Les négociations sur l’assurance chômage et sur le nouveau pacte de la vie au travail témoignent de la fragilisation des deux piliers de notre démocratie sociale, le paritarisme et le dialogue social, par une volonté affichée de démantèlement de notre système paritaire. Dès le premier mandat d’Emmanuel Macron, l’exécutif, Bruno Lemaire en tête, n’a de cesse de vouloir reprendre la main sur le paritarisme cher aux organisations syndicales et patronales.
Ne lorgnerait-il pas sur les réserves des institutions paritaires, véritables « Magot » à leurs yeux, pour combler le besoin d’argent de l’état, notamment en matière de déficit budgétaire qui s’élève 5,5 % du PIB en ce début d’année 2024, alors que celui-ci ne doit pas dépasser 3 % selon les critères de Maastricht ?
Sans parler de la dette abyssale des administrations publiques qui s’établit à 3 101 Milliards, soit 110,6 % du PIB à fin 2023, alors qu’elle ne devrait pas dépasser 60 % selon les critères de Maastricht.
ATTENTION DANGER ! Tous les moyens sont bons pour ne pas faire payer les riches…
C’est ce qu’évoque Sabine Germain dans son article intitulé :
« PARITARISME Comment Emmanuel Macron a dynamité la démocratie sociale » publié dans la revue numérique « Alternatives Economiques », le 25 mars 2023.
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Les négociations sur l’assurance chômage et sur le nouveau pacte de la vie au travail témoignent de la fragilisation de notre démocratie sociale et de ses deux piliers : le paritarisme et le dialogue social. Un démantèlement accéléré dès le premier mandat d’Emmanuel Macron.
« Je considère que l’Etat devrait reprendre la main sur l’assurance chômage de façon définitive », a déclaré Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, à nos confrères du Monde le 6 mars dernier. Reprendre la main, c’est-à-dire évincer les partenaires sociaux de la gouvernance de l’Unédic, l’association chargée par délégation de service public de gérer l’assurance chômage depuis sa création, en 1958.
C’est ce qu’on appelle le paritarisme : tous les deux à trois ans, les représentants des cinq organisations syndicales représentatives de salariés (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT et FO) et des trois organisations patronales (CPME, Medef et U2P) se réunissent pour négocier une convention définissant les règles de cotisation (des salariés et des entreprises) et d’indemnisation des chômeurs en fonction de la conjoncture économique et de l’état du marché du travail.
Cette négociation se fait toutefois dans un cadre contraint : celui de la « lettre de cadrage » adressée par le gouvernement aux partenaires sociaux. En 2018, l’exécutif a déjà manifesté sa volonté de reprendre la main sur la gestion de l’Unédic par la voie de cette feuille de route : convaincu – malgré les études prouvant le contraire – que des allocations chômage trop généreuses ne donnent pas envie de reprendre un emploi, le gouvernement d’Edouard Philippe a fixé des objectifs d’économies si intenables que les négociations n’ont pu aboutir dans le délai imparti de quatre mois.
L’assurance chômage est alors entrée dans un régime de carence, permettant à l’Etat de gérer l’Unédic par décret. Les partenaires sociaux ont retenu la leçon : en dépit d’un cadre tout aussi contraint en 2023, ils sont parvenus à un accord, conscients que tout nouvel échec signerait la fin du paritarisme. Ce qui n’empêche pas le gouvernement de remettre régulièrement en question les termes de cet accord.
Conseil national de la Résistance
Le paritarisme de gestion est pourtant intimement lié à la construction de notre modèle social tel qu’il a été pensé par le Conseil national de la Résistance (CNR) à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Déléguer la gestion de la Sécurité sociale aux salariés et aux employeurs devait contribuer à l’avènement d’une démocratie sociale perçue comme le meilleur rempart contre le fascisme.
Au fil des années, de nouvelles missions sociales ont été organisées dans ce cadre : la retraite complémentaire (Agirc en 1947 et Arrco en 1961), le « 1 % logement » (1953), l’assurance chômage (1958) et la formation professionnelle (1970).
En 1996, au motif que la Sécurité sociale ne concerne pas que les salariés mais l’ensemble de la population, le gouvernement Juppé a repris la main sur la gestion de l’assurance maladie. Depuis, son budget est fixé chaque année par les lois de financement de la Sécurité sociale (LFSS) et les partenaires sociaux n’ont plus qu’un rôle consultatif.
