Annoncé fin mai, le plan d’action du gouvernement contre la fraude sociale cible certes les employeurs et professionnels de santé, mais stigmatise surtout les allocataires.
Par Catherine Abou El Khair
Le dernier plan d’action remontait à 2021, lorsqu’Olivier Dussopt était ministre de l’Action et des Comptes publics. Deux ans après, place aux annonces de son successeur, Gabriel Attal. Le 30 mai dernier, le numéro 2 de Bercy a détaillé ses mesures contre la fraude sociale, présentée comme un « impôt caché sur les Français qui travaillent ».
La fraude sociale, on le sait, revêt plusieurs facettes. Elle porte à la fois sur les recettes de la Sécurité sociale, à savoir les cotisations sociales non versées par les entreprises, et sur le versement indu et frauduleux de prestations de santé, de solidarité ou de retraites. Jouant sur les deux tableaux, le nouveau plan prévoit le recrutement de 1 000 équivalents temps plein d’ici à 2027 dans les différentes caisses de sécurité sociale.
Objectifs modestes face au travail illégal
Un quart de ces postes, soit 240, viendront renforcer la chasse aux cotisations dans les Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (Urssaf).
Ce sont elles qui doivent s’assurer que les entreprises déclarent l’intégralité de leur activité salariée et que les travailleurs indépendants ne masquent pas une partie de leur chiffre d’affaires.
Entre 2018 et 2022, les Urssaf ont détecté plus de 3,5 milliards d’euros de fraudes à la suite de contrôles, notamment dans le BTP, les services aux entreprises, les transports ou encore le commerce. Un objectif porté à 5 milliards d’euros ces cinq prochaines années.
Montant des fraudes détectées et estimées en 2021 (sauf mention contraire), en euros.
* Toutes les branches de la Sécurité sociale ne donnent pas une estimation des montants de la fraude. Pour la Cnaf, la fraude est estimée à 2,8 milliards d’euros. Pour les caisses de retraite, entre 0,1 et 0,4 milliard d’euros.
** La fraude détectée se répartit comme suit : Cnaf (2022), 351,4 millions d’euros ; assurance maladie, 57 millions d’euros ; caisses de retraite, 25,6 millions d’euros ; Pôle emploi (2019), 212 millions d’euros.
*** Calculs Alternatives Economiques à partir des estimations de répartition de fraude de la Cnam, qui note que « près des trois quarts » de la fraude détectée (315,8 millions d’euros) viennent des professionnels de santé (soit 237 millions).
Source : Solidaires finances publiques, ministère de l’Economie, Observatoire du travail dissimulé du HCFiPS, bilan Urssaf, Cnaf, Cnam, Cnav, Cour des comptes
La lutte contre le travail illégal s’est complexifiée ces dernières années, avec le phénomène des entreprises dites « éphémères ». Leur objectif est de bénéficier de différentes aides : par exemple en embauchant de faux salariés, puis en faisant liquider l’entreprise, elles peuvent bénéficier du mécanisme de garantie des salaires (AGS). Pour y remédier, le gouvernement compte notamment exiger que les entreprises en procédure de liquidation amiable attestent du règlement de leurs cotisations et contributions sociales.
Les micro-entrepreneurs travaillant sur les plates-formes de travail sont également dans le viseur du gouvernement. Près de 90 % des chauffeurs VTC et 73 % des livreurs sous-déclarent leurs revenus, voire ne déclarent rien du tout.
D’ici à 2026, les plates-formes devront déclarer leurs chiffres d’affaires et s’occuper à partir de 2027 du versement des cotisations dues par les micro-entrepreneurs, soit une « retenue à la source ». Les montants non ou sous-déclarés s’élevaient à 814 millions d’euros en 2021, soit 144 millions d’euros de cotisations.
Face aux renforts annoncés, les organisations syndicales demeurent sceptiques. « Ce qu’on rajoute sur les contrôles, on le retire sur d’autres services », avertit Guillaume Danard, de la CFDT. Cécile Velasquez, de la CGT, dénonce aussi l’instauration par la loi en 2018 du « droit à l’erreur », qui annule les redressements effectués par l’Urssaf en cas de bonne foi de l’employeur. Du temps perdu pour leurs services.
Les objectifs fixés demeurent en outre modestes face à l’étendue du problème. D’autant qu’il faut réussir à récupérer les créances détectées. « Le taux des recouvrements de la fraude au travail illégal serait de l’ordre de 10 % », indique Guillaume Danard.
10 % des fraudes effectivement débusquées qui s’élevaient à 788,1 millions d’euros en 2022, quand le manque à gagner lié au travail dissimulé ainsi qu’à la correction d’erreurs de déclarations atteint entre 5,6 à 7,1 milliards d’euros en 2021, selon la Caisse nationale des Urssaf (Acoss).
Le non-recours aux prestations éclipsé
Les efforts vont également s’intensifier sur les prestations sociales. L’exécutif a fixé un objectif de 3 milliards d’euros de préjudices à détecter sur le quinquennat pour les allocations sociales et de retraite. Soit 700 millions d’euros de plus que le précédent objectif quinquennal.
Pour y parvenir, l’exécutif veut généraliser en 2025 le préremplissage automatique des déclarations de ressources servant aux demandes de RSA et de prime d’activité. Une manière de prévenir les erreurs et tentatives de fraudes, qui s’élèveraient à 2,8 milliards d’euros en 2021, selon les estimations de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf).
En outre, la modernisation des systèmes d’information des caisses de sécurité sociale – dans laquelle un milliard d’euros seront aussi investis – permettra « aux CAF de recouvrer jusqu’à cinq années de versements indus en cas de fraude ». Associations et syndicats dénoncent une stigmatisation des allocataires.
« [Si] le coût de la fraude à l’ensemble des prestations sociales se situe entre 6 et 8 milliards d’euros par an selon la Cour des comptes, l’économie pour les finances publiques résultant du non-recours à ces aides est bien supérieure », lance l’Uniopss, qui rassemble le monde associatif du secteur social et médico-social.
A la CGT, Cécile Velasquez se dit déçue des mesures concernant la traque aux surfacturations des professionnels de santé. Les fraudes ou fautes commises par des médecins généralistes, infirmiers, kinésithérapeutes, pharmaciens et transporteurs de patients représentent en effet un montant estimé entre 1,1 et 1,3 milliard d’euros, soit 3 à 7 % des dépenses d’assurance maladie concernées.
La Cour des comptes suspecte des préjudices supérieurs. Extrapolé à l’ensemble des soins, le manque à gagner pourrait atteindre 3,8 à 4,5 milliards d’euros. En attendant, l’objectif de détection fixé par Bercy à l’Assurance maladie s’élève à 500 millions d’euros en 2024. Des montants qui restent dérisoires comparés à la fraude fiscale.