Cette analyse sur l’agencement de l’emploi en champagne pointe du doigt l’émergence d’un déséquilibre structurel.
Prenez le temps de lire cet article jusqu’au bout (temps de lecture : 11 mn) et vous comprendrez mieux que, contrairement à certaines fictions « toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé n’est absolument pas fortuite »
Les chiffres auxquels il est fait référence dans le texte qui suit proviennent du document d’orientation du syndicat CGT Champagne du congrès du 18 novembre 2021. S’ils peuvent être partiels, ils reflètent néanmoins une tendance.
Si la croissance de l’emploi dans le secteur du champagne apparaît régulière depuis 2010 avec une augmentation de presque 16 % en 10 ans, d’une part, les situations diffèrent d’une Maison à l’autre, et, d’autre part, les différentes catégories d’emplois n’ont pas connu les mêmes évolutions : ainsi, les emplois de cadres ont progressé de 43 % entre 2010 et 2020, alors que les emplois ouvriers n’ont augmenté, eux, que de 8,86 % (on observe même une baisse de 8 % si l’on exclut les Maisons du groupe LVMH). L’augmentation du nombre de cadres est toutefois à nuancer corrélativement au phénomène des « petits cadres » ou « faux cadres » dont les revenus n’excèdent pas ou peu ceux des ouvriers et employés. En effet, leurs activités professionnelles pourraient en réalité relever de celle de simple employé et leur statut de cadre ne procéder que d’une combine des entreprises pour forfaitiser des salariés qui, de fait, « ne comptent pas leurs heures ». Pas perdant sur tous les tableaux toutefois, puisque, à priori, ils bénéficieront d’une meilleure pension de retraite que les ouvriers et employés.
De ce différentiel d’évolution naît un déséquilibre entre emplois productifs (ouvriers vignes et caves, maîtrises…) et emplois improductifs (cadres, cadres supérieurs et dirigeants, etc…) puisque la proportion d’emplois productifs diminue mécaniquement dans un effectif global qui lui, augmente. Or, c’est bien la richesse produite qui finance l’ensemble des salaires. À ce stade, il est utile de donner une définition de ces termes : un emploi productif, par le travail effectué, crée directement de la richesse ; à contrario, l’emploi improductif procède d’un travail qui n’en crée pas, ou pas directement. A noter que le terme d’improductif n’a rien de péjoratif et que la notion de productivité n’est pas liée à la notion d’utilité. Il est également intéressant de rappeler l’ensemble des acteurs qui puisent leurs revenus dans les richesses créées. Une tranche importante de cette richesse remplit grassement les poches des actionnaires, dont la part connaît une croissance sans commune mesure avec l’inflation et encore moins avec les salaires ; une autre part finance les hauts revenus, voire très hauts revenus des dirigeants ; puis viennent les salaires des cadres supérieurs et cadres (de plus en plus nombreux), et enfin les salaires des ouvriers et employés.
Or, les salariés productifs, de qui l’on exige de plus en plus de rentabilité, ne se voient pas récompenser du fruit de leurs efforts. En effet, les augmentations annuelles qui avoisinent généralement le 1 % et le dépassent rarement, compensent à peine l’inflation, et à fortiori sont largement englouties par l’augmentation réelle du coût de la vie. Il en résulte que les ouvriers et employés voient leur pouvoir d’achat diminuer.
Les actionnaires, eux, dans la seule considération de leur actionnariat, n’occupent pas un emploi et sont donc de fait assimilables à des improductifs. Si l’on y ajoute les dirigeants, les cadres, dont le nombre à presque doublé en dix ans, cela fait un nombre considérable d’improductifs qu’il faut rémunérer sur les richesses créées par les productifs, nonobstant le fait que certaines catégories se « gavent » littéralement.
À commencer par les actionnaires qui, pour faire court, décident eux-mêmes du montant de leurs dividendes, donc de la part des richesses qu’ils s’octroient. Inutile de préciser que contrairement aux salaires, pour l’augmentation des dividendes, on ne se réfère pas aux indices INSEE.
Naturellement, ces actionnaires se servent largement et de manière autant aléatoire que confiscatoire pour l’économie réelle, puisque les dividendes sont rarement corrélés aux résultats des entreprises. Il est intéressant de noter qu’en tant qu’improductifs, ils estiment tout de même légitime de s’octroyer une part importante des richesses tout en s’opposant aux augmentations de salaires et plus particulièrement à celles des productifs. Et ils ne sont pas les seuls du reste, puisque toute la chaîne de la hiérarchie, des hauts dirigeants jusqu’aux cadres, tend à s’opposer aux augmentations de salaires et de revenus en général pour les ouvriers et employés.
Ainsi, comble de pingrerie, ceux- là même qui exercent une pression sur les productifs à seule fin d’augmenter la productivité, leur refusent la part des richesses qui devrait leur revenir. À cela, s’ajoute les récents emplois improductifs dédiés à la sécurité au travail dont l’essence même est d’exercer une pression supplémentaire sur les salariés dans le seul but de réduire les arrêts maladie et donc de faire des économies, quitte parfois à s’affranchir du droit.
