Les viticulteurs champenois peuvent compter cette année sur de belles vendanges.
Les vendanges 2022 se passent pour le mieux en Champagne. Les viticulteurs peuvent compter sur une récolte de qualité et sur des quantités importantes. De quoi faire baisser le prix des bouteilles ? Rien n’est moins sûr.
Les viticulteurs champenois ont pour le moment le sourire. Les vendanges 2022 se déroulent à merveille avec des raisins de qualité présents en quantité. Avec une telle configuration, on pourrait penser que le prix des bouteilles pourrait diminuer, avec un équilibre entre l’offre et la demande.
Note de l’Intersyndicat CGT du champagne :
David Chatillon, président de l’UMC et co-président du CIVC, le déclare : « Notre clientèle est moins exposée à l’inflation que d’autres catégories socioprofessionnelles. Encore une fois, ça ne veut pas dire que s’il y a une crise, on passera au travers, mais pour l’instant, on n’a pas de sujet » (lire en bas de page de cet article).
Effectivement, pour l’instant malgré la crise, les ventes des négociants se portent bien et si leur clientèle est moins exposée à l’inflation que d’autres catégories socioprofessionnelles, celles des salariés des maisons de champagne le sont. Et s’il est peu probable que le prix de bouteilles de champagne baisse en fin d’année, qu’en sera-t-il des salaires ? Augmenteront ils à partir du 20 septembre prochain, date de la réunion paritaire à l’UMC ? C’est également peu probable, sauf si les salariés de la profession entrent en lutte avec la même détermination que les Gh Martel, ou les Canard Duchêne …
Mais ce n’est pas aussi automatique pour le champagne, comme nous l’explique David Chatillon, le président de l’Union des Maisons de Champagne (UMC). « La filière est organisée de telle manière que nous sommes capables de mettre en marché le volume de raisins qui correspond à nos prévisions d’expédition », précise-t-il. Avant chaque vendange, l’interprofession se met d’accord sur des rendements commercialisables. Pour chaque hectare de vignes, un quota de quantité de raisin est fixé. En 2022, il était de 12 000 kilos par hectare, un niveau qui n’a pas été atteint depuis longtemps.
À cela s’ajoute une certaine quantité qui peut être mise en réserve. « Les années déficitaires, où les raisins ne sont pas dans les vignes à hauteur de nos besoins, on sort les quantités manquantes de la réserve. Ce qui nous permet d’atteindre le niveau souhaité, poursuit David Chatillon. Et les années excédentaires, quand il y a trop de raisins par rapport à nos besoins, on met ces raisins en réserve pour les années suivantes. »
En agissant sur les volumes, on a la possibilité de mettre en marché ce qui correspond à nos prévisions d’expédition. Donc l’offre correspond à la demande.
La réserve à la rescousse
En 2021 et 2022, on a pu constater les deux scénarios. L’an dernier, les vendanges ont été très mauvaises. « On avait 10 000 kilos de rendement commercialisable par hectare. Il n’y avait qu’environ 7 000 dans les vignes, 3 000 kilos sont sortis de la réserve. Et on a atteint le niveau qu’on souhaitait », détaille le président de l’UMC. Un an plus tard, il y a bien plus de quantités dans les vignes et même avec un rendement fixé à 12 000 kilos par hectare, il reste des raisins à mettre en réserve.
Les producteurs champenois peuvent compter sur ce système spécifique de réserve car la plupart des vins qu’ils proposent ne sont pas millésimés. Plusieurs années différentes peuvent donc se retrouver dans les bouteilles. « Il va de soi que si on avait trois récoltes déficitaires de suite, on aurait un problème. Ça reste une activité agricole et donc forcément avec un aléa de production mais on arrive à le lisser et pour l’instant qu’on arrive à le réguler de manière très efficace », ajoute David Chatillon.
En Bourgogne ou dans le Bordelais par exemple, cela est impossible car toutes les bouteilles sont millésimées. Les caprices de la météo par exemple ont donc un impact plus direct sur la production et ensuite sur les ventes. Mais la Champagne n’est pas pour autant à l’abri et subit elle-aussi les soubresauts de l’économie mondiale.
Par exemple, en 2008, le rendement avait été fixé à 13 000 kilos par hectare. L’année suivante, l’Europe a subi une grave crise économique et financière consécutive à l’éclatement d’une bulle immobilière aux États-Unis. « C’est un élément qui a entraîné une baisse des prix parce qu’il y avait une récession économique et qu’il y avait trop de bouteilles sur le marché. On ne peut pas éviter des situations comme celles là », rappelle David Chatillon.
En 2020, après les confinements du Covid, un rendement très bas a été fixé pour éviter d’avoir une production trop importante. Pourtant les raisins étaient en nombre dans les vignes. Et un an plus tard, alors que la reprise était extrêmement forte, la situation n’était pas la même dans les vignes. « Les raisins qui nous ont manqué en 2021, on les avait en 2020. »
Un système qui évolue
Les professionnels ont donc décidé cette année de faire évoluer le système de la réserve. « Notre volonté, c’est de faire en sorte que 2020 ne se reproduise pas et qu’on puisse chaque année rentrer tous les raisins de qualité », détaille David Chatillon.
Deux choses ont été mises en place pour la vendange 2022. Tout d’abord, le rendement butoir, qui comprend les quantités pouvant être mises en réserve, passe de 15 500 à 16 500 kilos par hectare. Cela va permettre aux viticulteurs qui ont beaucoup puisé dans leur réserve l’an dernier de pouvoir la reconstituer le plus possible.
Ensuite, un nouveau dispositif pour lisser sur trois ans les conséquences d’une mauvaise récolte a été institué. « Ça veut dire qu’un vigneron peut atteindre le rendement commercialisable en plusieurs années s’il n’a pas les quantités suffisantes dans sa réserve la première année. Donc c’est une assurance supplémentaire », précise le président de l’UMC. Ce dispositif devrait concerner 900 professionnels cette année.
Une incertitude mondiale qui pourrait peser sur les ventes
Cette année, alors que l’inflation galope et que la guerre en Ukraine engendre de l’incertitude, le marché du champagne se maintient toujours. « On est très vigilant, mais pour l’instant, les ventes continuent de très bien se porter. Mais on n’est pas dupes. Le champagne ne peut pas être totalement épargné par une crise économique mondiale si elle se produit », note David Chatillon.
« Notre clientèle est moins exposée à l’inflation que d’autres catégories socioprofessionnelles. Encore une fois, ça ne veut pas dire que s’il y a une crise, on passera au travers mais pour l’instant, on n’a pas de sujet« , ajoute-t-il.