Cristian Porta, délégué CGT de la boulangerie industrielle Neuhauser, à Folschviller (Moselle), lors de la manifestion du 25 avril 2024 contre la répression syndicale dont sont victimes de nombreux militants CGT partout en France.  © CGT Champagne TV

Dans cet article paru dans l’édition numérique de Médiapart, le 11 mai 2024, le journaliste Léo Le Calvez évoque le fait que malgré le refus de l’inspection du travail, le syndicaliste Christian Porta vient d’être licencié et qu’il attaque la boulangerie industrielle Neuhauser aux prud’hommes…

Il évoque avec force de détails les éléments diffamatoires évoqués par la direction des ressources humaines pour justifier sa procédure de licenciement. Tout ce stratagème échafaudé par n’aurait-il pas d’autre but de vouloir empêcher Christian de constituer une liste CGT pour les élections de septembre.

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TRAVAIL / REPORTAGE

Licencié malgré le refus de l’inspection du travail, un syndicaliste attaque aux prud’hommes

Christian Porta, élu CGT de la boulangerie industrielle Neuhauser, en Moselle, a demandé en urgence, vendredi 10 mai, sa réintégration à la justice. Son employeur l’accuse de harcèlement moral et « assume » de l’avoir évincé malgré l’avis contraire de l’administration.

Léo Le Calvez

ForbachForbach (Moselle).– Devant le conseil des prud’hommes de Forbach, l’ambiance est morose mais combative, ce matin du vendredi 10 mai. L’audience est pour le moins inhabituelle, et révélatrice d’une tension immense entre un syndicaliste et son employeur. Christian Porta, délégué CGT de la boulangerie industrielle Neuhauser, à Folschviller (Moselle), a reçu sa lettre de licenciement le 23 avril, par l’intermédiaire d’un huissier de justice (comme Politis l’a raconté).

Or, le 15 avril, l’inspection du travail, consultée comme pour toute demande de licenciement de délégué·e du personnel ou de délégué·e syndical·e, avait refusé que Christian Porta soit viré, estimant qu’il était écarté en raison de son activité syndicale. L’ouvrier et militant cégétiste demande donc aux prud’hommes, en référé (la procédure d’urgence), de constater que son licenciement est illégal.

Quelques membres du personnel de Neuhauser ont posé une journée de grève pour assister à l’audience et soutenir leur représentant. « S’ils ont eu Christian, ils auront tout le monde », souffle une salariée, visiblement affectée.

Christian Porta, lors d’un meeting de Révolution permanente, en mars 2024. © Capture d’écran de la chaîne YouTube de Révolution permanente

L’entreprise, où le syndicaliste est très actif et a notamment réussi à imposer la semaine de 32 heures, est la propriété d’InVivo, le premier groupe coopératif agricole européen, qui revendique 14 500 salarié·es, et détient notamment les marques Jardiland ou Gamm vert.

L’employeur assure que Christian Porta se rend coupable de harcèlement moral envers certains cadres. Mais dans son avis refusant le licenciement, l’inspection du travail a jugé ces accusations infondées. Qu’à cela ne tienne, la direction avait indiqué au Républicain lorrain qu’elle passerait outre cet avis de l’administration, et qu’elle mènerait la procédure de licenciement à son terme. Elle a tenu parole, sans même attendre l’issue du recours qu’elle a déposé devant l’inspection du travail.

Passage en force

Indice des enjeux de l’audience : le dossier a mobilisé, en plein pont de mai, au moins six membres de la direction, dont Sébastien Graff, le directeur des ressources humaines du groupe InVivo.

Celui-ci est d’ailleurs venu à la rencontre de Mediapart juste avant les débats. Et ses propos donnent une idée de l’ambiance exécrable régnant dans l’entreprise. Le DRH, qui fait l’objet d’une plainte en diffamation de la part du syndicaliste, pour certains posts sur le réseau social X virulents à son égard, affirme sans ambages que « [s]a priorité est la non-réintégration de M. Porta ».

Il va jusqu’à lancer que « défendre Christian Porta, c’est comme défendre un homme qui tape sur sa femme » et que « ceux qui le soutiennent délibérément et qui savent qu’il est un harceleur n’ont pas leur place au sein de l’entreprise ».

Questionné sur le fait d’être passé en force malgré le refus de l’inspection du travail, le dirigeant indique qu’il savait « que l’inspecteur refuserait de toute façon » le licenciement. Et quant à la condamnation que pourrait valoir à l’entreprise cet entêtement, la réponse est sans équivoque : « On assumera. »

« Patronat radicalisé »

L’animosité est telle que dans sa plaidoirie, l’avocate de Christian Porta, Me Elsa Marcel, dit se trouver « face à un cas d’école d’un patronat radicalisé qui teste les limites de la loi ». Elle réclame la réintégration immédiate du salarié, avec 20 000 euros d’amende par jour de retard, le paiement de la totalité de ses salaires, et de 200 000 euros au nom du préjudice moral.

