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ENTRETIEN : Congés acquis durant un arrêt maladie : « Tant que le législateur n’agit pas, les salariés sont gagnants »
Sébastien Tournaux
Professeur de droit à l’université de Bordeaux
La décision était attendue. Le 8 février, le Conseil constitutionnel, saisi pour une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), a statué : le droit français sur l’acquisition de congés payés pendant les arrêts maladie est conforme à la Constitution.
Le législateur obtient, pour le moment, un sursis : si les dispositions pointées par les requérants avaient été jugées inconstitutionnelles, il aurait fallu agir vite.
Il n’empêche, les règles hexagonales restent contraires au droit européen, ce qu’a confirmé la Cour de cassation dans deux arrêts retentissants, le 13 septembre dernier. Au vu de ce hiatus entre le droit français et les règles communautaires, les pouvoirs publics devront tôt ou tard légiférer, explique Sébastien Tournaux, professeur de droit à l’université de Bordeaux.
Que change la décision rendue par le Conseil constitutionnel ?
Sébastien Tournaux : Dans l’immédiat, les règles restent les mêmes, le Conseil constitutionnel les ayant jugées conformes à la Constitution. Pour rappel, les requérants qui avaient saisi le Conseil constitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) avaient formulé deux reproches aux dispositions actuelles.
D’abord, ils considéraient que le Code du travail n’était pas conforme au droit au repos qui est garanti par la Constitution. Dans sa décision, le Conseil constitutionnel estime que c’est une question qui doit être déterminée par le législateur. Que c’est au Parlement de décider des moyens appropriés pour garantir ce droit au repos, et non pas au Conseil constitutionnel.
Le deuxième reproche formulé était celui d’un manquement à l’égalité devant la loi. Aujourd’hui, dans le Code du travail, les salariés qui sont atteints d’une maladie « ordinaire », grippe, gastro…, n’acquièrent aucun droit à congé pendant leur arrêt maladie. Ce qui n’est pas le cas des salariés victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle qui, eux, cumulent des droits à congés, dans la limite d’une durée d’arrêt de travail d’un an.
Sur ce point, le Conseil constitutionnel a estimé qu’il n’y avait pas de rupture d’égalité : lorsque des personnes sont dans des situations différentes, la loi peut les traiter différemment.
Si le Conseil constitutionnel avait pris la décision inverse, cela aurait changé profondément les choses puisque ces règles auraient disparu du Code du travail. Cela aurait signifié que potentiellement, tous les salariés auraient pu – jusqu’à ce que le législateur intervienne – ne plus acquérir de congés payés.
Aujourd’hui, il n’y a pas de grand changement. Néanmoins, les pouvoirs publics vont devoir légiférer à un moment ou à un autre. Ils subissent une forte pression des employeurs et des organisations patronales qui vivent très mal les arrêts du 13 septembre 2023 rendus par la Cour de cassation.
Dans ces arrêts, la Cour de cassation met en conformité le droit français avec le droit européen, or il existe un hiatus entre les deux concernant le droit à congés
S.T. : Oui, nous appliquons beaucoup plus fortement que par le passé des règles européennes et cela a des conséquences pratiques extrêmement importantes pour les salariés et pour les employeurs.
Pour l’instant, et tant que le législateur ne sera pas intervenu, un salarié malade gagne indéfiniment des congés – pendant tout le temps où il est malade –, quelle que soit l’origine de sa maladie (professionnelle ou pas), en application du droit de l’Union européenne. C’est ce qu’a décidé la Cour de cassation. L’enjeu pour le gouvernement, c’est de réfléchir à comment poser des limites.
Cela fait des années que les magistrats de la Cour de cassation et les professeurs de droit alertent le gouvernement. Il a toujours complètement négligé ces avertissements. Mais tant que le législateur n’agit pas, les dispositions sont favorables aux salariés.
Les employeurs et organisations patronales, qui font pression sur le gouvernement, craignent pour les coûts que cela impliquerait. Qu’en est-il ?
S.T. : Incontestablement, ça va leur coûter de l’argent. Le passé inquiète les employeurs : jusqu’où le législateur fixera-t-il la rétroactivité des jours de congé non pris ? Par exemple, un salarié qui a été malade il y a deux ans et à qui on n’a pas donné de congés payés à son retour, peut saisir le juge et obtenir la condamnation de son employeur. Et il y a un certain nombre de personnes qui ont des arrêts maladie !
« Va-t-on payer pour l’avenir ? » est également un motif de préoccupation des organisations patronales et des employeurs. La réponse est entre les mains du législateur. Plus le législateur attend longtemps, plus la facture augmente. Selon ce qu’il décidera, la note sera plus ou moins salée.
Il n’est pas impossible que la question fasse partie de la réforme du droit du travail annoncée en fin d’année dernière par le gouvernement. Le Premier ministre en a reparlé lors de son discours de politique générale. Prescription pour les licenciements – fixée aujourd’hui à un an pour contester –, seuils d’effectifs des CSE ou limitation du droit à congés, on s’attend à une réforme d’une certaine ampleur pour 2024.
La CGT et ses organisations mènent des procédures pour que le gouvernement adapte la loi française à la directive européenne de 2009 sur le droit à congé payé, notamment pendant les arrêts maladie, et pas seulement pendant les arrêts pour accidents du travail et maladies professionnelles.
A ce sujet, prenez connaissance et/ou téléchargez le document : droit en liberté N° 201 de février 2024 ci-dessous, en cliquant sur le lien de téléchargement situé sous la visionneuse .Pdf