Sophie Binet Secrétaire Générale de la CGT. © Photo Alternatives Economiques.

En cette période critique, marquée par la possible montée au pouvoir du Rassemblement National (RN), Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, dans un entretien qu’elle a accordé, le 21 juin 2024,  à Sandrine Foulon et Hervé Nathan, journalistes du magazine Alternatives Économiques, explique pourquoi la Confédération appelle clairement à voter pour le Nouveau Front populaire au premier tour.

Cette prise de position est une première depuis 43 ans pour la centrale de Montreuil, qui, ces dernières années, se contentait de prôner un barrage contre le Front national. 

Sophie Binet indique notamment que la CGT refuse de mettre sur un pied d’égalité l’extrême droite et la droite. Elle met en garde contre les dangers que représente le RN pour la démocratie, les travailleurs et le syndicalisme. Elle souligne également la responsabilité majeure d’Emmanuel Macron dans la montée de Marine Le Pen, tout en insistant sur le besoin pour la gauche de regagner le vote des travailleurs.

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En cette période de bascule historique et de possible arrivée du RN au pouvoir, la secrétaire générale de la CGT n’a pas choisi d’intégrer le Nouveau Front populaire, mais appelle sans ambiguïté à voter pour lui au premier tour.

Cela fait 43 ans que la centrale de Montreuil n’avait pas donné de consigne aussi claire pour une formation politique. Ces dernières années, elle appelait à faire barrage contre le Front national.

Sophie Binet, qui refuse de mettre un signe d’égalité entre l’extrême droite et la droite, revient sur les dangers du RN pour la démocratie, les travailleurs et le syndicalisme, mais aussi sur la responsabilité écrasante d’Emmanuel Macron dans la montée de Marine Le Pen. Sans oublier celle de la gauche qui doit reconquérir, à ses yeux, le vote du monde du travail.

La CGT appelle à battre le Rassemblement national lors des élections législatives. Qu’est-ce qui oppose fondamentalement l’extrême droite et le syndicalisme ?

Sophie Binet : Fondamentalement, l’extrême droite et le syndicalisme sont à l’opposé l’une de l’autre. D’abord sur la démocratie, car le syndicalisme fonctionne par en bas. La démocratie sociale permet aux travailleurs d’avoir leur mot à dire sur la marche non seulement de l’économie, mais aussi sur la marche du pays.

Deuxième point de clivage : le syndicalisme rassemble tous les travailleurs en fonction de leur travail, et pas en fonction de leur nationalité, de leurs origines ou de leur couleur de peau. Le syndicalisme est donc un obstacle à l’extrême droite puisque nous, sur les lieux de travail et dans les luttes, nous rassemblons très largement les salariés.

Lors de mes déplacements sur le terrain, je suis frappée de constater que, malgré le climat nauséabond qu’installe l’extrême droite – mais aussi, malheureusement, Emmanuel Macron –, les salariés sont unis, soit autour de leur travail, soit autour de la nécessité de gagner leurs luttes. Ils ne se disputent pas autour des questions de religion ou d’origine.

La troisième différence fondamentale, c’est l’internationalisme. Les organisations syndicales en général et la CGT en particulier refusent les mises en opposition des travailleurs en fonction de leur origine. Nous rassemblons au contraire les travailleurs et les travailleuses contre le capital au plan mondial.

Cela ne veut pas dire, contrairement à ce que veut faire croire l’extrême droite, que nous sommes sur une position mondialiste. Nous défendons les travailleuses et les travailleurs du monde entier et nous nous opposons à la libéralisation des échanges telle qu’elle se pratique aujourd’hui, nuisible aussi bien pour les salariés français que pour les salariés des pays en voie de développement dont l’économie est mise à mal par les multinationales.

Le syndicalisme est en soi un rempart à l’extrême droite, et c’est pour cela qu’Emmanuel Macron a commis une faute grave en passant outre les organisations syndicales et la mobilisation sociale pendant la réforme des retraites.

Il a ouvert un boulevard, et installé l’idée que les organisations syndicales ne servent à rien et que la seule alternative possible, c’est le Rassemblement national. Si l’extrême droite arrivait au pouvoir, ce qui aujourd’hui est malheureusement possible, son premier ennemi serait les organisations syndicales. Elle l’a annoncé clairement.

