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Les membres du COR (Conseil d’orientation des retraites) ont acté plusieurs changements pour leurs prochains rapports. Outre la relégation aux annexes de la convention comptable qui affichait le plus rapidement des excédents, d’autres nouveautés vont permettre de mieux apprécier les choix budgétaires du gouvernement.

Il est rare que la méthodologie et l’agencement d’un document administratif fassent l’objet d’autant d’attention. Les décisions prises par les membres du Conseil d’orientations des retraites (COR), réunis le 20 avril pour préparer le prochain rapport annuel, ont rapidement fait le tour de la presse.

Il faut dire que depuis plusieurs mois, le COR subit des tirs croisés de la part du gouvernement et d’une partie des médias. Ils reprochent à ses rapports, avec ses multiples hypothèses, de manquer de lisibilité et de ne pas avoir permis d’établir un consensus sur le narratif de l’exécutif, à savoir : la réforme ou la faillite. « Chacun obtient le scénario qu’il souhaite, ça a brouillé les pistes », se serait agacée la Première ministre Elisabeth Borne, qui réfléchirait à réformer le Conseil, selon Franceinfo.

Dans ce contexte, les membres du COR ont décidé la semaine dernière de reléguer aux annexes du rapport de juin prochain la convention comptable qui ramène le plus rapidement les comptes des retraites dans le vert. En outre, un nouveau scénario permettra de mieux appréhender les choix budgétaires du gouvernement.

Plusieurs manières de calculer le déficit

Pour mémoire, le COR déclinait historiquement le déficit en deux conventions comptables : la « convention COR », qui deviendra « taux de cotisation constant » (TCC) ; et la convention équilibre permanent des régimes » (EPR) qui reprend le solde tel qu’il figure dans les comptes officiels de la Sécurité sociale.

Pour les comprendre, il faut avoir en tête la spécificité du régime de la fonction publique d’Etat et des régimes spéciaux. Ceux-ci sont automatiquement équilibrés grâce à une contribution de l’Etat prévue par la loi.

La convention EPR applique stricto sensu cette règle. A l’inverse, la convention TCC figeait les taux de cotisations de ces régimes afin d’observer quelle serait l’évolution budgétaire du système sans nouvelle contribution de l’Etat.

Problème, les choix des gouvernements successifs de faire des économies sur la masse salariale des fonctionnaires, par une baisse des recrutements et le gel du point d’indice, rétrécissait l’assiette de cotisation, réduisant les recettes des caisses de retraites dans la convention TCC et creusant leur déficit.

« Cette dégradation ne s’expliquait pas par des évolutions propres au système de retraite mais par des hypothèses plus restrictives sur l’évolution de la masse des traitements des fonctionnaires », rappelle le secrétariat général du COR dans un document de travail publié il y a tout juste un an.

Afin de contrebalancer ce diagnostic, le Conseil a instauré une troisième convention en 2017 : « EEC » pour « effort de l’Etat constant ». A l’inverse de la TCC, celle-ci maintient le même effort contributif de l’Etat au système, exprimée en points de PIB (elle était d’ailleurs appelée « convention PIB » au début).

En résumé, le COR présentait donc trois types de projections : dans le premier, TCC, l’Etat baisse davantage sa contribution au système ; dans le second, EPR, l’Etat contribue à hauteur de ce que prévoit la loi ; dans le troisième, EEC, l’Etat maintient le même niveau de contribution.

Entre la poursuite de la politique salariale restrictive de l’Etat et la fin du régime spécial de la SNCF voté en 2018, maintenir la convention TCC n’apparaissait plus pertinent. Le Comité de suivi des retraites l’avait d’ailleurs relevé dans son avis 2021. Ainsi, le COR ne l’utilise plus depuis le rapport de septembre 2022.

Seule la convention EPR sera mise en avant

Puisqu’à terme, il n’y aura plus de retraités cheminots et qu’il y aura moins de retraités de la fonction publique d’Etat, la contribution de l’Etat va aussi baisser dans la convention EPR : représentant 2 % du PIB aujourd’hui, elle serait divisée par deux, voire trois, à l’horizon 2070, d’après les dernières projections du COR.

Or, puisqu’elle la maintient à 2 %, la convention EEC retient plus de recettes et fait revenir plus rapidement dans le vert le solde du système : il serait excédentaire dès 2039 dans le meilleur scénario, contre 2059 avec la convention EPR.

Certains opposants à la réforme ont préféré se concentrer sur EEC, comme l’économiste Thomas Porcher, afin de contredire l’argument du gouvernement sur la supposée situation d’urgence financière. A l’inverse, le gouvernement dans son étude d’impact, comme le président du COR Pierre-Louis Bras lors de ses auditions au Parlement, ont utilisé la convention EPR.

Chez les spécialistes, EEC ne faisait pas l’unanimité. L’économiste Antoine Bozio émettait déjà des critiques dans un post de blog publié en décembre sur le site de l’Institut des politiques publiques (IPP), qu’il dirige. D’après lui, « cette convention mélange le diagnostic et un élément de réponse possible pour financer le système ». Cela ne l’empêche pas, au passage, de juger « pas tout à fait correctes » les attaques dont fait l’objet le COR, notamment de la part du gouvernement qui le tient responsable du manque de compréhension de la réforme.

En effet, la convention EEC suppose que les marges de manœuvres budgétaires dégagées avec la baisse des contributions de l’Etat aux régimes spéciaux et à celui de ses fonctionnaires sont intégralement réallouées au financement du système de retraite.

