Situation de l'enherbement non-maitrisé des vignobles des principales grandes maisons de champagne, courant mai 2023.

Ce mois de mai 2023 fut le théâtre d’une invasion de l’herbe sans précédent dans les vignes, en particulier dans les vignobles des grandes Maisons qui ont renoncé à l’usage de désherbant pour des raisons écologiques, peut-être, pour des raisons commerciales, sûrement.

Pour les ouvriers vignerons, cette invasion de l’herbe a occasionné et occasionne encore une pénibilité supplémentaire qui vient s’ajouter à celle des sols accidentés, détériorés par le travail du sol et celle des fortes chaleurs. Ce surcroît de pénibilité est d’autant plus mal vécu qu’il intervient juste après le passage en force de la réforme des retraites par le gouvernement qui va allonger, à minima, la durée du travail de 2 longues années supplémentaires.

Le problème de l’herbe étant général, les directions des grandes maisons de champagne ainsi que des organismes comme le C.I.V.C s’interrogent sur le déroulement de la saison (météo défavorable qui empêche le passage des tracteurs, mauvaises organisations, mauvaise gestion, manque d’anticipation…) et réfléchissent à ce qui pourrait être corrigé. Mais qu’en restera-t-il une fois que la récolte sera rentrée ? S’inquiétera-t-on encore de la pénibilité subie par les ouvriers vignerons dont beaucoup sont saisonniers ?

Au sein de l’Intersyndicat CGT du champagne nous pensons que la saison n’est pas la bonne échelle de réflexion. Il faut revenir un peu plus en arrière. Le 10 août 2018 Monsanto perd le procès très médiatisé que lui intente Dewayne Lee Johnson, un jardinier américain atteint d’un cancer en phase terminale qu’il attribue à son exposition aux herbicides de la firme. Ce procès aura un impact considérable sur le monde agricole en général. Le monde s’émeut, le public découvre Monsanto et le glyphosate, érigé en totem de la pollution phytosanitaire et de l’empoisonnement des utilisateurs comme des consommateurs.

En France, les médias s’emparent du sujet, des personnalités médiatiques et politiques surfent sur la vague pour tenter de faire interdire le glyphosate, une noble cause au demeurant, car ne plus répandre de substance cancérigène dans nos sols est indéniablement une bonne chose. Mais les scandales nés d’un fait divers accouchent généralement du triomphe de l’émotion sur la raison. Et les conséquences sont loin d’être anodines.

D’une part, les désherbants, devenus « stars » à leur dépens, occulteront durablement les autres pesticides, et notamment les fongicides dont certains sont bien plus dangereux que les herbicides de par leur composition, leur nombre, l’accumulation de ces derniers, et leur volatilité, celle-ci étant aggravée en viticulture par le mode d’épandage vertical.

D’autre part, une confusion fut entretenue, ou, du moins, jamais éclaircie, entre l’utilisation des désherbants aux USA, et celle qui en était faite en France.

Or, cette confusion permit à certaines entreprises de l’agro-alimentaire de se construire une image « verte » en se privant simplement d’un produit de confort de travail tout en continuant à utiliser des fongicides qui assurent les récoltes.

Le champagne s’engouffrera lui aussi rapidement dans cette brèche. Dès la fin de l’année 2018, année de la condamnation de Monsanto donc, le Comité Champagne affiche ses ambitions « écologiques » : le zéro herbicide à l’horizon 2025 et la certification environnementale de 100 % de ces exploitations votés en assemblée générale de l’AVC. Il faut avant tout rassurer la clientèle : plus de désherbant donc, mais pour ce qui est des fongicides, on attendra leurs interdictions. Pas de scandale, pas d’urgence !

Les grandes Maisons s’inscriront dans la même démarche. Et, loi de la concurrence oblige, il faudra être les premiers. Les premiers à « communiquer » surtout. L’enjeu est énorme : il s’agit de conserver et éventuellement d’élargir la clientèle dont les exigences évoluent au gré des préoccupations sociétales, et donc, des hystéries médiatiques. Mais sur un sujet aussi sensible, on ne peut pas risquer de se compromettre. Le zéro herbicide devra donc être effectif.

Les grandes maisons cessent donc d’utiliser des désherbants avant même d’en maîtriser les alternatives. Quelques années sèches ont nourri toutefois l’illusion que l’on maîtrisait l’alternative « travail du sol » qui déjà, génère une pénibilité supplémentaire pour les ouvriers vignerons, et ce, tout au long de l’année et qui se traduit concrètement par l’apparition de nouvelles pathologies : douleurs aux hanches, genoux, chevilles et dos bien sûr. Mais qu’importe, la vitrine « vignes » reste présentable. L’image, toujours l’image !…

Cette année, l’illusion n’a pas pris, ce qui aura au moins permis que l’on évoque la pénibilité des vignerons…, du moins, un peu. On parle davantage de l’état des vignes. Et, la vitrine n’est plus si belle…

On pourrait aussi parler de la pollution de l’air qu’engendre une alternative comme le travail du sol qui multiplie de façon exponentielle les passages de tracteur et de tout un tas de contradictions de ce genre. Mais qu’importe finalement, puisque que dans une société d’apparence, être respectueux de l’environnement, c’est avant tout avoir « l’air » de l’être.

L’environnement, comme la santé au travail d’ailleurs, ne sont qu’affaires de communication pour les entreprises qui prétendent s’en soucier. Le prix de l’apparence est élevé, les ouvriers vignerons le paient de leur santé, de leur corps abîmé. Mais la clientèle du champagne, qui s’est probablement émue du sort d’un jardinier américain, se soucie-t-elle de la santé de milliers d’ouvriers du champagne ?…

Reims, le 27 juin 2023

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