Antoine Armand et Laurent Saint-Martin, respectivement ministre de l’Économie et des comptes publics, le 21 octobre 2024 à l’Assemblée nationale. © Photo Quentin de Groeve / Hans Lucas via AFP
Par l’Intersyndicat CGT du champagne – Le 28 octobre 2024
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Dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), le gouvernement Barnier envisage de transférer une partie de la couverture de la Sécurité sociale vers les organismes complémentaires en matière de santé.
À première vue, ce projet pourrait sembler anodin ou technique, mais il cache une dérive lourde de conséquences : la création d’inégalités massives dans l’accès aux soins, frappant les plus précaires de plein fouet.
Une couverture santé en péril pour les plus vulnérables
En France, environ 3 millions de personnes vivent sans mutuelle ou assurance santé, selon la DREES. Ces chiffres témoignent d’une précarité alarmante. Contrairement à l’idée que cette absence de couverture serait un choix, elle résulte surtout de l’incapacité financière des ménages les plus modestes à y accéder. Ces personnes sont souvent les premières victimes de la dégradation du système de santé, et les réformes proposées ne feront qu’aggraver leur situation.
L’une des mesures phares du gouvernement est d’augmenter le ticket modérateur, c’est-à-dire la part des frais de santé que les patients doivent payer de leur poche après remboursement par la Sécurité sociale. Ce ticket pourrait passer de 30 % à 40 % pour les soins en ville. Un tel glissement entraînerait mécaniquement une charge supplémentaire pour les ménages, que seuls les organismes complémentaires (mutuelles ou assurances) pourront compenser. Mais pour les millions de Français sans complémentaire santé, cette hausse se traduirait par une augmentation directe des frais médicaux.
Un transfert qui accroît les inégalités d’accès aux soins
Le principal argument du gouvernement pour justifier ce transfert vers les organismes complémentaires repose sur le fait que « presque tous les Français ont une complémentaire santé ». Cette affirmation masque une réalité bien plus complexe : les contrats d’assurance complémentaire, en particulier ceux non fournis par les entreprises, sont souvent coûteux et déconnectés des revenus des assurés. Contrairement à la Sécurité sociale, qui est financée par des cotisations proportionnelles au revenu, les mutuelles imposent des primes forfaitaires, souvent plus élevées pour les personnes âgées ou celles présentant des risques de santé accrus.
Ainsi, les plus modestes, qui peinent déjà à souscrire des contrats offrant une couverture adéquate, seront les premiers pénalisés. Selon un rapport de la DREES, le taux d’effort – c’est-à-dire la part du revenu consacrée aux dépenses de santé après remboursements – est déjà beaucoup plus élevé pour les personnes âgées et les ménages modestes. Chez les plus de 80 ans, ce taux dépasse 8 % du revenu, contre seulement 2,7 % chez les jeunes adultes. En augmentant encore le ticket modérateur, ces disparités ne feront que s’accentuer, laissant les plus fragiles sans protection face à des coûts médicaux de plus en plus importants.
Un impact récessif et une privatisation déguisée de la santé
Cette réforme, loin de libérer du pouvoir d’achat, agit comme une forme cachée d’impôt pour les plus précaires. L’augmentation des frais de santé, notamment via la hausse des consultations (passées récemment à 30 euros), grèvera encore davantage les budgets des ménages déjà en difficulté. Factuellement, cette mesure ne vise qu’à contourner une réforme fiscale équitable qui toucherait les plus riches. En privatisant partiellement la couverture maladie, le gouvernement Barnier choisit de préserver les revenus des plus aisés, tout en infligeant une double peine aux plus démunis : d’une part, des remboursements plus faibles par la Sécurité sociale ; d’autre part, des primes d’assurance complémentaire en constante augmentation.
Le Conseil d’analyse économique (CAE) a dénoncé ce modèle, unique en Europe, où Sécurité sociale et assurances privées couvrent les mêmes soins, contribuant à un éclatement inefficace et inégal du système de santé. Alors que d’autres pays ont opté pour une couverture universelle publique, le projet de loi actuel va dans le sens inverse, renforçant les assurances privées au détriment de la solidarité collective.
La position de la CGT : pour une reconquête de la Sécurité sociale
Face à ce projet de loi inégalitaire, pour rappel, la CGT milite pour une Sécurité sociale du XXI siècle depuis septembre 2020. Elle appelle à une véritable reconquête de la Sécurité sociale, avec pour objectif de garantir un accès universel et équitable aux soins. Pour le syndicat, la privatisation croissante du système de santé n’est pas une fatalité. La CGT propose de renforcer le financement solidaire de la Sécurité sociale à 100 %, en particulier pour les soins essentiels, tout en développant un pilotage responsable des dépenses de santé.
Elle prône également une réduction de la place du paiement à l’acte, qui encourage les surcoûts, au profit d’une rémunération forfaitaire des praticiens, afin de maîtriser les dépenses de santé sans sacrifier la qualité des soins. En parallèle, la CGT soutient les organismes complémentaires non lucratifs, comme les mutuelles, qui devraient jouer un rôle complémentaire, et non de substitution, dans le système de santé.
Un choix politique qui aggrave les inégalités
Le projet Barnier n’est pas qu’une question de gestion budgétaire. Il s’agit d’une décision politique majeure qui creusera les inégalités sociales et dégradera l’accès aux soins des plus vulnérables. En choisissant de transférer une partie des dépenses de santé vers les organismes complémentaires, le gouvernement engage la France dans une privatisation progressive de la santé, au détriment de millions de citoyens déjà fragilisés.
Dans le cadre de ses propositions visant une reconquête de la Sécurité sociale du XXIème siècle, la CGT rappelle que la Sécurité sociale doit demeurer un pilier fondamental de la solidarité nationale, cher à notre modèle social. Il est urgent de défendre une vision de la santé publique qui assure une couverture universelle et égalitaire, sans laisser place à des logiques de marché incompatibles avec le droit fondamental à la santé.