Publié mi-juillet, le dernier rapport du Comité de suivi des retraites (CSR) relance le débat du coût de la réforme, plus élevé que ne l’avait envisagé le gouvernement.

Reconnaissons-le, ce n’est pas tout à fait la lecture dont on rêve en plein été. Mais le dernier avis du Comité de suivi des retraites (CSR), publié mi-juillet, a tout de même le mérite de relancer le débat sur l’importante réforme des retraites.

Chaque année, ce groupe d’experts, placé auprès de la Première ministre, rend ses travaux portant sur « les objectifs financiers et sur les objectifs d’équité assignés à notre système de retraites ».

Parmi les multiples points abordés par le CSR dans cette édition 2023, l’un a particulièrement attiré l’attention (et suscité les réactions sur les réseaux sociaux) : alors même que le gouvernement a justifié sa réforme par la nécessité de réaliser des économies – dans son étude d’impact, il ambitionnait 17,7 milliards d’économie et un retour à l’équilibre du système d’ici 2030 – cette même réforme engendrerait… un surcoût.

La réforme des retraites va-t-elle vraiment coûter plus cher que prévu ? Si l’on se concentre sur le court terme d’abord, rappelons que, déjà en juin, le rapport du Comité d’orientation des retraites (COR) indiquait que la réforme allait bien entraîner des économies, mais qu’elle ne ramènerait pas le système à l’équilibre : le solde du système de retraite, excédentaire en 2022 (+ 0,2 %), serait déficitaire en 2030 de 0,2 % du PIB.

Erreur de calcul gouvernementale

Comme nous l’expliquions dans un précédent article, ce déficit s’explique notamment par une erreur dans la présentation de la réforme par le gouvernement, qui a compté deux fois certaines recettes. Dans son nouvel avis, le Comité de suivi des retraites – qui s’appuie sur les données du COR, qui lui-même se base sur les projections du programme de stabilité (PSTAB) du gouvernement – enfonce le clou : « La logique aurait voulu que le COR puisse produire un exercice n’intégrant aucun effet d’une réforme qui n’était encore qu’à l’état de projet, ce que l’appui sur le Programme de stabilité ne lui permettait pas de faire. »

A cela s’ajoutait un « excès d’optimisme de l’hypothèse de retour au plein-emploi »souligne encore le CSR, et donc des projections macroéconomiques surestimées. Le CSR réaffirme que la réforme des retraites va bel et bien permettre de ramener le déficit du système à 0,2 % du PIB contre 0,4 % avant la réforme, mais pas atteindre l’équilibre.

« La réforme aura des effets positifs jusqu’à 2040 mais se traduit par plus de dépenses dans le PIB à partir de 2050 » – Pierre-Louis Bras, président du COR

Et sur le long terme ? « Cette réduction [du déficit] s’atténue et s’efface totalement vers 2040. Au-delà, les courbes se rejoignent, les déficits ne redeviennent pas plus marqués que ceux qu’on aurait eus sans réforme », peut-on lire dans le document.

Voilà donc le point saillant, repris dans les débats ces dernières semaines : la réforme pourrait engendrer un « surcoût » des dépenses de retraite. En 2070, les dépenses de retraites, sans la réforme, auraient atteint les 547,4 milliards d’euros, indique le CSR. Contre 556,9 milliards avec la réforme (soit + 9,5 milliards d’euros).

Étonnant ? Pas vraiment. Décaler l’âge de départ en retraite génère beaucoup d’économies à court terme, puisque moins de personnes partent à la retraite. Mais au fil des années, la part des retraités ayant droit à des pensions plus élevées puisqu’ils ont travaillé plus longtemps, progresse. « La réforme aura des effets positifs sur le solde jusqu’à 2040, mais elle se traduit par plus de dépenses dans le PIB à partir de 2050 », indiquait déjà Pierre-Louis Bras, président du COR, lors de la publication du rapport en juin.

Des concessions

Au-delà de ce report de l’âge de départ à la retraite, d’autres facteurs expliquent que la réforme va coûter plus cher que prévu, à commencer par les concessions faites par le gouvernement pour que la droite vote le texte.