L’avocate explique à Mediapart que l’accusation de harcèlement « est un faux débat » « Ils n’ont pas réussi à convaincre l’inspection du travail, ils n’avaient pas à passer outre le refus particulièrement motivé de la part de l’inspecteur. »

À l’audience, l’avocate a insisté sur la vraie raison, à ses yeux, du licenciement : « Mon contradicteur indique que réintégrer M. Porta mettrait en danger la pérennité de l’entreprise, mais l’enjeu pour eux est ailleurs, a-t-elle assuré. Ils veulent juste empêcher mon client de constituer une liste CGT pour les élections de septembre. »

Son adversaire, Me Noémie Birnbaum, a commencé sa plaidoirie en attaquant « la véhémence de Me Marcel, qu’on lui connaît sur les plateaux télé lorsqu’elle partage les idées islamo-gauchistes de Révolution permanente, où elle milite ». L’avocate est en effet l’une des figures du mouvement d’extrême gauche qui avait tenté de porter un candidat, le cheminot Anasse Kazib, à la dernière élection présidentielle. Et Christian Porta est régulièrement présent lors des événements du mouvement.

Selon l’avocate, qui décrit un homme faisant régner la terreur dans l’entreprise, « ce serait criminel de [le] réintégrer ». Pour appuyer ses dires, elle lit les témoignages de cadres qui ont témoigné dans l’enquête interne lancée par l’entreprise et « qui a conclu au harcèlement moral de Christian Porta ». Quatre plaintes contre le militant ont d’ailleurs été versées au dossier, et balayées par Christian Porta, interrogé en marge de l’audience : « On parle de trois cadres, et d’une ancienne responsable CGT qui n’est même pas sur le site de Folschviller. J’ai aussi des anciens cadres qui, eux, ont témoigné pour moi et ont indiqué que s’ils étaient partis de l’entreprise, cela n’avait rien à voir avec moi. »

L’avocate de l’entreprise a déclaré que si l’inspecteur du travail n’avait pas reconnu de harcèlement moral dans le dossier, c’était en raison d’une « collusion » avec le syndicat. S’adressant aux conseillers prud’homaux, elle a clamé : « Lorsque les salariés sont en danger, c’est de votre responsabilité de protéger les employés qui ont eu le courage de témoigner ou de porter plainte – et qui ont le courage d’être derrière moi. » Plusieurs salariés ont en effet eux aussi fait le déplacement pour appuyer leur direction.

Long affrontement

Cette passe d’armes est le dernier acte d’un affrontement qui a démarré le 12 février, lorsqu’un mouvement de grève a été lancé sur tous les sites de Neuhauser, pour demander des augmentations salariales afin de faire face à l’inflation. La grève a été particulièrement suivie à Folschviller, le fief de Christian Porta. Durant cette journée, la direction a envoyé à l’ensemble des salarié·es du site un courrier dans lequel elle se disait prête à envisager « avec [les soutiens du syndicaliste] leur sortie de l’entreprise dans les meilleurs délais ».

Cinq jours avant cette grève, la direction avait aussi envoyé à Christian Porta une convocation pour l’entretien disciplinaire qui débouchera finalement sur son licenciement. La convocation était assortie d’une période de mise à pied conservatoire, avec interdiction d’accéder aux locaux de l’entreprise.

La société a même embauché des agents de sécurité pour empêcher le délégué CGT d’accéder au site. Dès le 8 février, assistés par la gendarmerie, ils lui en ont interdit l’entrée. Le syndicaliste, qui assure avoir été « intimidé physiquement » à cette occasion, a aussi saisi la justice en urgence sur ce point.

” Des salariés sont partis de la salle d’audience quand ils ont vu la direction, par peur des représailles.”

Christian Porta

Et le 16 février, le tribunal judiciaire de Sarreguemines lui a donné raison, jugeant que l’interdiction qui lui était faite « d’accéder et de circuler sur les sites […] port[ait] atteinte à l’exercice de ses droits syndicaux ». Le tribunal a aussi estimé que « les allégations de harcèlement moral » portées par la direction « ne sont corroborées par aucun élément probant ».

En parallèle, des élu·es du personnel avaient déposé un droit d’alerte dans l’entreprise et exigé l’ouverture d’une enquête pour « harcèlement discriminatoire » envers leur camarade. Et l’inspection du travail a également déjà rappelé plusieurs fois à l’ordre la direction pour des entraves au mandat syndical du délégué CGT.

À la sortie de l’audience du 10 mai, à laquelle il assistait en son nom propre, mais aussi en tant que secrétaire général de l’union locale CGT de Saint-Avold, Christian Porta s’est dit « très satisfait »« Ils disent que je suis harceleur, mais le harcèlement, il est dans les 500 000 euros d’huissier dépensés par la direction pour me surveiller » – un chiffre contesté par la direction de l’entreprise. « Il y a des salariés qui sont partis de la salle d’audience quand ils ont vu la direction, par peur des représailles », dénonce le syndicaliste.

Il assure aussi que ses soutiens ont été mis sous pression : « On a cinq grévistes qui m’ont soutenu, dont trois élus. Ils ont été convoqués et on leur a reproché d’avoir un peu dépassé les pauses et d’avoir été virulents avec les salariés… » Questionné sur ce point, le DRH d’InVivo, Sébastien Graff, a indiqué n’être pas au courant, mais a rappelé que « le fait de soutenir M. Porta n’est pas un motif disciplinaire en soi ».

Le délibéré a été fixé au 24 mai. Si Christian Porta l’emporte, son employeur fera-t-il appel ? « Peut-être, on fera ce qu’il faut », indique le DRH. Lequel promet : « Nous allons aussi attaquer l’État sur son incapacité à gérer le cas Porta. »