REVENDICATIONS : salaires, emplois, assurance-chômage, retraite… Les motifs ne manquent pas en ce début de quinquennat.
Des grèves inédites éclatées en Europe pour exiger des hausses de salaires face à l’inflation. En France, ou la colère avait commencé à sourdre avant le début de la guerre en Ukraine, les employeurs lâchent du lest. Mais ils continuent de privilégier le versement de primes, toujours soutenus par un gouvernement qui ne change rien à son logiciel.
À la lecture de cet article, vous constaterez que la branche champagne n’échappe pas à cette situation.
Les salariés des maisons de champagne continuent leur lutte pour demander des augmentations de salaire et pas des primes PPV (Prime de Partage de la Valeur).
Face au refus de la commission sociale de l’UMC de réouvrir rapidement des négociations paritaires, les militants CGT se réuniront le lundi 24 octobre prochain pour définir la suite à donner à leur mouvement.
Comme un symbole ! Les salariés de Gh martel, véritables porte-drapeaux des salariés du champagne en lutte continuent leur mouvement même sous une pluie battante.
L’INFLATION MET LE FEU AUX POUDRES
« C’est exceptionnel ce qui se passe », ce réjouit Philippe Bernardin, délégué syndical CGT à la laiterie Triballat, faisant référence non pas à la visite inopinée du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin à Rians, bourgade du Cher, mais à la grève inédite menée dans l’entreprise familiale à l’occasion de la mobilisation nationale sur les salaires le 29 septembre dernier.
ICI ILS FONT FACILEMENT 60 KM PAR JOUR POUR VENIR A L’USINE, SOIT UNE FACTURE DE 200 € DE GASOIL PAR MOIS. DU FAIT DES DIFFICULTES DE RECRUTEMENT, IL MANQUE REGULIEREMENT 10 % DES EFFECTIFS. LA CHARGE DE TRAVAIL REPOSE SUR LES PRESENTS, EPUISES CAR LA SITUATION DURE DEPUIS 3 ANS.
Plus connue sous la marque de produits frais laitiers Rians, l’entreprise emploie 720 salariés. « Sur l’équipe du matin, une soixantaine d’ouvriers étaient rassemblés devant les grilles. Même si les salaires légèrement au-dessus du SMIC on été revalorisés de 215 € brut depuis janvier, 400 salariés sont à moins de 2 000 € brut. Ici ils font facilement 60 km par jour pour venir à l’usine, soit une facture de 200 € de gasoil par mois. Du fait des difficultés de recrutement, il manque régulièrement 10 % des effectifs. La charge de travail repose sur les présents, épuisés car la situation dure depuis 3 ans. Les ateliers n’ont pas cessé de tourner durant la crise sanitaire et en guise de remerciement les salariés ont touché 150 € de prime Macron où sortir du confinement », raconte Philippe Bernardin. Son syndicat revendique une augmentation de 350 € brut, le paiement de la pause, une prime de mobilité.
GREVES INEDITES
Dans un tout autre genre, la grève durant l’été dans différents centres sportifs (à Argentière, aux Arcs, à Hyères, ou à Serre Chevalier) est aussi historique. Plusieurs vendredis de suite, les saisonniers ont cessé le travail pour réclamer « des revendications salariales et des recrutements ». Dans un communiqué de presse, les salariés mobilisés des Arcs constatent que « les salaires n’ont été revalorisés que de 3 % en neuf ans, alors que l’inflation a été de 20 %. Les salariés ont donc perdu 17 % de pouvoir d’achat ».
Par ailleurs, dans certains métiers, les salaires ont décroché par rapport à ceux en vigueur dans le secteur avec, pour résultat, un sous-effectif et une surcharge de travail. « à l’ UCPA, un accompagnateur en moyenne montagne est payé 1 350 € net, contre 1 500 € dans d’autres établissements. Quand on part en trek, on travaille plus de 70 heures dans la semaine pour 1 900 € net à la fin du mois. Nous encadrons parfois des mineurs, dans un milieu qui peut être dangereux et nous sommes diplômés à bac + 3. Nous ne sommes pas assez rémunérés pour vivre dignement, mais aussi au regard de nos responsabilités et de nos compétences », témoigne Gauthier, accompagnateur en moyenne montagne, profession qui revendique un salaire à 1 850 € brut ».
