitive ?
L’idée de confier la gestion des retraites aux partenaires sociaux pourrait sembler, sur le papier, un pas vers plus de démocratie sociale. En réalité, cela permettrait à l’État de se défausser de ses responsabilités tout en conservant le contrôle sur les grandes orientations budgétaires. Et ce sont les syndicats qui se retrouveraient à gérer l’impopulaire : suppressions, restrictions, et réformes dictées par les contraintes budgétaires imposées d’en haut.
Faire croire qu’on donne du pouvoir, quand on ne donne que les contraintes, c’est ouvrir la porte à une nouvelle étape d’austérité silencieuse. Le gouvernement veut imposer un cadre, tout en laissant aux syndicats le soin de faire avaler les mesures injustes. C’est inacceptable.
La CGT appelle à l’abrogation de la réforme et à une vraie conférence sociale
La CGT demande le respect de la volonté populaire et syndicale : abrogation de la réforme de 2023, retour à 62 ans (puis 60), prise en compte de la pénibilité, notamment dans les métiers féminisés, et organisation d’une conférence de financement incluant les leviers que l’opinion publique valide déjà largement.
Ce n’est pas de gestion technocratique dont le pays a besoin, mais d’un véritable débat démocratique sur les finalités de notre système de retraite. Le sondage Ifop est clair : les Français ne veulent pas d’un simulacre de démocratie sociale, mais d’un véritable pouvoir de décision.
Sources :
- Audrey Fisné-Koch, « Confier le pilotage des retraites aux syndicats : un cadeau empoisonné ? », Alternatives Économiques, 15 avril 2025.
- « Les Français et la réforme des retraites », Étude Ifop pour la CGT, réalisée du 2 au 4 avril 2025 auprès d’un échantillon national représentatif de 2023 personnes, représentatif de la population résidant en France métropolitaine âgée de 18 ans et plus.