Dans une interview, Marion Maréchal préconise une loi pour supprimer le droit de grève, supprimer tout financement des organisations syndicales, supprimer les seuils pour instituer des CSE, supprimer l’exclusivité du syndicalisme représentatif au premier tour des élections professionnelles. Une revendication qui a le soutien d’une bonne partie du patronat, ouvrant la porte à des syndicats inféodés à l’extrême droite ou aux employeurs. Tout cela ne nous étonne pas au vu de l’histoire, car une des premières choses qu’a faites le régime de Vichy, c’est de dissoudre les confédérations CGT et CFTC, avant d’instituer la Charte du travail.

Malgré les mises en garde des principales confédérations, les ouvriers et employés votent en majorité pour le RN. C’est aussi le cas de beaucoup de vos sympathisants. Comment expliquer cet écart entre la représentation professionnelle et la représentation politique ?

S. B. : Si le RN progresse dans tous les pans de la société, il progresse forcément chez nous aussi. On constate néanmoins que le vote RN est un peu plus faible chez ceux qui côtoient un syndicat [23 % chez les sympathisants contre 31,5 % pour l’ensemble des Français, selon un sondage Harris Interactive/AEF Info réalisé le 9 juin 2024, NDLR].

La CGT a toujours été très claire sur l’imposture sociale de l’extrême droite mais, très longtemps, nous nous sommes sentis seuls contre tous, face à un rouleau compresseur. Depuis des années, notamment avec la CFDT, nous avons alerté les responsables politiques à de nombreuses reprises. En vain !

Plus que tout autre, Emmanuel Macron a une responsabilité écrasante. Il a été élu à deux reprises pour faire barrage à l’extrême droite – j’ai moi-même voté pour lui –, et il a fait exprès, par tactique politicienne, de la faire monter. C’est encore le cas avec la dissolution de l’Assemblée nationale, en espérant retrouver une majorité. Mais on ne joue pas avec l’extrême droite. Le 18 juin encore, il critique le programme de la gauche en proclamant qu’il s’agit d’un « programme immigrationniste » !

« La gauche doit rompre avec son positionnement caritatif et condescendant, et répondre au monde du travail dans son ensemble »

Ce genre de termes reprend la rhétorique de Marine Le Pen. Contrairement à lui, la CGT a toujours refusé de renvoyer dos à dos le RN avec une quelconque autre force politique. C’est la raison pour laquelle nous avons appelé à battre l’extrême droite en 2002, 2017 et 2022 ! Le président est d’une inconséquence complète et scandaleuse au vu de son électorat, et c’est gravissime d’un point de vue moral. C’est un reniement frontal de l’engagement du programme du Conseil national de la Résistance de toujours maintenir une digue face à l’extrême droite.

La gauche a aussi ses responsabilités : l’extrême droite ne progresse que quand la gauche est divisée et passe son temps à régler ses comptes internes plutôt que de s’opposer au capital et aux droites. Elle a aussi déçu, parce qu’elle trahi les attentes du monde du travail. Le quinquennat de François Hollande a été catastrophique. Lorsqu’on est élu parce qu’on est « l’ennemi de la finance » et qu’au lendemain du vote, on pactise avec elle, cela ne pardonne pas. Quand on ferme une usine ou qu’on supprime un service public, c’est un député RN qu’on élit…

Mais la puissance du vote RN chez les travailleurs est-elle seulement l’effet de la désindustrialisation, ou ne serait-ce pas plutôt celui de la confrontation avec l’immigration ? L’opinion selon laquelle il y aurait trop d’immigrés en France est majoritaire, y compris chez vos mandants. Est-ce un échec du syndicalisme ? Du mouvement social ?

S. B. : On peut résumer en un mot le terreau sur lequel prospère l’extrême droite : le déclassement. Le déclassement du travail, qui ne permet plus de financer sa vie, ses projets, son avenir. Et aussi le déclassement du pays. Ce sentiment conduit à s’en prendre à celui qui est juste en dessous de soi. C’est là-dessus qu’est construit le discours sur l’assistanat, les pauvres, les immigrés ou leurs descendants.