En cette « fin d’abondance« proclamée par le président Emmanuel Macron, les mobilisations sur les salaires éclatent aussi au quatre coins de l’hexagone dans de nombreux secteurs (énergie, automobile, transport, aéroport, agroalimentaire, banque et assurance, aéronautique), ainsi qu’au sein de très nombreuses entreprises (Figeac, TotalEnergies, Renault, Safran, Leroy Merlin, Coca-Cola, Groupama). Alors que le groupe Total annonçait des bénéfices record de 10,2 milliards de dollars au premier semestre 2022, la CGT lançait fin juin une grève coordonnée dans toutes les filiales, non seulement les raffineries traditionnellement mobilisées, mais aussi les stations-services où « le salaire ne grimpe jamais au-dessus de 1 500 € brut, avec des temps partiels, des horaires décalés, du travail le week-end« , constate Éric Sellini, coordinateur CGT chez TotalEnergies.
Rien que dans l’agroalimentaire, la Fédération CGT recensait plus de 200 appels à la grève dans le cadre du 29 septembre, journée de manifestation pour les salaires et les retraites impulsée par la CGT, la FSU, Solidaires et plusieurs syndicats d’étudiants. Face à des salariés qui se mobilisent parfois pour la première fois de leur vie et sous l’effet de l’inflation, des entreprises sont contraintes d’ouvrir un second « round » de négociation, après un premier mené en début d’année.
LEUR PART DU GÂTEAU
De fait, le spectre de la vie chère a réapparu bien avant la guerre en Ukraine, avec la hausse des dépenses liée pour partie au prix de l’essence et de l’énergie. Alors que le thème du pouvoir d’achat s’invitait dans la campagne présidentielle en 2022, des employeurs finissaient par gonfler (un peu) les fiches de paie. Selon la DARES, la direction des études et statistiques dépendant du ministère du travail, le salaire mensuel de base (SMB) des salariés du secteur privé a augmenté de 3,1 % entre juillet 2021 et juin 2022. Quant aux fonctionnaires, ils ont enfin vu leur point d’indice revalorisé en juillet de 3,5 %.
« LES SALARIES N’EN N’ONT EN RIEN A FOUTRE DES PRIMES, CE QU’ILS VEULENT, C’EST DU SALAIRE. ILS ONT COMPRIS L’IMPORTANCE DES COTISATIONS SOCIALES POUR LES DROITS A LA RETRAITE, A LA SANTE, AU CHÔMAGE »
Seulement voilà, l’inflation avoisine aujourd’hui les 6 %. Remplir son frigo, faire le plein d’essence, se chauffer, payer son loyer, s’offrir du bon temps devient difficile. Les salariés réclament leur part du gâteau, d’autant que des entreprises ont conforté leurs marges, grâce aux aides publiques notamment, durant la crise de sanitaire. » au plus fort du Covid les ouvriers ont toujours marné. L’entreprise a bien résisté au ralentissement dans l’aéronautique, notamment en tirant profit des marchés militaires », raconte Fabien Traynaud secrétaire CGT de l’équipementier aéronautique Figeac, qui emploie 1 345 salariés. « Pour 2021, l’entreprise a distribué plus de 25 millions d’euros de dividendes. D’un autre côté, elle mène une politique de bas salaires depuis 7 ans. Les salariés ont pété une pile ».
Pendant 3 semaines en juin et juillet dernier, 80 à 90 % des ouvriers de production ont cessé le travail pour exiger, avec la CGT, une augmentation de salaire de 300 € brut. Les salariés n’en n’ont rien à foutre des primes, ce qu’ils veulent, c’est du salaire. Ils ont compris l’importance des cotisations sociales pour les droits à la retraite, à la santé, au chômage, continue Fabien Traynaud qui voit dans ce « conflit exemplaire » l’occasion de « retrouver fierté et dignité pour les salariés ». Finalement, le conflit a débouché sur un accord signé le 6 juillet 2022 par la CFDT et la CGC, mais pas par la CGT. Lequel accord prévoit des augmentations de salaire comprises entre 60 et 120 € brut par mois, selon les niveaux de rémunération, ainsi qu’une prime Pepa (prime exceptionnelle de pouvoir d’achat) de 100 €.
La crise sanitaire a modifié le rapport que chacun entretient avec son travail. Les travailleurs et travailleuses dit « de deuxième ligne » notamment, par ailleurs « déconsidérés et mal payés », on prit conscience de leur utilité sociale et économique. « Dans l’agroalimentaire, on a toujours travaillé », témoigne Ghislain Dubois, délégué syndical CGT chez Tereos, fabricant de sucre. « La direction a proposé 3,2 % d’augmentation des salaires en mars dernier lors des NAO, alors que l’inflation était de 4,4 %, on a refusé de signer. Le 11 juin dernier, en intersyndicale avec la CFDT, on a réclamé 70 € de plus. La direction a fini par céder en août, à l’approche de la campagne sucrière. Au total on a décroché une hausse de plus de 7 % pour les plus bas salaires et de 6 % pour les agents de maîtrise, avec une clause de revoyure ».
