Avec un rendement d’appellation annoncé à 10 000 kilos « tirables » pour la vendange 2021, la Champagne veut accompagner la reprise des expéditions et, en même temps, faire face à une météo inclémente, avec une décision inédite.
Tous les vignerons n’ouvriront pas leur pressoir cette année… Entre les dégâts du gel et les ravages du mildiou, plusieurs secteurs, dont le Barsuraubois et la vallée de la Marne, auront du mal à récolter des raisins.
10 000 kilos de raisin par hectare, c’est, en résumé, l’équivalent de 300 millions de bouteilles. C’est le rendement d’appellation fixé par le Comité champagne, hier, pour la vendange 2021. « Dès qu’on peut, on prend des décisions simples ! » assure Jean-Marie Barillère, président de l’Union des maisons de Champagne et Coprésident du Comité champagne. Sauf que, la décision rendue publique, hier, dans les locaux sparnaciens du Comité champagne, est tout sauf simple. C’est même la première fois qu’une décision de ce type est prise par l’interprofession champenoise.
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Déblocage individuel ou collectif ?
Le rendement dont il est question est un rendement « tirable ». En d’autres termes, il ne s’agit pas forcément de raisins qui seront récoltés cette année, mais d’une combinaison d’un déblocage de vins issus de la réserve individuelle des déclarants de récolte et des fruits de la vendange 2021, dont Maxime Toubart, président du Syndicat général des vignerons et autre coprésident de l’interprofession champenoise, annonce qu’elle sera « très étalée, à partir de la deuxième semaine de septembre ». L’originalité de la décision de mercredi, c’est qu’on ne sait pas encore quelle part de ce rendement « tirable » sera issue de la réserve. Ni sous quelle forme. Sera-t-il question d’un déblocage technique individuel, laissant à chaque vigneron l’opportunité de décider, ou d’un déblocage collectif, imposé à tous ? Questionné à plusieurs reprises sur le sujet, Jean-Marie Barillère assure ne pas avoir de réponse pour l’instant. Quelques minutes plus tôt, il annonçait que la réserve individuelle se montait, en moyenne à 7 500 kilos de raisin par hectare, avec de fortes disparités.
Ménager la chèvre et le chou
Pourquoi prendre une décision de ce type ? Parce qu’il faut, à la fois, ménager la chèvre et le chou. D’un côté, les expéditions de champagne ont repris, depuis le début de l’année, à un rythme effréné. De l’autre, la météo a été particulièrement brutale avec le vignoble depuis le début de l’année. D’abord, avec un épisode de gel de printemps long et très marqué, au début du mois d’avril. Ensuite, avec « un excès de pluie anormal », comme le qualifie Jean-Marie Barillère. La première quinzaine du mois de juillet et, en particulier, le week-end des 10 et 11 juillet, ont été très arrosés. Une bénédiction pour le mildiou, ce champignon cryptogamique de la vigne, qui aime l’ombre, l’humidité et les températures au-dessus de 20 ºC. E Cette épidémie de mildiou, qui touche particulièrement les secteurs du Barsuraubois, de la Vallée de la Marne et de la Montagne de Reims, ressemble fortement à celle de 2016, qui avait ravagé le vignoble. Cette année-là, déjà, un gel de printemps avait fragilisé les vignes. Ironie du sort, l’année dernière, alors que la récolte s’annonçait superbe, les vignerons n’avaient pu rentrer « que » 8 000 kilos de raisin par hectare. 400 kilos de plus avaient été débloqués en début d’année 2021. Beaucoup de Champenois avaient profité des volumes disponibles sur les vignes pour remettre au pot de leur réserve individuelle.
« Trop tôt pour faire un bilan »
La question, pour certains exploitants, aujourd’hui, est moins de savoir combien de kilos de raisin ils auront le droit de récolter en septembre, que de savoir s’ils auront des raisins à récolter. « L’année est compliquée, beaucoup de vignerons se battent avec la nature », affirme Maxime Toubart, qui précise que, « à deux mois des vendanges », il est « trop tôt pour faire un bilan ». Il assure pourtant que
« beaucoup d’opérateurs utiliseront leur réserve individuelle ». Pour savoir combien de kilos ils auront le droit d’en sortir, il faudra attendre une prochaine réunion. Sans doute le 2 septembre, à quelques jours du début des vendanges. Pourquoi faire simple, quand on peut faire compliqué ?
Un premier semestre «record» du point de vue de l’export
« On vient de vivre les six meilleurs mois de la Champagne », se félicite Jean-Marie Barillère. Du premier jour de l’année au dernier du mois de juin, la Champagne a expédié 115,4 millions de bouteilles, dont 68,7 à l’export et 46,6 en France. C’est, bien sûr, largement mieux qu’en 2020, c’est surtout mieux qu’en 2019 (+5,5 %). D’ailleurs, c’est simple, assure le coprésident de l’interprofession : « La Champagne se dirige vers une année record en termes de chiffre d’affaires ». C’est même pour cela que le Comité champagne a pris avec optimisme la décision d’annoncer un rendement d’appellation de 10 000 kilos par hectare, même si les modalités d’application de ce rendement sont plus complexes qu’elles n’en ont l’air. Mais, si la Champagne vise à nouveau les 5 milliards d’euros, qu’elle avait atteints en 2019, l’année 2021 ne lui permettra pas de battre un record de volumes.
Selon Jean-Marie Barillère, le total des expéditions de 2021 sera « inférieur à la moyenne de la décennie ». Une manière élégante de prévoir des expéditions une nouvelle fois sous la barre des 300 millions de cols ? Plutôt une manière de rappeler que la France, comme souvent depuis le début des années 2010, est à la traîne. Pour l’instant, la Champagne est partie sur une trajectoire qui pourrait lui permettre d’atterrir à peu près n’importe où entre 280 et 300 millions de cols. Si l’export crève le plafond et dépasse de 14 % son record de 2018, le marché intérieur français continue sur sa trajectoire descendante. Sur le premier semestre, les volumes y sont inférieurs de
5,8 % par rapport au premier semestre 2019, la première année de la décennie sous la barre des 300 millions de cols et la première année de la décennie où l’export a pris le pas sur le marché français en termes de volumes.
L’UNION VIDEO DU 22/07/2021