La gauche a mis longtemps à admettre cette question de la dévalorisation du travail. Elle y a répondu avec un discours de « générosité », envers « les pauvres ». Lorsqu’on réduit la protection sociale pour tous à un filet minimum pour les plus pauvres, on organise le ras-le-bol vis-à-vis des systèmes de solidarité, et on dévalorise le travail. Il faut rompre avec ce positionnement caritatif et condescendant, et répondre au monde du travail dans son ensemble.

Le dernier épisode a été le revenu universel. Une catastrophe ! Laisser penser que le projet de la gauche consiste à permettre aux gens de vivre sans rien faire, c’est ouvrir un boulevard à l’extrême droite. On a besoin de propositions qui revalorisent le travail : augmenter les salaires, une vraie protection sociale associée au travail – retraite à 60 ans, assurance chômage, assurance maladie… –, réindustrialiser le pays, réduire le temps de travail.

Le tour de force du RN, c’est d’afficher un programme social : sur les revenus avec des baisses de TVA, sur la retraite en promettant de revenir sur la loi Macron…

S. B. : A part sur la sécurité, l’immigration et l’identité – questions sur lesquelles le RN est toujours aussi raciste –, sur le reste, on entend tout et son contraire au RN. Cela fait partie de sa stratégie de conquête du pouvoir. Ses leaders savent bien qu’ils ne peuvent gagner dans les urnes sans le vote d’une partie du monde du travail.

Mais si on regarde le détail, les masques tombent. Après avoir tergiversé, Jordan Bardella annonce son intention d’abroger la loi Macron sur les retraites, mais seulement après un audit des finances publiques. Ils utiliseront alors l’argument du déficit trop élevé pour expliquer qu’ils ne pourront pas financer cet engagement.

La vraie raison est qu’il ne veut pas dégager de nouvelles recettes, car cela nécessiterait d’affronter le capital. Il refuse d’augmenter les impôts, les cotisations, de taxer les dividendes et les rachats d’actions, de remettre en cause les 170 milliards d’euros de subventions aux entreprises.

Au contraire, il porte un objectif complètement antisocial qui est la suppression des cotisations sociales. Comment seront alors financées nos retraites et l’assurance maladie ? On a vu avec Macron comment la suppression des cotisations chômage, soi-disant indolore pour les salariés, a été un prélude à la réduction des droits des chômeurs.

La CGT a décidé d’appeler à voter au premier tour pour les candidats du Nouveau Front populaire, à la différence des élections précédentes mais aussi du positionnement actuel de la CFDT et des grandes associations comme ATD-Quart Monde, qui appellent à voter contre le Rassemblement national. Qu’est-ce qui vous conduit à sauter ce pas ?

S. B. : On ne peut pas tergiverser face à la gravité de la situation. Jordan Bardella peut devenir dans les prochains jours Premier ministre, ce qui serait inédit dans les annales de la République. Ce n’est arrivé qu’avec le régime de Vichy.

Nous avons donc pris une décision qui n’est pas une première, car la CGT avait agi ainsi en 1981, 1974, 1945 ou 1936. Nous avons aussi considéré l’ampleur considérable de l’union de la gauche, qui va du NPA jusqu’à François Hollande. Sans cette unité très large, nous aurions sans doute décidé autrement.

Il faut admettre le fait que dire non ne suffit plus ! Pour empêcher l’extrême droite d’arriver au pouvoir, le ressort du « faire barrage » est de plus en plus usé. On l’a déjà actionné en 2002, en 2017, en 2022 – et si c’était à refaire, je le referais –, mais cela a amené Emmanuel Macron au pouvoir avec sa violence sociale sans frein.

Dire aujourd’hui aux travailleurs : « Faites barrage en votant pour des gens comme Macron », ça ne passe plus. C’est pourquoi nous appelons clairement à voter pour le Nouveau Front populaire. J’estime que notre position et celle de la CFDT, qui a rompu avec Macron depuis la mobilisation sur les retraites, sont assez proches.

Et quelle sera votre attitude au deuxième tour ?