NEGOCIATIONS DE BRANCHE
Les négociations se multiplient aussi dans les branches professionnelles, où les minima conventionnels se retrouvent dépassés par le SMIC du fait des valorisations successives de celui-ci (quatre en un an). Pour éviter ces décrochages, la CGT propose d’augmenter automatiquement les salaires minima des branches en cas de revalorisation du SMIC. Selon un décompte de la direction générale du travail, 117 branches sur 171, soit près de deux tiers, compte à ce jour au moins un coefficient inférieur au SMIC.
La CGT agroalimentaire recense 28 branches avec des grilles de salaire en dessous du SMIC. « Dans le secteur de la logistique, malgré les résultats record dans les entreprises pour 2021, boostés en particulier par la vente en ligne […] après deux années Covid et une reconnaissance d’utilité publique, le patronat nous propose sept coefficients sur seize en dessous du SMIC, sachant que ces sept coefficients correspondent aux métiers les plus pénibles et représentent 80 % du personnel des plateformes », écrivaient en juin Francis Michaud et Christophe Mercier – respectivement secrétaire général de la CGT Transports et responsable de la branche Transports routiers – à Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein-emploi et de l’insertion.
Les résultats varient en fonction du rapport de force, en faveur des salariés ou des employeurs, selon les difficultés de recrutement. Dans le transport aérien, par exemple, le patronat et quatre syndicats (CFDT, CGT, CGC, Unsa) ont signé en juillet à un accord visant à revaloriser les salaires minimums des personnels au sol, en portant le premier coefficient de la grille à 3 % au-dessus du SMIC.
Les sept premiers coefficients qui, par exemple, concernent les agents de sûreté, les agents d’enregistrement, les assistants avion étaient alors inférieurs au SMIC, se souvient Valérie Raphaël, dirigeante fédérale de la CGT Transports, en charge du secteur Aérien. « Or, les entreprises peinent à recruter du fait de la pénibilité de ces métiers : horaires décalés, nuisances sonores, pollution des aéroports… ».
L’accord a éclairci un ciel aérien obscurci par plusieurs mouvements sociaux, tant des personnels au sol que des navigants ou des aiguilleurs. À Roissy, par exemple, les salariés de l’aéroport ont manifesté en juin et en juillet pour réclamer une augmentation de 300 € du salaire brut. « C’est galère de venir travailler à Roissy. Les entreprises peinent à recruter des agents de sûreté, des chauffeurs, des bagagistes. À tel point que la désorganisation des activités aéroportuaires, qui relève de la responsabilité des entreprises du secteur, finit par poser des soucis en termes de sécurité », observe Nordine Kebbache, membre de l’union locale CGT de Roissy. « Un vol Air France a été contraint de faire demi-tour, car un passager était passé sans avoir été contrôlé ».
PRIMES RUSTINES
Des entreprises continuent de privilégier le versement des primes et actionnent le levier mis à leur disposition dans le cadre du paquet pouvoir d’achat adopté cet été au Parlement. Parmi ces dispositifs, la prime Macron, rebaptisée « prime de partage de la valeur », qui peut aller jusqu’à 6 000 € et qui est exonérée de cotisations sociales employeurs dans les entreprises ayant un accord d’intéressement. Autres modalités : la possibilité de monétiser des jours de RTT ou bien de défiscaliser, encore, des heures supplémentaires. Ainsi, Renault doit verser une prime partage de la valeur de 500 € en octobre et une prime mobilité 100 € en novembre.
Le constructeur automobile donne en outre la possibilité de monétiser trois jours de RTT, montant majoré de 25 %. « Renault est l’une des rares entreprises du CAC 40 à ne pas verser de 13e mois. L’entreprise n’est même pas capable de lâcher une prime de 6 000 €, comme le permet la loi », s’emporte Christophe Janvier, délégué syndical central au Mans. « Un nouvel accord de compétitivité baptisé « Re-Nouveau 2025 » prévoit notamment la suppression du paiement des temps de pause de 20 minutes pour les nouvelles recrues, soit 80 € en moins par mois sur la fiche de paie. Aujourd’hui Renault n’est plus du tout attractif en termes de salaire. Je connais un jeune qui complète son revenu en faisant le taxi, une maman qui élève seule sa fille et ne part plus en vacances… «
On n’a pas fini d’entendre parler salaires et inflation… Ainsi, les partis de gauche prévoyaient une marche contre la vie chère et l’inaction climatique le 16 octobre. Et les organisations syndicales se sont félicitées de l’ampleur de la journée de mobilisation du 29 septembre et estimaient le soir même que « les capacités de résistance sont là et peuvent s’amplifier ». C’est ce à quoi nos organisations travailleront ensemble dès demain.