C’est avec un raisonnement similaire, mais confinant cette fois au sophisme, que l’exécutif affirme aujourd’hui sa légitimité à gérer l’assurance chômage : en 2019, la part salariale des cotisations chômage de 20 millions de salariés a été supprimée. En contrepartie, le taux de CSG a été relevé de 1,7 point : une fraction de la CSG « Activité » est désormais affectée à l’Unédic. L’Etat participant désormais au financement de l’assurance chômage, il a parfaitement le droit de la gérer. CQFD.
Inquiets du risque planant sur ce pilier de notre démocratie sociale, les dirigeants des organisations syndicales et patronales ont répondu présents, le 20 mars, à l’invitation de l’Association des journalistes de l’information sociale à débattre autour de la question : « Le paritarisme va-t-il disparaître ? »
« Nous sommes conscients de la gravité du moment, a affirmé Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT. Nous avons face à nous un gouvernement qui rompt avec tout l’héritage et la tradition française. Car ce qui fonde notre identité, ce n’est pas le fait d’être blanc depuis dix générations, comme on veut nous le faire croire. C’est l’héritage du Conseil national de la Résistance : la Sécurité sociale et les services publics. »
A l’autre bout de la table et du spectre social, Patrick Martin, président du Medef, réaffirme son « attachement viscéral au paritarisme de gestion et de négociation » :
«Par les régimes que nous gérons, nous versons 235 milliards d’euros de prestations annuellement. Imaginer que par dogmatisme ou défaitisme nous confiions l’intégralité de ces régimes à l’Etat – dont je n’ai pas constaté à ce jour l’efficacité gestionnaire – me semble économiquement aberrant. »
Puis il ajoute, d’un ton grave :
« Les démocraties illibérales existent. Nous ne savons pas qui sera aux manettes de l’Etat demain. »
Le magot des réserves
« Les attaques sur le paritarisme ont toujours le même ressort, décrypte Frédéric Souillot, secrétaire général de FO. Quand l’Etat a besoin d’argent, il lorgne sur les réserves des institutions paritaires. »
« Ces réserves sont bien la preuve de notre capacité à gérer, ajoute Cyril Chabanier, président de la CFTC. Les leçons du ministre de l’Economie et des Finances, on s’en passe très bien. »
Au fil des années, les régimes de retraite complémentaire Agirc-Arrco ont constitué 68 milliards d’euros de réserves pour faire face au choc démographique du papy-boom. En pleine réforme des retraites, en 2023, le gouvernement a tenté d’en capter 1 à 3 milliards par an pour contribuer au financement des petites pensions. Face à l’opposition déterminée des partenaires sociaux, il a fini par renoncer.
En revanche, il se sert régulièrement dans les caisses d’Action logement, le premier producteur français de logements sociaux (financé par le « 1 % logement »). En 2020, par exemple, pour boucler son budget et compenser les 5 milliards de baisses d’impôts sur le revenu promis aux ménages, le gouvernement a ponctionné 500 millions. Sa volonté de capter 300 millions supplémentaires en 2023 a échoué. Mais vu l’état des finances publiques, on peut s’attendre à de nouvelles tentatives…
Au-delà de ces considérations financières, Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, voit dans ces attaques contre le paritarisme un véritable projet politique :
« En 2016, avant même d’être élu Président, Emmanuel Macron a annoncé dans son livre-programme Révolution un pouvoir vertical qui ne veut pas de contre-pouvoir, rappelle-t-elle. Les organisations font partie de ces contre-pouvoirs dont ils ne veulent pas entendre parler. »
Et François Hommeril, président de la CFE-CGC d’ajouter :
« Dès le premier jour de son premier mandat, en 2017, le Président a dit qu’il ne voulait pas voir les partenaires sociaux autour de lui mais dans les entreprises. A l’heure actuelle, par exemple, il fait tout pour décrédibiliser la négociation sur le Pacte de la vie au travail [qui traite notamment de l’emploi des seniors, en réponse au recul de deux ans de l’âge de départ à la retraite, NDLR]. Pour créer un rapport de force avec les organisations patronales, il aurait pu les menacer de conditionner à la signature d’un accord les 200 milliards d’aides dont les entreprises bénéficient. Il s’en est bien gardé. »
Dans cette tragicomédie sans cesse rejouée de l’affrontement entre partenaires sociaux sous les yeux d’un exécutif qui compte les points, les syndicats de salariés se sont longtemps battus en ordre dispersé.
