Pont-de-Claix, le 26 novembre 2024. Réunion à l’entrée de la plateforme ente l’intersyndicale, les employés de Vencorex et ceux du secteur de la chimie d’autres sites français. © Ensemble
Casse sociale : la machine s’emballe
Dans le numéro 31 du magazine « Ensemble » des éditions « la vie ouvrière », organe officiel de la presse CGT, publié en janvier 2025, un dossier saisissant intitulé « Casse sociale : la machine s’emballe » met en lumière une situation alarmante.
Sous la plume de Sarah Delattre, l’article explore les conséquences des suppressions massives d’emplois et l’échec des politiques publiques face à la désindustrialisation croissante. Tandis que Sébastien Ménesplier, membre du bureau confédéral de la CGT, a partagé sa vision des mesures à prendre pour enrayer cette crise lors d’un entretien réalisé par Dominique Martinez.
Une vague de licenciements sans précédent
Dès le mois de décembre 2024, la CGT recense pas moins de 300 plans de suppression d’emplois en France métropolitaine, touchant des secteurs variés tels que l’automobile, la chimie, le commerce, ou encore les banques. Frédéric Sanchez, secrétaire général de la CGT Métallurgie, déplore une tendance accélérée : « Il ne se passe pas une journée sans une mauvaise nouvelle. » Ce constat s’appuie également sur les estimations du cabinet Altares, qui évalue à 300 000 le nombre d’emplois supprimés ou menacés depuis septembre 2023.
Parmi les exemples cités, Arcelor prévoit la fermeture de deux sites à Denain et Reims, tandis que Renault menace 500 emplois à la fonderie de Bretagne. Bosch et Valeo annoncent également des coupes drastiques, et dans le secteur bancaire, la Société Générale et le Crédit Commercial de France comptabilisent plusieurs milliers de postes supprimés. Christophe Villatte, délégué syndical CGT chez Michelin, dénonce une politique de délocalisation aveugle : « Nous avons consenti de nombreux efforts pour une usine rentable, mais cela reste insuffisant. »
L’échec de la politique de l’offre
Le dossier souligne également l’échec patent des politiques publiques menées depuis une décennie. Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, qualifie la politique de l’offre de « naufrage » : « Les aides représentant un tiers du budget de l’État n’ont pas sauvé l’emploi en France, mais ont enrichi les grands groupes qui continuent de délocaliser. » La France, où l’industrie ne représente plus que 10,3 % des emplois, est le pays européen ayant le plus détruit ses usines, entraînant une perte de souveraineté nationale et une désertification des territoires.
Les « toxicomanes de la marge »
L’article dénonce aussi l’obsession des entreprises pour la rentabilité à court terme, qualifiées par la CGT de « toxicomanes de la marge ». Dans le secteur automobile, des modèles comme la Twingo et la C3 électriques sont désormais conçus en Inde et en Chine, éloignant encore davantage les centres de développement de la France. Denis Bréant, responsable à la CGT Métallurgie, prévient : « Sans prise de conscience politique, la filière automobile française pourrait mourir. »
Les aides publiques sous la loupe
La question de l’efficacité des aides publiques est également soulevée. Depuis 2013, Michelin aurait reçu plus de 300 millions d’euros d’aides diverses, sans qu’aucune conditionnalité ne soit imposée. En juillet 2023, la Cour des comptes estimait à 260,4 milliards d’euros le soutien financier accordé aux entreprises depuis 2020.
Entretien avec Dominique Martinez
Dominique Martinez : Que revendique la CGT face à la vague des plans sociaux en cours ?
Sébastien Ménesplier : La CGT exige que les aides publiques, d’un montant colossal de 170 milliards d’euros par an, soient conditionnées à des garanties claires de maintien de l’emploi. Elle demande également des actions urgentes pour protéger les salariés, telles que le gel des licenciements, afin de donner le temps nécessaire pour restructurer les entreprises et reconvertir les secteurs en difficulté.
Dominique Martinez : Comment ces mesures pourraient-elles être mises en place ?
Sébastien Ménesplier : L’exemple de la centrale de Gardanne, où les salariés ont pu bénéficier d’un congé spécifique avec maintien partiel de leur salaire, montre que des dispositifs similaires sont réalisables. Ces mesures permettraient aux travailleurs de participer à la réinvention de leur outil de production tout en garantissant leur sécurité financière durant cette transition.
Dominique Martinez : L’État a-t-il un rôle à jouer dans cette situation ?
Sébastien Ménesplier : Absolument. L’État a la capacité d’intervenir directement en prenant des participations dans les entreprises menacées, en imposant des représentants des salariés dans les conseils d’administration ou même en nationalisant temporairement certains sites stratégiques. De plus, un renforcement de la loi Florange est indispensable pour garantir que les grands groupes prennent leurs responsabilités face à leurs salariés.
Ce dossier, illustré par de nombreux témoignages poignants, rappelle l’urgence de repenser les stratégies économiques pour préserver l’emploi en France. Comme l’affirme Sarah Delattre, « l’avenir de l’industrie française ne peut se jouer sans une intervention énergique de l’État et un véritable dialogue social. »
Source : Ensemble N° 31 Janvier 2025 « la casse sociale s’emballe »