Amadou (à droite), 52 ans, a dû se résoudre à dormir sous cet abri de fortune. (© l’Hebdo du Vendredi)
Derrière l’image luxueuse et artisanale du monde du champagne, la vendange est aussi le théâtre de pratiques illégales. Les cas ne manquent pas cette année encore.
Comme tous les mercredis matin, sur la place Fada N’Gourma d’Épernay, c’est jour de marché. Sous l’auvent de la halle, Amadou amasse des cartons récupérés çà et là pour renforcer l’abri de fortune qu’il a construit sous un arbre. Ce Sénégalais de 52 ans a dormi dehors par une nuit pluvieuse, privé d’eau et d’électricité. Il a quitté son logement des Mureaux (Yvelines) pour passer quelques jours dans la capitale du champagne, dans l’espoir de faire les vendanges. « Ce soir, il doit venir pour me faire signer un contrat », explique le quinquagénaire. Qui ça, « il » ? Quelqu’un qui lui a promis un travail, mais on n’en saura pas plus.
Face à la gare d’Épernay, qui voit débarquer quotidiennement des touristes du monde entier, impossible de passer à côté des petits groupes qui se forment, depuis quelques jours, dans le square de Clevedon. Ce mercredi matin, ils ne sont que deux. Adam, 22 ans, et Ali Abdulrahman, 23 ans, deux demandeurs d’asile qui ont quitté le Soudan, un pays ravagé par une succession de guerres civiles depuis le début des années 1980. L’un réside à Paris, l’autre à Narbonne, dans des centres d’accueil. Ils sont montés en train à Épernay, où ils dorment sous le parking à vélo couvert situé en face de la gare, en attendant. « Des gens viennent, souffle Adam. On m’a proposé 60 € pour travailler de 7 h à 17 h. »
Une pratique totalement illégale, car bien en dessous du Smic horaire et possiblement non déclarée. Les deux jeunes n’ont pas accepté. D’autres l’ont sans doute fait. Le soir, jusqu’à vingt hommes peuvent se retrouver dans le square, certains après une journée harassante dans les vignes. « Il y en a qui trouvent du boulot, mais ils ne sont pas toujours payés, raconte Ali Abdulrahman. Je resterai là le temps que je trouve du travail. »
Parmi ces populations fragiles employées à la récolte du raisin, certaines sont logées dans des conditions déplorables. Ce fut le cas à Mourmelon-le-Petit, où la préfecture a délogé, samedi dernier, au moins quarante saisonniers Ukrainiens d’un hébergement insalubre et indigne, à la suite d’un contrôle de l’inspection du travail (ICI). L’arrêté fait état d’eau stagnante au sol, d’installations électriques vétustes et dangereuses, de la non-conformité des pièces de sommeil (cinq à six lits pour 17 m² ou trois lits pour 8 m²) ou encore « de l’état répugnant des toilettes, sanitaires et lieux communs ».
Devant l’ampleur des désordres constatés et du danger encouru, la préfecture a prononcé l’interdiction temporaire d’habitation. Les travailleurs étrangers ont été relogés aux frais du propriétaire et du prestataire employeur, lequel nous assure que des travaux ont été réalisés depuis. Il espérait obtenir rapidement une mainlevée, pour une réintégration des vendangeurs jeudi soir.
À Moussy, c’est le syndicat CGT qui a repéré un « campement de la honte », peuplé d’une dizaine de tentes, sur le terrain d’un prestataire viticole. Le syndicat dénonce « des conditions scandaleuses » d’hébergement des vendangeurs, privés de douche et d’électricité. Jeudi matin, le préfet a reçu des représentants du syndicat, afin d’évoquer, selon le secrétaire de l’union départementale CGT : « la dégradation considérable des conditions de travail et d’hébergement durant cette vendange 2023 (ICI)». Des pratiques qui entachent la réputation de l’appellation Champagne, où, faut-il le rappeler, la vendange se déroule sans accroc dans la majorité des cas.
Simon Ksiazenicki
Quatre décès dans le vignoble
Autre actualité tragique qui a rythmé la vendange, mais totalement déconnectée des pratiques illégales mentionnées par ailleurs, quatre saisonniers sont morts dans la Marne, à Vitry-en-Perthois, Rilly-la-Montagne, Chavot-Courcourt et Vert-Toulon. Des décès qui sont tous vraisemblablement dus aux fortes chaleurs de la semaine passée. Une enquête a été ouverte par le parquet de Reims pour l’un de ces cas (ICI).