Dans la note de présentation générale de sa réunion de la semaine dernière, le COR indique qu’ECC « n’était présentée qu’à titre illustratif », mais que par souci de « lisibilité », les ressources et le solde du système seront désormais « présentés selon la seule convention EPR », qui a l’avantage de « refléter la législation actuelle »« La convention EEC sera néanmoins présentée en annexe du rapport », précise le document. Un choix auquel souscrit Antoine Bozio.

Par ailleurs, le COR propose déjà quatre hypothèses économiques, avec les deux conventions comptables EPR et EEC, cela faisait huit scénarios de solde budgétaire, qui peuvent être encore déclinés selon les hypothèses démographiques ou de taux de chômage.

« Ce n’est pas complètement scandaleux de se polariser sur une hypothèse centrale », réagit pour sa part Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE et membre des Economistes atterrés, « c’est une question de présentation »« Ce n’est pas tragique que la convention EEC ne soit plus mise en avant, d’autant qu’elle sera toujours disponible en annexe », ajoute-t-il.

L’hypothèse de plein-emploi devient la première

Le choix de la convention n’est pas la seule décision prise par les membres du COR la semaine passée.

Notamment, l’hypothèse centrale de taux de chômage sera désormais de 4,5 % dans le prochain rapport. Jusqu’à présent le Conseil retenait le chiffre de 7 %. Mais il est obligé d’intégrer les objectifs du gouvernement sur le quinquennat, inscrit dans « le programme de stabilité », un document envoyé chaque printemps à Bruxelles dans lequel l’exécutif décrit la trajectoire des finances publiques jusqu’en 2027.

Or, Emmanuel Macron a promis l’atteinte du plein-emploi lors de sa campagne présidentielle. Dans le programme de stabilité de l’année passée, exceptionnellement transmis en juillet pour cause d’élections, l’objectif mentionné était un chômage de 5 % d’ici la fin du quinquennat.

Cela avait d’ailleurs compliqué la tâche du COR, qui n’avait eu qu’à peine plus d’un mois pour faire ses calculs. Il avait alors tenté d’intégrer les hypothèses du gouvernement tout en maintenant les siennes à long terme, brouillant une partie de ses résultats, comme Alternatives Economiques l’avait expliqué.

Par définition, un taux de chômage plus bas implique plus de travailleurs donc plus de cotisations, ce qui améliore les comptes du système.

Les experts sont toutefois sceptiques sur l’atteinte du plein-emploi, les prévisions de la Banque de France comme de l’OFCE indiquant plutôt une remontée dans les années à venir. Le COR proposera toujours une variante à 7 % ainsi qu’un scénario très pessimiste avec un taux de chômage à 10 % et une faible productivité du travail.

La politique salariale du gouvernement mise à nu

Une autre nouveauté, particulièrement intéressante, est l’ajout d’un nouveau scénario concernant la politique salariale dans la fonction publique.

Là aussi, le COR s’appuie sur les données transmises par le gouvernement pour fixer une hypothèse d’évolution de la masse salariale de la fonction publique et donc d’une partie des recettes.

Or, comme l’avait révélé le collectif Nos services publics, ces données indiquaient « une stabilité des effectifs globaux pour la fonction publique » et « un quasi-gel des rémunérations sur toute la durée du quinquennat », le tout en contradiction avec certaines lois déjà votées, comme le Ségur de la santé qui prévoit des recrutements supplémentaires.

Et « une grande partie du déficit du système s’explique par une chute des recettes liées aux hypothèses de compression de la masse salariale de la fonction publique », en particulier dans la territoriale et l’hospitalière, rappelle Henri Sterdyniak.

Désormais, le COR affichera toujours une projection comprenant les données transmises par le gouvernement et une autre où la rémunération des fonctionnaires évoluerait comme dans le privé. « L’introduction d’une telle variante permettrait de mesurer l’effet sur le système de retraite d’une évolution des rémunérations des fonctionnaires moins exigeante », justifie le COR.

« C’est une bonne chose », se félicite Antoine Bozio. « Avec cette variante, on décryptera mieux ce qui se passe. » « Cela permettra d’ouvrir un débat plus net et plus politique sur la stratégie du gouvernement de compression du secteur public », espère Henri Stedyniak.

Une décomposition du solde entre les recettes et les dépenses

Enfin, à côté du solde, désormais présenté uniquement avec la convention EPR, sera affichée une décomposition de celui-ci avec les recettes et les dépenses en tête de la synthèse du rapport. Tout le monde pourra constater que le déficit ne résulte pas d’un dérapage des dépenses, qui sont stables ou en baisse dans presque tous les scénarios, mais d’un manque de recettes.

C’est d’ailleurs l’écho de cette affirmation, répétée par Pierre-Louis Bras devant les parlementaires, et largement reprise par la suite, qui a agacé Elisabeth Borne. Pourtant, quelle que soit la présentation que choisira le COR, ce constat ne changera pas.

Le prochain rapport du COR comprendra en outre deux chapitres sur la dernière réforme des retraites, l’un sur l’impact financier, l’autre apportera « des résultats complémentaires à l’étude d’impact » du gouvernement, en exposant les effets des mesures selon différents critères (génération, genre, situation professionnelle, niveau de pension, etc.).

La présentation de l’évolution du niveau de vie des retraités par rapport aux actifs mériterait peut-être elle aussi d’être améliorée pour lui donner plus de visibilité. Véritable alerte du Conseil à chaque rapport, elle demeure sous les radars du débat public.