La volonté délibérée du pouvoir élyséen de les écarter systématiquement a au moins conduit à les rapprocher. En témoignent l’émergence d’une intersyndicale qui a tenu bon pendant le conflit sur la réforme des retraites, ou, plus récemment, le communiqué « 10 propositions en commun » que toutes les organisations syndicales ont signé pour peser dans la négociation sur le pacte de la vie au travail.
Dialogue social : en panne à tous les étages
Cette unanimité, suffisamment rare pour être saluée, suffira-t-elle à renverser la vapeur et aboutira-t-elle à des accords de qualité ?
Un bon dialogue social suppose d’être deux. Or, on ne peut pas dire que l’exécutif ait vraiment encouragé les négociations interprofessionnelles depuis 2017. Il est loin le temps de la « loi Larcher ». La loi du 31 janvier 2007 sur la modernisation du dialogue social prévoyait qu’avant tout projet de loi sur un thème social (sur l’emploi, le marché du travail ou la formation professionnelle…), le gouvernement consulte les partenaires sociaux dans le but d’ouvrir des négociations sur ces sujets. Mais dès son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron a légiféré par ordonnances et n’a pas pris pour habitude de concerter, ou seulement pour la forme, les partenaires sociaux.
Quant à l’ANI (Accord national interprofessionnel) du 14 avril 2022 « relatif à un paritarisme ambitieux et adapté aux enjeux d’un monde du travail en pleine mutation », il ne change pas grand-chose à la donne.
Il prévoit, certes, « la construction d’un agenda économique et social paritaire autonome » : une façon de prendre un peu de distance avec l’agenda social imposé par le gouvernement. Mais les accords signés depuis 2017 ont une teneur sociale assez limitée : l’ANI de 2018 sur la formation professionnelle a réduit la contribution des employeurs, qui a été ramenée de 1,6 % à 1 % de la masse salariale.
« Cela a créé un trou dans la caisse au moment même où la question des compétences est au cœur des transformation numériques, environnementales et démographiques en cours et requiert de gros investissements en formation », regrette Sophie Binet.
L’ANI de 2023 sur le partage de la valeur au sein de l’entreprise a pour sa part généralisé les dispositifs de partage de la valeur ajoutée au profit des salariés des PME notamment. Il a ainsi permis d’éviter d’aborder les questions salariales qui ont été renvoyées aux négociations de branche.
Retour de l’inflation oblige, la rémunération (salaire et primes) est devenue le sujet central du dialogue social de branche, comme le montre le bilan établi par la Direction générale du travail (DGT) : avec 1 495 accords signés en 2022, la négociation au niveau des branches professionnelles a certes progressé de 42 % par rapport à l’année précédente. Mais une large part de ces accords a visé à mettre les grilles salariales à jour en ajustant les minima conventionnels sur les revalorisations successives du Smic.
Quant au dialogue social d’entreprise, il a été totalement déstabilisé par les ordonnances Travail de 2017 ratifiées dans le cadre de la loi du 29 mars 2018 censée, comme son nom l’indique, « renforcer le dialogue social ». « Comment une telle réforme a-t-elle pu aboutir cinq ans plus tard à l’épuisement des représentants des salariés ? », se sont demandé Aude Reygades et Delphine Villaume, deux expertes du dialogue social dans nos colonnes en 2023.
D’une part, la fusion des instances représentatives du personnel (délégués du personnel, comités d’entreprise et comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) au sein d’une instance unique, le comité social et économique (CSE) a réduit leurs moyens humains et matériels alors même que le champ de leurs responsabilités s’est considérablement élargi. Ce faisant, elle a éloigné les représentants du personnel des réalités du terrain, en particulier sur les questions de santé, rendant illusoire la volonté affichée d’encourager les démarches de coconstruction.
« Le droit du travail s’est construit dans l’optique de corriger le déséquilibre structurel entre les salariés et les employeurs (…). Promouvoir le dialogue social en entreprise n’a de sens que si la démarche s’accompagne de mesures permettant de rééquilibrer ce rapport de force », rappellent à cet égard Aude Reygades et Delphine Villaume.
C’est précisément l’angle mort du macronisme : en refusant le principe même de cet équilibre des pouvoirs, il sape les fondements de notre démocratie sociale.