Si ce schéma semble de façon illusoire tenir économiquement, il n’en demeure pas moins qu’il procède d’une logique court-termiste, et qu’il devient proprement insoutenable socialement. D’ailleurs, tous les mouvements sociaux qui ont secoué la Champagne du mois de juillet jusqu’à la fin de l’année témoignent du fait que l’on se rapproche d’un point de rupture. Car les ouvriers ont bien conscience que dans une large mesure, ce sont eux qui créent les richesses. Or, ils voient régulièrement s’étaler dans les médias les fortunes de leurs patrons, celles accumulées par les actionnaires et les très bons résultats des Maisons de Champagne. Et « en même temps » , comme dirait le président, ils ne peuvent que constater que le « ruissellement » s’arrête au-dessus d’eux. Ainsi les théories du « ruissellement » ou du « premier de cordée » si chères à Macron, et qui ne sont en réalité qu’un ravalement de façade de la théorie de « la main invisible » d’Adam Smith, fable fondatrice du libéralisme, trouvent leur limite dans le fait que la redistribution reste tributaire de la volonté des actionnaires, patrons, cadres et autres thuriféraires(1) d’une logique libérale venue tout droit du 19ème siècle et qui œuvre à l’enrichissement de classes qui se rêvent « élites ».
En témoigne la prime P.E.P.A. : le gouvernement Macron, loin d’être le plus social que l’on ait connu, semble avoir été effleuré par l’idée qu’un peu de redistribution était peut-être nécessaire, et ce, à la fin de l’épisode « gilets jaunes », et en particulier quand la violence fut de la partie. Ainsi naquit la prime dite « Macron ». Le gouvernement évoque la reconduite de cette prime début 2021, le décret passe fin juillet. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne sera pas donnée de bonne grâce. Les salariés du Champagne ont dû l’arracher à coup de grèves, et ne l’obtiennent finalement que partiellement puisqu’elle pouvait aller jusque 2000 €, et que les plus chanceux toucheront 1000 € quand beaucoup n’ont obtenu que 200. Ainsi même quand un gouvernement ultralibéral tente d’amorcer un début de redistribution, le patronat du Champagne, lui, s’y refuse. Certes, l’amorce est légère puisque la prime n’est pas obligatoire : Macron propose, les patrons disposent ! Il semblerait donc que le patronat Champenois n’est pas mesuré l’intensité de la colère qui règne au sein du monde productif, exacerbée par l’épisode du confinement qui aujourd’hui encore nourrit un profond ressentiment.
En effet, la période particulière et trouble du confinement a accentué la scission entre le monde productif et le monde improductif. Alors que l’on confinait la population pour la protéger du COVID19, la plupart des productifs, eux, continuait de travailler. Leur exposition au virus était considérée comme un risque acceptable pour que la production continue et que l’économie perdure, ce qui nourrit chez eux le sentiment d’être des citoyens de seconde zone que l’on peut sacrifier. Le gouvernement, alors, peut être par un choix sémantique malheureux, les qualifie d’indispensables. Mais alors, que penser de tous les autres, parmi lesquels on retrouve ceux qui s’enrichissent le plus ? Mais ils ne seront les indispensables que le temps nécessaire avant de rapidement redevenir ceux que l’on peut mépriser, ceux dont on peut bafouer les droits, ceux sur qui l’on peut exercer une pression pour augmenter la productivité et ceux sur qui l’on concentre toutes les économies possibles à seule fin de faire gagner plus d’argent aux dirigeants et aux actionnaires qui pour ce faire peuvent compter sur des cadres zélés en bon soldats qu’ils sont de ceux qui les récompensent tant. La pilule est amère et aujourd’hui encore, reste bloquée dans la gorge des travailleurs. L’épisode a laissé des traces sociologiques et psychologiques qui conduisent les salariés à repenser leur condition et à remettre le travail à sa place avec l’exigence d’en vivre et d’en vivre bien. Les injonctions à produire plus et plus vite pour que d’autres s’enrichissent, deviennent insupportable à entendre. Aujourd’hui, la colère et le dégoût mettent à mal ce que La Boétie nommait la « servitude volontaire » et dont la célèbre citation « soyez résolus à ne plus servir et vous voilà libre » pourrait devenir un leitmotiv pour les luttes à venir. Car des luttes seront plus que nécessaire pour enrayer la course d’un libéralisme qui prit son élan dans les années 90 et connu une accélération vertigineuse dans les années 2000, sans jamais s’arrêter depuis.
Pour conclure, cette analyse démontre, non seulement, l’émergence d’un déséquilibre structurel, notamment entre emplois « productif et improductif », mais également que dans ce contexte de « libéralisme effréné », les patrons et les cadres dirigeants à la manœuvre dans la commission sociale de la tripartite des maisons champagne et dans les entreprises, limitent, depuis plus d’une décennie les augmentations générales de salaire aux indices Insee, et ce, malgré les résultats fleurissants de l’économie champenoise.
(1) – Thuriféraires : personne qui loue, vante quelqu’un, quelque chose avec excès : Les thuriféraires du pouvoir.
Force est de constater que malgré les excellents chiffres du champagne en 2021, la volonté de ne pas redistribuer, partager, perdure et se traduit par une augmentation générale des salaires de 2,6 % qui n’est clairement pas à la hauteur des 31 % d’évolution du chiffre d’affaires de la profession. Et, c’est ainsi que les salariés se voient refuser, une fois encore, la juste part du gâteau qu’ils ont si bien mitonné…
Tract à diffuser par tous moyens (tractage, affichage, etc.) aux salariés des maisons de champagne !
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