Augmentation des salaires : à Epernay, les ouvriers du champagne tapent du vin sur la table

Dans la Champagne, les salariés des maisons viticoles, qui devraient connaître de très bons résultats pour 2021, se mobilisent pour une revalorisation des salaires.

Sur la majestueuse avenue de Champagne, à Epernay, un jeudi matin de décembre, les voitures font résonner de propres pavés, quelques personnes marchent sans bruit vers leur boulot, des collégiens rigolent. L’avenue est le cœur symbolique et laborieux de la ville, l’une des capitales du vin à bulles qui coulera à flots pendant les fêtes. De nombreuses maisons y produisent du champagne.


Et non des moindres : Pol Roger, Mercier, Perrier-Jouët. Et Moët et Chandon, surtout, avec son bâtiment en briques claires.

“Versement de primes”

Dans la cour du siège, une statue de Dom Pérignon. Sa photo a fait le tour du monde le 1er septembre lorsque le fier moine s’est vu paré, en plus des clés et de la bouteille qu’il brandit ici depuis 1910, d’un drapeau de la CGT et d’une pancarte autour du cou «Arnault partage le magot !»

Ce jour-là, les salariés de Moët et Chandon se mettent en grève. La marque, qui règne sur le champagne, fait partie du groupe LVMH, propriété de Bernard Arnault, comme Ruinart, Veuve Clicquot ou Mercier. L’image fait tache et la boîte accède aux revendications de la CGT, qui réclamait une prime exceptionnelle «Macron». «On sort trois heures et on obtient 1 000 balles», sourit Alexandre Rigaud, délégué syndical CGT de la boîte.

A Epernay, la prestigieuse avenue de Champagne, occupée par les maisons de champagne, le 2 décembre.

Dans le local cégétiste de la Maison Burtin voisine, le gars de Moët et Chandon raconte cette lutte éclair. Une dizaine de délégués syndicaux de la CGT d’autres entreprises productrices de champagne sont là. Les coupes crépitent entre des pizzas Domino’s, une bouteille de Coca et un drapeau du Che. En quelques mois, à tour de rôle, ces cégétistes ont organisé des mobilisations suivies pour réclamer des augmentations salariales. Certaines ont abouti, principalement par le versement de primes exceptionnelles défiscalisées. Mais pour ces syndicalistes, ces primes Macron ne sont qu’une première étape. Tous revendiquent un même but, obtenir des augmentations de salaires durables, avec des primes mensuelles gravées dans le marbre, et attendent les négociations annuelles obligatoires début 2022.

«S’il faut repartir en grève, on repartira»

C’était d’ailleurs la revendication principale – des primes durables – des ouvriers de la maison Thiénot, qui ont ouvert le bal des grèves le 7 juillet.

Une mobilisation de 35 ouvriers qui s’est achevée le 2 septembre par une prime d’assiduité passée de 4,50 à 7 euros par jour de présence, une augmentation de 1,5 % des salaires et une prime «Macron» de 1 000 euros. «C’est la première fois qu’on obtient une augmentation de salaire en dehors de celles négociées au sein de la branche, résume Emmanuel Fuselier, seize ans dans la boîte et magasinier matière sèche. Le mouvement a tenu, un seul salarié a lâché à quelques jours du dénouement. Tout le monde est content, cette grève a installé un nouveau rapport de force.» Il s’arrête : «Plein de gars me le disent d’ailleurs : s’il faut repartir en grève, on repartira.»

La maison G.H Martel & Co qui produit dans la commune de Magenta, attenante à Épernay a récemment acheté cette maison sur l'avenue de Champagne.

«Cette lutte chez Thiénot, ça nous a motivés», note José Blanco, délégué CGT de Burtin et futur secrétaire général de la CGT Champagne. Dans la foulée, les autres maisons se sont mises en branle, poussées par la CGT, comme chez Piper-Heidsieck, G.H. Martel ou Union Champagne. Parfois en intersyndicale avec la CFDT, comme chez Lanson et chez Vranken Pommery, avec FO chez Burtin. Ces derniers mois, pas moins de huit maisons sont entrées en lutte, avec des échanges plus ou moins tendus avec les directions.

«Ce n’est pas fini»

Jérôme Millot, salarié chez G.H. Martel, revient sur le dénouement de la mobilisation organisée dans son entreprise. C’était mi-novembre, au bout de quarante-deux jours de lutte : une négociation sur le trottoir, devant une boulangerie, s’enclenche. Les parties conviennent plus ou moins d’un accord, formalisé quelques jours plus tard. Ce dernier comprend un supplément d’intéressement de 900 euros par salarié pour 2020. Là où les grévistes ont perdu 450 euros de retenues de salaires. «On a terminé le conflit car il y avait une première avancée, mais ce n’est pas fini»assène Jérôme Millot, payé 13,65 euros brut de l’heure. Il le répète, comme un mantra : du salaire, voilà ce qu’ils veulent.

José Blanco, secrétaire général de la CGT Champagne, et Jérôme Millot, secrétaire CSE de la CGT chez G.H Martel & Co, à Epernay, le 2 décembre.

La situation du champagne, jugée florissante par les grévistes, tranche avec celle des 4 100 salariés du secteur, ouvriers pour moitié. Après une morne année 2020 liée au Covid et à l’effondrement des exportations, il devrait s’écouler en 2021 entre 315 et 320 millions de bouteilles selon Maxime Toubart, président du Syndicat général des vignerons de la Champagne (contre 297 en 2019). D’aucuns pensent même que cela pourrait effacer les pertes estimées à 845 millions d’euros entre 2019 et 2020 (soit une chute de 17 %).

Négociations de branche

La maison Burtin a été la dernière en lutte. En octobre, les expéditions y ont été bloquées trois semaines par une intersyndicale CGT et FO. Seuls 3 des 57 ouvriers n’ont pas participé à la mobilisation, l’une des plus dures assure José Blanco, le délégué CGT de Burtin. Revendication principale : une augmentation de 6 %, pour les ouvriers et employés uniquement – les cadres ont assez obtenu de choses ces dernières années à leurs yeux.

Après une tentative de conciliation, les salariés n’ont pu obtenir satisfaction, la direction ne leur proposant qu’une prime Macron de 200 à 400 euros et une renégociation de l’intéressement.

Des ouvriers syndiqués dans le local de la CGT G.H Martel & Co, à Epernay, le 2 décembre.

«Ce n’est pas ça qu’on veut, on réclame du salaire ou une prime mensuelle sur laquelle il y a des cotisations»déplore José Blanco qui n’a pas dit son dernier mot. Après les mobilisations dans les entreprises arrive le temps des négociations de branche, fin janvier. «Cette fois, on va essayer de partir en intersyndicale CGT, FO, CFDT et CFE-CGC, promet le cégétiste. On ne lâchera pas en dessous de 3 % de salaire en plus.» 

Avec de possibles nouvelles grèves, alors même que les bulles viendront à peine d’éclater.