Le retour de l’inflation a fait passer de nombreux minima de branches professionnelles en deçà du Smic. Le gouvernement leur met la pression : pour relever ces minima mais aussi rééquilibrer les grilles salariales, dont les niveaux intermédiaires finissent par flirter avec le Smic.

Après la revalorisation du Smic intervenue le 1er mai dernier, pas moins de 146 branches professionnelles sur un total de 171 affichaient une grille salariale présentant au moins un coefficient en deçà du salaire minimum interprofessionnel.

Ces minima salariaux ne s’appliquent pas vraiment : le Smic s’impose à toutes les entreprises, quelles que soient leur activité et la branche à laquelle elles appartiennent.

Et c’était le cas dans la branche Champagne. Le brut mensuel du coefficient 120 du barème des salaires au mois d’avril 2022 s’élevait à 1620,98 €. Dans son infinie mansuétude, le patronat de l’UMC recommandait à tous ses adhérents d’appliquer pour l’embauche d’un salarié au Coef 120 le montant du SMIC, soit 1 645,58 euros (à compter du 1er mai 2022). Et pas question d’étendre cette augmentation à toute la grille des salaires…

Mais le rythme de négociation salariale des entreprises et des branches est moins rapide que les revalorisations du Smic, qui sont automatiques dès lors que l’indice des prix à la consommation des 20 % des ménages les plus pauvres augmente d’au moins 2 %. C’est ainsi que le salaire minimum a été revalorisé en octobre 2021 (+2,2 %), en janvier 2022 (+0,9 %) puis en mai (+2,65 %), soit au total 5,9 % sur les dix derniers mois.

Une nouvelle revalorisation se profile pour la rentrée, alors que les économistes tablent sur une inflation supérieure à 6 % sur l’ensemble de l’année. « Dans ce contexte inflationniste, tout l’enjeu pour les branches est de réussir à négocier rapidement pour réévaluer les salaires », indique le dossier de présentation du projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat qui sera examiné par l’Assemblée nationale du 18 au 20 juillet.

Fusion forcée

Le 7 juillet, à l’issue du comité de suivi de la négociation de branche avec les partenaires sociaux, Olivier Dussopt, ministre du Travail, du Plein-emploi et de l’Insertion, a dressé un premier bilan : de 146 après la dernière revalorisation du Smic, le 1er mai, le nombre de branches dont les minima salariaux sont inférieurs au Smic est descendu à 122. « Les situations de blocage structurelles des négociations sont en net recul », a-t-il ajouté en saluant les efforts des branches parvenues à un accord.

De nombreux employeurs préfèrent mettre en place un système de primes différentielles que d’ajuster leur grille salariale

Pour les autres, il a dégainé un nouveau moyen de pression : la fusion forcée. Ce qui, à première vue, n’a pas grand-chose à voir avec les négociations salariales. Mais cela permet au gouvernement de réactiver le processus de restructuration des branches professionnelles visant à réduire considérablement leur nombre pour le ramener d’environ 700 en 2015 à une centaine. Lancé tambour battant en 2017, le chantier a été interrompu par la crise sanitaire et n’a jamais retrouvé son rythme. A ce jour, il existe toujours 171 branches couvrant plus de 5 000 salariés chacune.

La restructuration des branches professionnelles étant destinée à donner davantage de vigueur au dialogue social, le gouvernement a décidé de lier les négociations salariales aux fusions de branches :

« Le fait de disposer de minima durablement en dessous du Smic [pourrait être] explicitement intégré aux critères existants afin d’encourager les négociations salariales, a annoncé Olivier Dussopt. Sans se substituer aux partenaires sociaux et à la négociation collective, le gouvernement utilisera l’ensemble des leviers à sa disposition afin d’atteindre à terme l’objectif d’une résorption totale des situations de minima de branche inférieurs au Smic. »

Dans certaines branches, les agents de maîtrise gagnent moins de 100 euros de plus que le Smic

Effet pervers

Au-delà de l’affichage politique, cette question pose en effet un problème majeur : pour combler l’écart entre leurs minima de grille et le Smic, de nombreux employeurs préfèrent mettre en place un système de primes différentielles que d’ajuster leur grille salariale. Cela leur laisse la liberté, lors du round de négociations suivant, de proposer une enveloppe globale d’augmentation inférieure à la revalorisation du Smic, de 3 ou 4 % par exemple, alors que le Smic aura été revalorisé de 6 % sur l’ensemble de l’année.

Bien entendu, les échelons du bas de la grille salariale seront davantage relevés pour atteindre le niveau du Smic. Au détriment des échelons intermédiaires, dont le salaire finit, au fil des années, par se rapprocher du salaire minimum. Dans certaines branches, les agents de maîtrise gagnent moins de 100 euros de plus que le Smic.

Cela ne devrait pas s’arranger : la Banque de France a publié en mai une étude sur les hausses de salaires négociées dans 200 branches entre fin 2021 et la fin du premier trimestre 2022. Elles tournent autour de 3 % : 2,6 % dans la branche champagne, 2,5 % pour la chimie, l’industrie pharmaceutique, le négoce de l’ameublement, 3 % pour la plasturgie, le bricolage ou le commerce de gros non alimentaire… Ces négociations sont assorties d’une clause de revoyure. Mais elles sont très inférieures à la revalorisation du Smic.

De nombreuses entreprises s’accommodent très bien de ce décrochage des salaires intermédiaires : les différents dispositifs d’exonération de cotations sociales patronales mis en place ces dernières années ciblent très majoritairement les salariés inférieurs à 1,6 Smic. Le nombre de salariés concernés ne cesse donc d’augmenter.

Ce qui conduit l’économiste Gilbert Cette, président du groupe d’experts sur le Smic, à plaider pour la fin de la revalorisation automatique du salaire minimum interprofessionnel. 

La CGT tire une conséquence diamétralement opposée, réclamant de son côté un retour au principe de l’échelle mobile des salaires, visant à compenser automatiquement les pertes de pouvoir d’achat liées à l’inflation. Le débat ne fait que commencer…