Hausse du prix du champagne « Les prix seront de plus en plus déterminés par la désirabilité des bouteilles »
Le Champagne deviendrait-il trop cher ? Identifié comme un vrai produit de luxe ou simplement victime de l’inflation ? Est-ce un phénomène conjoncturel ou une vraie tendance de fond ? Martin Cubertafond, consultant en stratégie, maître de conférences à Sciences-Po Paris, spécialisé en distribution, vins & spiritueux, apporte quelques réponses permettant de mieux comprendre le contexte actuel et les enjeux champenois.
Le prix de vente moyen d’une bouteille de champagne a augmenté de 10% sur douze mois, cette hausse est-elle uniquement liée à l’augmentation des coûts de production ?
Il est clair que les coûts de production ont augmenté en 2022 pour les producteurs de Champagne. Le coût du raisin, qui représente plus de la moitié des coûts d’une bouteille, a augmenté. Il y a également eu une inflation importante, notamment pour les bouteilles et les autres matières sèches. Les maisons, coopératives et vignerons ont cherché à répercuter ces augmentations dans leurs prix de vente pour préserver leurs marges. L’augmentation des coûts est donc une des raisons de l’augmentation du prix de vente du Champagne, mais ce n’est pas la seule : la forte hausse de la demande a également tiré les prix vers le haut.
Note de l’Intersyndicat CGT du champagne :
Et les augmentations de salaires dans tout ça ?…
Il est sûr qu’il va falloir prendre en compte cette nouvelle logique de valorisation dans les prochaines NAO des salaires de la branche champagne, et ce, dès l’année 2023.
C’est-à-dire ?
Sur le marché du vin en général, pas seulement en Champagne, il existe deux principaux modèles de fixation de prix : pour les vins dont l’offre est supérieure à la demande, les producteurs ont tendance à fixer leurs prix en fonction de leur coût de production, auquel ils ajoutent une marge. Mais pour les vins dont l’offre est inférieure à la demande, les producteurs vont augmenter leurs prix jusqu’à ce que la demande diminue jusqu’au niveau de l’offre. Dans ce cas, le prix de vente est donc déconnecté des coûts de production.
C’est ce que l’on observe, par exemple, avec les plus prestigieux des grands crus classés bordelais. Leur prix de sortie a en moyenne augmenté de 20% lors de la campagne de vente en primeur du millésime 2022 en cours. Cela n’est aucunement provoqué par une augmentation des coûts de production, mais par une anticipation d’une forte demande des marchés, du fait de la qualité du millésime.
De la même façon, le prix de vente des cuvées de prestige champenoises est dicté par le rapport de l’offre et de la demande et non par l’évolution des coûts de production. Si Dom Pérignon, Cristal ou Krug ont allègrement dépassé un prix de vente de 200€ par bouteille ces cinq dernières années, cela n’est pas dû à une croissance de leurs coûts de production, mais en premier lieu à une désirabilité toujours plus forte, qui provoque une augmentation de la demande.
Avec un chiffre d’affaires de 6,3 milliards d’euros pour 325 millions de bouteilles en 2022 contre 5,5 milliards d’euros pour 320 bouteilles en 2021, la notion de valeur si chère à certains champenois dépasse-t-elle la notion de volume tout aussi chère à d’autres ?
Si l’on regarde les chiffres 2022, les expéditions ont augmenté de +1,5% en volume, mais de +10,9% en valeur. Cette année 2022 restera donc dans les annales avant tout comme l’année de la valeur. Depuis le Covid, le Champagne vit une période un peu folle et passionnante. Après la pandémie, la demande a fortement augmenté. L’offre étant contrainte par les niveaux de stocks et la durée de vieillissement, de nombreux acteurs n’ont pas pu satisfaire la demande et ont dû mettre en place des systèmes d’allocation. Cela a changé, de fait, le modèle de fixation de prix. Pour de plus en plus d’acteurs, il n’est plus défini aujourd’hui par les coûts de production, mais par le déséquilibre entre l’offre et la demande.
Avec un chiffre d’affaires de 6,3 milliards d’euros pour 325 millions de bouteilles en 2022 contre 5,5 milliards d’euros pour 320 bouteilles en 2021, la notion de valeur si chère à certains champenois dépasse-t-elle la notion de volume tout aussi chère à d’autres ?
Si l’on regarde les chiffres 2022, les expéditions ont augmenté de +1,5% en volume, mais de +10,9% en valeur. Cette année 2022 restera donc dans les annales avant tout comme l’année de la valeur. Depuis le Covid, le Champagne vit une période un peu folle et passionnante. Après la pandémie, la demande a fortement augmenté. L’offre étant contrainte par les niveaux de stocks et la durée de vieillissement, de nombreux acteurs n’ont pas pu satisfaire la demande et ont dû mettre en place des systèmes d’allocation. Cela a changé, de fait, le modèle de fixation de prix. Pour de plus en plus d’acteurs, il n’est plus défini aujourd’hui par les coûts de production, mais par le déséquilibre entre l’offre et la demande.
Si l’on considère que même une marque moyennement valorisée et très présente dans la grande distribution française comme Nicolas Feuillatte était sous allocation en 2022, alors cela veut dire que c’est toute la Champagne qui est en train de basculer vers ce nouveau modèle de fixation de prix. Si la demande continue à être forte, alors à l’avenir les prix seront de plus en plus déterminés par la désirabilité des bouteilles et de moins en moins par les coûts de production.
Est-ce un bien pour la Champagne ? Cette orientation ne comporte-t-elle pas des risques ?
Cette orientation n’est bien entendu pas sans risque. En augmentant ses prix, la Champagne se coupe de nombreux consommateurs. C’est le cas sur le marché français, où l’on voit que la part des foyers qui consomment du champagne diminue d’année en année depuis dix ans. Il s’est passé la même chose avec les grands crus bordelais que nous évoquions tout à l’heure, et aussi avec de nombreux autres produits qui sont devenus des symboles de l’art de vivre à la française.
Mais selon moi, la stratégie de valeur (que l’on appelle aussi la premiumisation) présente plus d’opportunités que de risques. Tous les autres vins effervescents du monde rêveraient d’être face à cette problématique !
En effet, dans le marché mondial des vins effervescents, qui est en croissance, le champagne est en train de s’affirmer comme la référence la plus qualitative, tout en haut de la pyramide. Cela implique de laisser le marché d’entrée et de milieu de gamme à d’autres acteurs (prosecco, cava, crémants, vins du nouveau monde,…).
Vous pensez donc que cette course à la valeur ajoutée est amenée à se prolonger ?
Selon moi, en réalité, la Champagne n’a pas vraiment le choix : elle est déjà embarquée dans cette direction. Si l’on prend du recul, cela saute aux yeux :les chiffres montrent que la croissance de la Champagne depuis 2010 repose sur une augmentation des prix moyens et non des volumes.
Par ailleurs, le leader, le groupe LVMH, qui contrôle près de la moitié du marché en valeur, tire les prix vers le haut grâce à son savoir-faire marketing de numéro 1 mondial du luxe. Et, en amont, la Champagne est également contrainte par le coût des raisins qui continue à augmenter, et qui ne laisse pas d’autre solution que de premiumiser. En effet, aujourd’hui, pour un vigneron, il est plus rentable de vendre ses raisins à 8-9€ le kilo (selon les crus) que de vendre des bouteilles à 14 ou 15 € HT.
Tous ces éléments s’inscrivent dans ce qui me semble être une logique inaltérable de valorisation, et c’est une superbe opportunité pour la Champagne !