Campement indigne sur le hameau de Montgrimaux, commune de grauves, lors des vendanges 2023 en Champagne. © Photo Collectif We Report.

Note de l’Intersyndicat CGT du champagne :

Oui ! La lutte contre la traite d’humains lors des dernières vendanges en champagne continue. Faisant suite aux réunions séparées des 11 et 12 octobre 2023, puis à la réunion commune entre l’UMC, le SGV et les organisations syndicales du 07 novembre dernier, le Préfet a de nouveau convoqué toutes ces parties à une réunion de suivi sur le thème des vendanges, le 10 janvier 2024, à 9h00 à la préfecture de la Marne. Certes, si ces premières réunions n’ont pas encore permis d’apporter des avancées significatives dans cet épineux dossier, l’Intersyndicat CGT du Champagne, l’UD CGT du 51 et la FNAF CGT continueront à faire valoir leurs positions et mettront tout en œuvre pour que l’adage « Plus jamais ça ! » s’applique lors des prochaines vendanges

Les abominations commises lors des vendanges 2023 que nous avons qualifiées « vendanges de la honte » ont largement été reprises par la presse locale, nationale et internationale. C’est au tour du non moins célèbre journal satirique « Charlie Hebdo » de s’y coller et d’y aller de sa verve particulièrement acidulée dans un article de Yovan Simovic mis en ligne le 20 décembre 2023, paru dans l’édition 1639 du 20 décembre

Magnifique plaidoyer contre l’esclavagisme moderne et la traite d’humains… Voici son contenu :

SOCIÉTÉ

La France : ses 400 fromages, ses 4 000 victimes de traite

Yovan Simovic · Mis en ligne le 20 décembre 2023 · Paru dans l’édition 1639 du 20 décembre

Des gamins drogués et forcés à voler pour le compte d’adultes, des vendangeurs sans papiers dans des bidonvilles ou des prostituées supposément « consentantes » : bienvenue au pays des droits de l’homme ! Heureusement, le gouvernement lance un plan pour lutter « contre la traite des êtres humains ». Nous sommes sauvés ! Ou peut-être pas…

Tout ça pour ça. Alors qu’une douzaine d’avocats, représentant autant de parties civiles, six prévenus avec leurs conseils, ainsi que quatre traducteurs sont entassés dans une salle d’audience du tribunal correctionnel de Paris, ce jeudi 14 décembre, il ne s’est rien passé…

Enfin si, une erreur de procédure qui reporte à début janvier le procès de ces Algériens, âgés de 23 à 39 ans, soupçonnés de « traite d’êtres humains aggravée » au détriment de mineurs isolés, incités à voler à Paris sous l’emprise de psychotropes.

Souvenez-vous, c’était en 2021. Portefeuilles, iPhone, chaînes en or : sur l’esplanade du Trocadéro ou au pied de la tour Eiffel, des groupes de mineurs non accompagnés (MNA) font les poches des touristes dont l’expérience « Paris carte postale » se transforme rapidement en cauchemar. Le nombre des délits ­commis par les MNA affiche une progression importante dans la capitale. Ces voleurs, venus pour la plupart du Maroc, représentent les deux tiers des 4 000 mineurs déférés au parquet de Paris chaque année.

De coupable à victime

Alors qu’Éric Zemmour – condamné pour ses propos en janvier 2022 – les qualifiait de « voleurs » et d’« assassins » qui « n’ont rien à faire ici », le procès qui devait se tenir ce jeudi propose une tout autre lecture des faits. Il apparaît en effet dans le dossier que ces gamins auraient en réalité été alimentés en psychotropes par une bande d’Algériens majeurs qui les incitaient ensuite à voler pour leur compte. « Ils m’ont dit : « Tiens, prends ça, ça va te faire du bien », explique un jeune Marocain de 10 ans cité dans l’ordonnance. J‘ai pris un demi-comprimé de Rivotril, et après j’ai continué, continué, continué. »

La combinaison des psychotropes Rivotril et Lyrica provoque « une dissociation totale du corps et de l’esprit des jeunes consommateurs », souligne la magistrate, qui y voit une « opération de recrutement » des adultes pour créer « une forte dépendance » des enfants à leur égard afin « d’en tirer un bénéfice financier ».

Pour Kathleen Taieb, avocate d’un des enfants et spécialiste des affaires de traite, « ce procès est important, parce que c’est la première fois qu’on ne les arrête pas, eux, en tant qu’auteurs, mais qu’on les considère comme victimes ». Elle décrit son client, qui avait 14 ans au moment des faits, comme en « errance totale ». D’ailleurs, l’avocate de l’association Hors la rue, Céline Astolfe, également constituée partie civile, déclarait à l’AFP en novembre que « si ces mineurs commettent des délits, c’est sous la contrainte et sous l’emprise chimique ». Un prisme de lecture qui semble aujourd’hui le plus pertinent pour la juriste.

