En cette période de fin d’année l’ensemble des organisations syndicales seraient-elles les dindons de la farce « sauce JO 2024 » ?
L’ensemble des organisations syndicales ont paraphé une charte comportant seize engagements avec pour ambition d’en faire « une référence en matière sociale quant à l’implication du Cojo (comité d’organisation), de la Solideo (établissement public chargé des infrastructures), des entreprises et collectivités mobilisées dans le cadre de la préparation et de l’organisation » de l’événement planétaire.
Apparemment selon l’article, ci-dessous, paru dans le journal « l’Humanité » le 28 décembre dernier, à peine l’encre des stylos séchée, tous les grands principes sociaux se sont vus rognés par des arrêtés ministériels et des circulaires permettant ainsi de déroger au Code du travail et de contourner le contenu du volet social édicté dans cette charte.
À sept mois de la cérémonie d’ouverture, de multiples dérogations au droit ouvrent la voie à une régression importante pour les travailleurs. Les Jeux olympique 2024 de Paris se voulaient pourtant exemplaires.
Social et Économie : Temps de lecture 9 mn, le 28.12.23
Auteures : Léa Petit Scalogna et Cécile Rousseau
© Photo Franck Fife / AFP
l y a six ans, Paris 2024 devenait la première ville hôte de l’histoire des JO à établir une « Charte sociale des Jeux olympiques et paralympiques ». Paraphé par l’ensemble des organisations syndicales et patronales, ce texte aux seize engagements avait pour ambition de devenir « une référence en matière sociale quant à l’implication du Cojo (comité d’organisation), de la Solideo (établissement public chargé des infrastructures), des entreprises et collectivités mobilisées dans le cadre de la préparation et de l’organisation » de l’événement planétaire.
Cette charte a bien constitué un point d’appui pour les syndicats contre la sous-traitance en cascade sur les chantiers et ses méfaits : une sécurité des travailleurs défaillante et le recours à des sans-papiers privés de droit. Mais, à sept mois de la cérémonie d’ouverture, tous ces grands principes sociaux se voient rogner par des arrêtés ministériels et des circulaires dérogeant au Code du travail : un droit au repos enlevé par-ci, des conditions de travail dégradées par-là, et des primes qui s’évaporent. Le social est-il en train de tomber des anneaux olympiques ?
Télétravail et congés imposés
Les travailleurs parisiens qui n’œuvrent pas directement pour les Jeux sont invités à… rester chez eux. Les Franciliens dont le travail ne contribue pas à la mise en œuvre de l’événement devront « s’organiser différemment pendant la période », conseillait le ministre des Transports, Clément Beaune, début décembre. Pour eux, il s’agit de privilégier le télétravail, voire de poser des congés pour soulager métro, bus ou RER guettés par le risque de saturation. Jusqu’à organiser un « confinement olympique ? » comme ironisait le Canard enchaîné, en dévoilant les craintes du préfet d’Île-de-France de voir les « seuils de saturation (…) régulièrement dépassés » dans les transports durant les compétitions.
« Le télétravail pour la fonction publique pourrait être la règle, comme lors de la période du Covid », flaire Céline Verzeletti, cosecrétaire générale de l’Union fédérale des syndicats de l’État CGT. Ces mesures sont justifiées par des « circonstances exceptionnelles » définies par une circulaire signée par la première ministre le 22 novembre. « Les entreprises disposent désormais de toutes les armes pour imposer le télétravail ou envoyer leurs employés en congés », décode la cégétiste. Un procédé tout à fait légal, à condition d’avertir les concernés deux mois à l’avance.
Tous sur le pont
De l’autre côté du spectre, ceux dont le travail sert aux JO 2024 sont « réquisitionnés pour répondre aux doléances du capital », tempête Amar Lagha, secrétaire général de la CGT commerce et services. Les magasins des communes accueillant les sites (Paris, Saint-Denis, mais aussi pour le foot, Bordeaux, Nantes, Lyon, Saint-Étienne, Nice, Marseille ou Lille) et celles limitrophes peuvent prolonger leurs activités le dimanche. Le texte, adopté par le Sénat fin janvier 2023, est censé concerner les salariés volontaires. « Comment peut-on espérer du volontariat si leurs employeurs les préviennent au dernier moment ? Ils finiront par y être obligés », craint Céline Verzeletti.
On comprend d’autant mieux la prévention des syndicats que la durée d’autorisation est très large : entre le 15 juin et le 30 septembre 2024, soit six semaines avant la cérémonie d’ouverture et trois après celle de clôture des Jeux paralympiques, pour des enseignes concernées de tous types : les boutiques de produits culturels, d’ameublement, de prêt-à-porter, etc. « Les touristes venant pour les Jeux ont-ils vraiment un besoin absolu d’acheter des vêtements ou un meuble un dimanche ? » questionne Amar Lagha.