S. B. : Cette question n’est pas arrêtée. Depuis le début de la crise, nous prenons soin de réunir nos instances démocratiques. En dix jours, le CCN (le Comité confédéral national, « parlement » de la CGT, NDLR) a été réuni deux fois, alors que le rythme habituel, c’est une fois par trimestre. Il se tiendra encore le 1er juillet. Nous aurons donc à cette date une position de second tour, et je suis persuadée que notre prise de position forte dès cette semaine nous permettra de trancher.

Ce qui est certain, c’est que la CGT ne placera jamais un trait d’égalité entre l’extrême droite et une quelconque autre force politique, car selon nous, il y a une différence de nature. Quand l’extrême droite arrive au pouvoir, elle fait tout pour le conserver. On l’a vu au Brésil avec Bolsonaro et aux Etats-Unis avec l’assaut du Capitole par les troupes trumpistes.

En Pologne, il avait fallu l’énorme pression populaire et la mobilisation des femmes pour déloger le parti PiS du gouvernement en 2023, et le nouveau premier ministre Donald Tusk est contraint à une cohabitation avec le président de la République qui est resté en place.

En Italie, Giorgia Meloni prépare une réforme constitutionnelle qui renforcerait ses pouvoirs. Nous refusons de renvoyer dos à dos l’extrême droite et toute autre formation politique. Et ce qui est grave, c’est que cette position de bon sens devient rare dans l’arc politique, notamment au centre.

Vous aviez appelé dès le lendemain de l’élection européenne à la constitution d’un front populaire. Evidemment, on pense à l’expérience de1936. Mais à ce moment-là, la CGT ne s’était pas contentée d’appeler à voter, elle était un des moteurs de cette alliance qui incluait des partis, des syndicats, des associations comme la Ligue des droits de l’homme. Elle avait participé à l’élaboration du programme. Aujourd’hui, c’est très différent…

S. B. : Pas tant que ça. S’il n’y avait pas eu des appels très forts comme celui venu de la CGT, le lundi 10 juin au matin, puis celui de l’intersyndicale le soir même, je ne pense pas qu’on serait parvenu à constituer cette alliance d’une gauche qui était jusque-là séparée par de profonds fossés, en la dotant d’un programme en rupture avec la politique d’Emmanuel Macron, mais aussi de François Hollande.

Il était très clair pour nous que rester dans le tête-à-tête Macron-Le Pen, c’était aller à la victoire inéluctable du RN. Il fallait en sortir. C’est le sens de notre appel. Ensuite, nous avons été sollicités par les forces de gauche pour participer aux négociations, mais nous avons refusé à cause de délais trop courts pour dégager des décisions collectives au sein de la CGT, et nous ne voulions pas être pris dans des querelles politiciennes. Nous avons jugé plus utile d’agir de l’extérieur, pour faire monter la pression populaire et dire aux partis : « Prenez vos responsabilités ».

Certaines organisations de la CGT ont voulu débattre sur cette question d’entrer dans le Nouveau Front populaire. Nous avons décidé de ne pas le faire parce que nous ne présentons pas de candidat aux élections, et que nous préférons rester dans notre rôle syndical.

Le programme du Front populaire n’est pas celui de la CGT. Il comprend certes des revendications que nous portons, mais il en manque et pas des moindres : le moratoire sur les licenciements, des messages pour les salariés des 135 plans de licenciement en cours…

Il n’y a pas la Sécurité sociale professionnelle environnementale, très importante pour dépasser la contradiction entre le social et l’environnemental. Enfin, sur l’énergie, nous portons une solution pour la sortir de la spéculation par un retour aux tarifs réglementés, plutôt que par des aides à la consommation coûteuses pour les finances publiques. J’espère bien que la CGT pourra faire évoluer le programme du NFP.

Au CCN de la CGT, combien d’organisations se sont prononcées en faveur de la position ?

S. B. : Nous avons compté un vote contre et 7 abstentions sur 135 fédérations professionnelles et unions départementales votantes.

En cas de victoire du NFP, ou d’ailleurs du RN, cette prise de position ne vous lie-t-elle pas les mains, soit qu’on vous prenne pour une « courroie de transmission » du NFP, soit qu’on considère la CGT comme un opposant au RN ?