Les prestataires « champignons »

En France, les enquêtes ouvertes pour « traite d’êtres humains » se multiplient. En septembre dernier, la justice s’est notamment saisie de plusieurs affaires en lien avec les vendanges en Champagne. Chaque année, elles nécessitent l’embauche de 120 000 personnes environ, sur une période de quinze jours à trois semaines…

Et c’est l’occasion de nombreux abus. À Mourmelon-le-Petit, dans la Marne, un arrêté préfectoral ordonnait, le 8 septembre, la fermeture d’un immeuble insalubre où 160 vendangeurs de nationalité ukrainienne étaient hébergés. Quelques jours plus tard, dans le même département, les services de l’inspection du travail découvraient également un immeuble à Nesles-le-Repons, où étaient logés dans des conditions indignes 52 travailleurs d’origines malienne, mauritanienne et sénégalaise.

« C’est simple, ils recrutent des gens sur Paris, ils les envoient vers des hangars et les entassent à même le sol, sur la terre battue, avec un WC pour 30 personnes et pas de salle de bains, quasiment pas de nourriture, rien du tout, quoi », déplore Philippe Cothenet, secrétaire général adjoint de l’intersyndicat CGT du champagne.

Il dénonce l’évolution du secteur qui, pour des raisons mercantiles, « prend volontairement des sans-papiers pour être sûr qu’il n’y aura pas de scandale ».

Alors qu’historiquement ce sont « les gens du Nord qui descendaient pour faire le boulot », se souvient-il, le renforcement dans les années 2000 des normes concernant l’accueil du public – comme l’obligation de mettre moins de lits par chambre ou plus de lavabos – a poussé les vignerons à faire appel à des sociétés de prestataires pour gérer la main-d’œuvre. « Des sociétés « champignons », comme on les appelle ici, car elles fleurissent deux semaines avant les vendanges et disparaissent juste après », résume le syndicaliste. N’apparaissant plus au registre du commerce, l’entreprise ne peut donc pas être poursuivie par un vendangeur exploité qui n’a, comme cela arrive souvent, même pas été rémunéré.

Sur la commune de Grauves, toujours dans la Marne, Philippe Cothenet constatait l’été dernier des « campements » faits de palettes et de bâches plastique, et des cartons avec des tapis pour héberger les vendangeurs. « Alors, comme vous pouvez l’imaginer, dès qu’il pleut, c’est terrible », se désole-t-il. Pourtant, un décret de 1996 interdit justement l’hébergement sous tente, pour toutes les appellations champagne. « Encore faut-il que ces installations de fortune puissent être appelées « tentes »… Ce sont des bidonvilles, il faut dire le mot. »

Un rapport accablant

Selon le rapport sur la traite et l’exploitation des êtres humains en 2022 en France, paru en octobre 2023, 4 363 victimes de la traite d’êtres humains ont été repérées en France et 2 994 ont été accompagnées par les associations. Parmi elles, 76 % sont victimes d’exploitation sexuelle, dont 94 % de femmes, selon le ministère de l’Intérieur. C’est d’ailleurs l’un des axes principaux abordé par le nouveau plan du gouvernement « contre l’exploitation et la traite des êtres humains », présenté lundi 11 décembre. « Les actions de ce plan s’attaqueront évidemment au système prostitutionnel », détaillait d’ailleurs, dans une tribune, Bérangère Couillard, la ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations.

Même si elle reconnaît certains points positifs, comme la création d’un observatoire national sur la traite ou des plans de formation et de sensibilisation, Isabelle Gillet-Faye, sociologue et directrice générale de la Fédération nationale Gams (Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles, des mariages forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants), regrette notamment que les mariages forcés ne figurent toujours pas dans la définition de la traite des êtres humains revue par le gouvernement.

Pire, la sociologue considère que le plan constitue un « retour en arrière sur la question de la prostitution. Contrairement au positionnement abolitionniste de la France, on va désormais considérer qu’il existe une différence entre les femmes prostituées soi-disant consentantes et les femmes prostituées victimes de la traite, alors que c’est la même chose  », s’agace-t-elle. En bref, on tergiverse pour savoir si une femme peut vendre ou pas son corps comme elle l’entend, alors que la question devrait être : un homme peut-il l’acheter ? Limpide.