La règle du « tous sur le pont » vaut aussi pour les salariés des entreprises œuvrant directement à l’organisation ou à la diffusion de l’événement. Un décret publié le 23 novembre permet à leurs employeurs de suspendre leurs jours de repos. Cette dérogation est accordée « aux établissements connaissant un surcroît extraordinaire de travail pour les besoins de captation, de transmission, de diffusion et de retransmission des compétitions » et pour « les activités relatives à l’organisation des épreuves et au fonctionnement des sites ». Les salariés concernés pourront récupérer ces jours, de façon au moins égale, « le plus rapidement possible après le 14 août 2024 ». Le message est clair : pour se reposer, merci d’attendre la fin des JO.
Des conditions de travail dégradées
Seize millions de touristes, 10 500 athlètes et 206 délégations attendus : un tel rendez-vous mondial nécessite un dispositif de sécurité accru. Pas moins de 25 000 agents privés étaient recherchés dans un secteur déjà en tension sur le plan des recrutements. Le gouvernement a voulu « fluidifier » les embauches en dispensant une « formation au rabais », selon Dominique Deschamps, secrétaire fédéral FO pour la branche prévention et sécurité. Ces novices recevront une mise dans le bain accélérée de 106 heures, au lieu des 175 heures habituelles. Quant aux agents confirmés, potentiellement privés eux aussi de repos hebdomadaire, ils risquent d’être « épuisés et donc moins concentrés. Ils auront de la difficulté à assurer la sécurité de l’événement », prévient le syndicaliste.
Heureusement, l’inspection du travail veillera. En théorie, oui. En pratique, ce sera moins évident. Leur carte d’agent de contrôle suffit habituellement à accéder aux entreprises visées. Dans le cadre des JO 2024, ils devront se procurer des accréditations limitées à une épreuve ou à un jour précis. « Les organisateurs seront donc avertis de notre venue et la situation à contrôler peut être modifiée avant notre intervention », explique Simon Picou du SNTEFP – CGT (Syndicat national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle).
Autre élément dérangeant : dans leur vigilance concernant les frontières parfois floues entre salariat et bénévolat, un guide pratique à l’usage des organisateurs de grands événements sportifs, publié en décembre 2022 et estampillé Direction générale du travail, sème le trouble. « Les inspecteurs du travail peuvent transmettre une procédure au parquet pour “travail dissimulé” mais ils risquent de se heurter à des pressions de la part du ministère ou à des procédures ignorées », pointe Simon Picou. Pour le représentant syndical, l’événement ressemble de plus en plus à une « zone de non-droit du travail » où les inspecteurs du travail ne seront pas en mesure de veiller à la bonne application du Code du travail.
Des primes à la déprime
À l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, les agents sont incités à rogner sur leurs vacances estivales. Lundi 18 décembre, des dizaines de militants de la CGT s’étaient rassemblés, en marge d’un CSE central extraordinaire, devant le siège de l’AP-HP pour dénoncer ces sacrifices exigés mais faiblement récompensés. Entre les 22 juillet et 11 août prochains, les blouses blanches de 60 services ciblés pour le dispositif de Paris 2024 ont été très fortement encouragées à ne prendre que deux semaines de congés au lieu de trois. Pour prix de leur abnégation, malgré un épuisement généralisé, une prime spéciale leur sera versée. Premier problème : celle-ci varie entre 800 euros brut pour les catégories C et 2 500 euros pour le personnel médical. Pour Joran Jamelot, élu de la CGT au CSE : « C’est discriminatoire : ceux qui gagnent le moins vont toucher le moins. Certains ont accepté, vu qu’ils sont pris à la gorge par l’inflation et leurs bas salaires. En temps normal, nous avons déjà du mal à prendre trois semaines l’été à cause du sous-effectif. Cela constituerait une attaque inédite contre nos congés annuels. »
Deuxième problème : la communication de l’AP-HP sur cette prime a été très floue, dixit la CGT. Certains hospitaliers, poussés à communiquer leurs dates de congés d’ici fin décembre, pensaient qu’en ne posant que deux semaines, ils auraient également droit à cette gratification. Raté. N’étant pas dans les services identifiés, ils travailleront pour la beauté du geste.
Alors que les hôpitaux franciliens sont déjà au bout du rouleau en temps normal, avec 15 à 17 % de lits fermés faute de personnel, les urgences accueilleraient durant les JO jusqu’à 150 passages supplémentaires par jour. Pour l’occasion, seuls 360 lits seraient rouverts et plus de 700 agents (médicaux et paramédicaux) supplémentaires seraient mobilisés, notamment en étant rappelés sur leurs congés. Aucun plan de recrutement spécifique n’est envisagé. « On part de l’hypothèse que les Parisiens vont quitter la ville. C’est un pari risqué. Dans ce plan, tout est calibré au minimum. Ils feraient mieux d’utiliser cet argent pour embaucher et augmenter les salaires », estime Joran Jamelot. Il y a quelques années, les agents qui posaient des congés estivaux étaient en partie remplacés par des renforts de congés annuels, mais, précise le syndicaliste, « ces renforts ont depuis complètement disparu ».