D’une part, le dispositif sur les carrières longues a été étendu aux actifs ayant commencé leur vie professionnelle entre 20 et 21 ans et les personnes aux carrières longues peuvent partir de manière anticipée à la retraite après 43 ans de cotisation.

Dans les travaux de la commission mixte paritaire à l’Assemblée nationale, la députée Stéphanie Rist (Renaissance), rapporteuse du texte estimait que « ces mesures relatives aux carrières longues, avec une borne d’âge à 21 ans, coûteront 400 millions d’euros, et 300 millions d’euros avec l’apport des 43 ans ».

Pèse également dans la balance la surcote pour les pensions des mères de famille : sous réserve de dépasser les 43 annuités un an avant l’âge légal de départ (64 ans donc) et d’avoir au moins un trimestre de majoration maternité ou éducation des enfants, ces dernières pourront bénéficier d’une surcote pouvant aller jusqu’à 5 % (soit 1,25 % par trimestre).

« Notre mesure touchera 30 % des femmes d’une génération, soit quand même 130 000 personnes »avait indiqué René-Paul Savary (Les Républicains), rapporteur au Sénat.

Incertitudes

Le coût de cette mesure a été chiffré à 300 000 euros, mais cela appelle à la vigilance :

« Les chiffres donnés le sont pour une génération. Or, les effets de la surcote pour les femmes commenceront maintenant, mais pourraient avoir une montée en charge dans les 30 ans qui viennent », rappelle Michaël Zemmour, maître de conférences en économie à l’université Paris Panthéon Sorbonne et chercheur à Sciences Po.

Aucune étude plus fine des coûts engendrés par ces aménagements n’a pour l’heure été réalisée. Difficile donc d’affirmer quelle part elles représenteront dans le surcoût de la réforme, y compris dans les chiffres affichés par le CSR :

« Comme les éléments ne sont pas isolés, on ne sait pas si le surcoût de dépenses est simplement lié au fait que les gens partent plus tard ou si, finalement, il y a une partie des économies qui s’est évaporée via les concessions faites aux Républicains et qui n’ont pas vraiment été chiffrées », reprend l’économiste, spécialiste des retraites.

D’autres coûts sociaux avec la réforme

Enfin, si l’on parle des coûts engendrés par la réforme, force est de rappeler que des dépenses supplémentaires sur les autres secteurs de la protection sociale (chômage, maladie, invalidité, minima sociaux) sont à prévoir, même si elles restent moins importantes que les recettes générées par la réforme.

 départ de deux ans a entraîné une hausse du nombre et de la fréquence des arrêts maladie

Ainsi, en janvier 2022, la Dares estimait que « les dépenses d’allocation de retour à l’emploi (ARE) et d’allocation de retour à l’emploi formation (AREF) auraient été rehaussées d’environ 1,3 milliard d’euros en 2019 si l’âge légal de départ avait été fixé à 64 ans plutôt qu’à 62 ans ».

Se basant sur la réforme de 2010, la Drees, de son côté, avance que :

« Le recul de l’âge d’ouverture des droits à la retraite représenterait un surcoût d’environ 1,2 à 1,5 milliard d’euros pour les régimes gestionnaires des pensions d’invalidité et augmenterait les dépenses d’allocation de minima sociaux de 600 millions d’euros par an. »

Enfin, concernant les arrêts maladie, des économistes du Centre d’étude de l’emploi et du travail (CEET) soulignent – là encore en s’appuyant sur le précédent de 2010 – que reporter l’âge légal de départ de deux ans a entraîné une hausse du nombre et de la fréquence des arrêts maladie, avec des inégalités selon le genre, la profession et la santé des individus.

Mohamed Ali Ben Halima, économiste et l’un des auteurs de l’étude, précise :

« Le surcoût global d’absence maladie se situe aux alentours de 68 millions d’euros. Mais cette somme ne représente que 50 % du coût des arrêts maladie, c’est-à-dire la partie “sécu” liée aux indemnités journalières. La deuxième partie, financée par les entreprises, dépend des conventions collectives des professions. Pour l’heure, on ne peut pas connaître ces dépenses à cause du trop grand nombre de conventions différentes. »

Ces coûts sociaux ne sont pas évoqués dans les rapports du COR ou du CSR. Il n’empêche, les avoir en tête reste important pour jauger des impacts de la réforme.

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