REVENUS : des primes plutôt que des salaires : 6 graphiques pour comprendre les risques de l’épargne salariale
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Ce 24 mai, le gouvernement a dévoilé en conseil des ministres son projet de loi sur le partage de la valeur, qui renforce les dispositifs d’épargne salariale. De quoi s’agit-il ? Qui est concerné ? Et quels problèmes cela pose-t-il ? Six graphiques pour tout comprendre.
Des primes pour faire oublier que les salaires ne suivent plus l’inflation ? C’est le choix fait par le gouvernement avec son projet de loi sur le partage de la valeur présenté ce 24 mai en conseil des ministres.
L’exécutif veut en effet renforcer les dispositifs d’épargne salariale qui permettent, au sein d’une entreprise, d’y partager les bons résultats financiers. Un choix qui s’inscrit dans la continuité d’une politique menée depuis la première élection d’Emmanuel Macron en 2017. Et qui a des conséquences importantes, à la fois sur l’évolution des revenus des salariés et sur les comptes de la Sécurité sociale. Explications en six graphiques.
1/ Intéressement, participation : des outils déjà très utilisés
Le projet de loi pour le partage de la valeur, largement inspiré d’un accord national interprofessionel (ANI) signé entre partenaires sociaux, fait le choix de miser sur les dispositifs d’épargne salariale. On en compte aujourd’hui essentiellement cinq : la participation, l’intéressement, le plan d’épargne entreprise, le plan d’épargne retraite et la prime pour le partage de la valeur (PPV).
Commençons par la participation et l’intéressement. La première consiste pour une entreprise à verser aux salariés une prime représentant une part de ses bénéfices. Elle est obligatoire pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés.
Le second est également une prime, versée si certains objectifs fixés en amont – ils peuvent être quantitatifs ou qualitatifs – sont atteints. Sa mise en place est facultative dans les entreprises, quelle que soit leur taille. Globalement, ces deux dispositifs montent régulièrement en puissance depuis le milieu des années 2000.
2/ Plans d’épargne entreprise : une croissance lente mais régulière
En plus de la participation et de l’intéressement, les salariés peuvent épargner au sein de leur entreprise à l’aide de deux autres dispositifs de partage de la valeur : le plan d’épargne entreprise (PEE) et le plan d’épargne retraite (PER), longtemps connu sous le nom de Plan d’épargne retraite collectif (Perco).
Ces deux systèmes collectifs d’épargne permettent aux salariés de se constituer progressivement un patrimoine. Les entreprises peuvent ensuite abonder.
Exemple : Monsieur Martin verse 800 euros sur son plan d’épargne retraite une année n, son entreprise ajoute 300 euros à ce même PER cette année-là. La mise en place de ces plans d’épargne est facultative, sauf pour les entreprises qui disposent de dispositifs de participation.
Les versement des salariés sur leurs plans d’épargne salariale proviennent souvent de la participation et de l’intéressement qu’ils ont reçus. Ils peuvent aussi y verser de l’argent « normal » ou encore des droits monétisés d’un compte épargne temps (CET).
3/ La « prime Macron », nouvelle star de l’épargne salariale
En décembre 2018, Emmanuel Macron cherche à calmer la colère des gilets jaunes. Parmi les mesures annoncées, le Président crée la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (Pepa), souvent surnommée « prime Macron ». Elle permet à une entreprise de verser, à titre exceptionnel, une prime de 1 000 euros aux salariés.
A l’été 2022, le gouvernement transforme la Pepa en Prime pour le partage de la valeur (PPV), augmentant au passage le montant maximal de la prime, désormais fixé à 3 000 euros, et même 6 000 euros dans les entreprises ayant mis en place un accord d’intéressement ou de participation.
Le succès de la PPV s’explique notamment par son caractère très flexible. Facile à mettre en œuvre, elle laisse la possibilité, pour l’employeur, de choisir arbitrairement le montant distribué.
A l’inverse, les dispositifs « historiques » (participation, intéressement, plans d’épargne entreprise) répondent à des règles plus contraignantes, souvent fixées suite à des négociations collectives entre employeurs et syndicats.
4/ Des dispositifs très inégalitaires
Pour espérer voir la couleur d’une prime Macron, d’un dispositif de participation ou de tout autre dispositif de « partage de la valeur », mieux vaut travailler dans une grande entreprise. C’est l’une des principales limites de l’épargne salariale, qui est très inégalitaire.
L’exemple de la participation est révélateur. En moyenne, plus d’un salarié sur trois (36,3 %) en avait touché en 2019. Mais cette proportion s’élevait seulement à 3,8 % pour les salariés d’entreprises comptant entre 10 et 49 salariés, contre 56,3 % pour leurs homologues travaillant dans une entreprise de plus de 1 000 salariés.