S. B. : Notre position est claire : c’est un appel au vote sur la base du programme. Le 8 juillet, si le Nouveau Front populaire l’emporte, la CGT mettra tout en œuvre pour faire monter le rapport de force social et faire en sorte que les promesses soient tenues. Notre référence, c’est le processus vécu en 1934-1936 : en 1934, les manifestations organisées par la CGT poussent au rassemblement de la gauche.

Et en 1936, les grandes grèves organisées animées par la CGT permettent l’application d’un programme beaucoup plus ambitieux qu’annoncé. La différence avec l’épisode du Programme commun, en 1981, c’est que la CGT en faisait alors partie. Cette fois, nous ne sommes pas liés. En revanche, les candidats du NFP le seront ! Lorsque j’entends certains candidats expliquer que la retraite à 60 ans ne serait pas une obligation pour la nouvelle majorité, je rappelle que le programme les engage devant les électeurs qui attendent de la constance.

La CGT ira, elle, le plus loin que le rapport de force le permettra et elle ne mettra jamais une revendication sous le tapis dans le but de ne pas déranger un pouvoir politique. Si les salariés ressentent le besoin de se mobiliser, la CGT les soutiendra, que la gauche ou la droite soit au pouvoir.

En cas de victoire du RN, nous savons que ces gens-là veulent la peau de la CGT, mais il serait mesquin de baisser notre pavillon dans l’espoir illusoire de protéger l’organisation. Si l’on arrête de prendre position pour se préserver soi-même, on manque de courage face à la gravité de la situation. Cela ne doit pas entrer en ligne de compte.

Vous assurez vouloir conserver l’indépendance du syndicalisme par rapport au jeu politique. Mais la candidature de Céline Verzeletti, jusqu’à présent membre de la direction confédérale, à l’élection législative sous la bannière de La France insoumise, ne jette-t-elle pas de la confusion ?

S. B. : C’est un choix personnel qui n’engage pas la CGT. Il n’y a pas de candidat CGT aux élections législatives. Mais chacun a le droit de se présenter aux élections s’il le souhaite, à condition qu’il n’utilise pas son mandat syndical pour cela. C’est pourquoi elle a démissionné immédiatement de ses responsabilités confédérales. Céline Verzeletti, pas encore élue, a quitté non seulement le bureau, mais aussi la commission exécutive.

Mais elle est présentée comme ancienne responsable CGT. Et c’est cette qualité qui a motivé son investiture…

S. B. : C’est pour cela que j’ai rappelé par courrier que le sigle de la CGT ne peut pas être utilisé par des candidats, même pour dire « ex ».

Quel regard portez-vous sur l’attitude des organisations patronales vis-à-vis du débat politique en France ? Sentez-vous une dérive ou au contraire une résistance ?

S. B. : Je suis très inquiète. Nous avions constaté que le patronat français est dragué par le patronat italien qui est tout acquis à Giorgia Meloni. L’opération de séduction et de respectabilité de Fratelli d’Italia vis-à-vis des milieux patronaux italiens est déjà bien amorcée en Italie. Meloni a réussi à rallier des « Draghi boys ». En France, nous observons la dérive depuis des mois et elle s’accentue.

La CPME propose de supprimer la prérogative des organisations syndicales représentatives qui fait qu’elles sont les seules à pouvoir se présenter au premier tour des élections professionnelles [Si la majorité de 50 % n’est pas atteinte, les listes non représentatives peuvent alors se présenter lors d’un second tour, NDLR]. C’est la porte ouverte à des syndicats sous la coupe des patrons, ou inféodés à l’extrême droite comme Jean-Marie Le Pen avait tenté de les faire apparaître dans les années 1990.

Entendre le président du Medef Patrick Martin dire qu’il y a un fascisme d’extrême droite et un fascisme d’extrême gauche est très préoccupant. Mettre les deux projets dos à dos est problématique. J’attendais plutôt qu’il dise que l’extrême droite fait peser une menace sur notre démocratie, et la gauche une menace sur ses affaires.