Ce constat vaut pour tous les autres dispositifs, même si l’intensité des inégalités varie entre eux. Maigre consolation : dans les rares petites entreprises qui utilisent ce genre de dispositifs, les montants versés sont généralement supérieurs à ceux des grandes entreprises.
Les inégalités en matière d’épargne salariale se réduisent-elles ces dernières années ? A priori non. Sur le temps long, la hausse des montants versés s’accompagne d’une relative stabilité du pourcentage de salariés concernés, tant pour la participation que pour l’intéressement ou les plans d’épargne entreprise. En clair, ceux qui bénéficiaient déjà de ces dispositifs touchent davantage, mais il n’y a pas de démocratisation.
Ces inégalités ne datent pas d’hier. Dès 2011, le Comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales regrettait dans un rapport « la faible diffusion [des dispositifs d’épargne salariale] dans les PME [qui] conduit en fait à une dualisation du marché du travail ».
5/ Quel effet sur les salaires ?
Sur le papier, le recours aux dispositifs de primes et d’épargne salariale est une menace pour les salaires. Car pour un patron, la prime n’a que des avantages : elle lui permet de récompenser les salariés les bonnes années, tout en évitant de mettre l’entreprise dans le rouge lorsque le temps se gâte.
Contrairement à une hausse de salaire, sur laquelle on ne peut pas revenir, il n’y a pas de garantie qu’une prime soit durable. Elle peut être réduite, voire disparaître.
Même chose pour les dispositifs d’épargne salariale. Cerise sur le gâteau : tous ces dispositifs sont soutenus par une fiscalité avantageuse (voir plus bas).
Sur longue période, on n’assiste pas à une déformation massive de la structure des rémunérations, avec des primes qui remplaceraient totalement les hausses de salaire. Mais une dynamique en ce sens est tout de même à l’œuvre.
Dès 2013, une étude du Centre d’étude de l’emploi (CEE, aujourd’hui Ceet) avait mis en évidence « un effet de substitution des primes d’intéressement aux rémunérations dans les entreprises qui possèdent un accord ancien ».
Plus récemment, dans une étude portant sur la PPV versée en 2022, l’Insee évoquait de « potentiels effets d’aubaine »1, précisant qu’« en l’absence du dispositif de PPV, des employeurs auraient sans doute versé, sous une forme différente, une partie au moins, estimée en première analyse à environ 30 %, du montant des primes à leurs salariés ».
Le gouvernement ne nie pas cette tendance lui non plus. Dans une annexe de son Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, il reconnaît ainsi que l’épargne salariale a un effet de « substitution sur le long terme aux rémunérations ordinaires ».
6/ Un manque à gagner croissant pour la Sécurité sociale
Les dispositifs d’épargne salariale et de partage de la valeur sont largement exonérés de cotisations sociales, ce qui encourage les entreprises à les privilégier à la hausse des salaires. Conséquence : les caisses de Sécurité sociale voient leur recettes baisser.
En théorie, le gouvernement doit compenser cette baisse à l’euro près. Mais, d’une part, certaines exemptions ne sont plus compensées et, d’autre part, cela pèse sur les finances publiques. Pour renflouer la Sécu, l’Etat puise en effet dans d’autres recettes fiscales comme la TVA ; c’est donc le contribuable qui finance en partie ces primes et autres dispositifs d’épargne salariale. Et c’est autant d’argent qui ne peut être utilisé pour les autres besoins sociaux (transition écologique, éducation, etc).
Quand le contribuable remplace le patron pour améliorer la feuille de paye, combien cela lui coûte-t-il ? Dans le document budgétaire cité précédemment, le gouvernement met les chiffres sur la table.
En 2023, l’épargne salariale au sens strict coûtera à la collectivité près de 2 milliards d’euros, dont 860 millions pour l’intéressement, 359 millions pour la participation, et 169 millions pour les plans d’épargne entreprise.
Si on y ajoute d’autres dispositifs de nature proche (prévoyance complémentaire, tickets restaurants, chèques vacances…) qui sont également exemptés d’assiette2, la facture grimpe à plus de 9 milliards d’euros pour 2023. Une somme pas si éloignée du déficit prévu des retraites en 2030 (13,5 milliards d’euros par an) qui a justifié la brutale réforme des retraites en cours.
1.Lorsqu’un acteur économique s’efforce d’inciter les autres acteurs à agir de telle manière, il les appâte en général en leur offrant un avantage s’ils se comportent de la façon souhaitée : par exemple baisse de prix, prime, cadeau, etc. Il y a « effet d’aubaine » si l’acteur qui bénéficie de cet avantage avait eu, de toute façon, l’intention d’agir ainsi, même si l’avantage n’avait pas été accordé
2.Il faut distinguer l’exemption d’assiette de l’exonération. Dans le premier cas, le revenu est théoriquement imposé (il entre dans l’assiette d’imposition), mais il est exempté pour diverses raisons. Dans le second cas, techniquement, l’impôt n’est plus dû : il sort de l’assiette.