Les vendanges champenoises étant obligatoirement manuelles, le nouveau décrêt autorise la suspension du repos hebdomadaire, une fois par période de 30 jours © Photo Clara de Nadaillac
Dans cet article paru le 10 juillet 2024, dans le journal numérique « Libération », le journaliste Olivier Monod évoque la publication d’un décret du gouvernement, entré en vigueur le 11 juillet 2024, permettant aux vignerons de faire travailler leurs saisonniers sans journée de repos hebdomadaire.
Une mesure très critiquée après les décès survenus lors des vendanges de 2023. Ce décret considère les récoltes réalisées manuellement, en application d’un cahier des charges lié à une AOC ou une IGP, comme des travaux urgents justifiant la suspension du repos hebdomadaire, autorisée une fois par période de 30 jours. Après les diverses dérogations accordées par la Dreets du Grand Est à la filière champagne, la main-d’œuvre saisonnière devient corvéable à merci. En effet, les employeurs peuvent déjà déroger aux règles d’hébergement, à la durée du travail jusqu’à 60 heures par semaine, voire 72 heures, et maintenant au droit au repos hebdomadaire.
Certes, cela va avantager les salariés en CDI dans les maisons de champagne et chez les exploitants viticoles, car cette suspension au repos hebdomadaire va générer des heures supplémentaires et des repos compensateurs, mais elle mettra en cause la protection de la santé des travailleurs. De plus, le décret ne précise pas les dispositions permettant aux saisonniers locaux ou étrangers de bénéficier du repos compensateur dû en cas de suspension du repos hebdomadaire. Si quatre parlementaires de la Marne saluent ce décret, certains, comme l’eurodéputé LFI Anthony Smith, ancien inspecteur du travail, le critiquent le taxant de «décret pleinement politique» répondant à «une commande des lobbyistes».
Le gouvernement et les dirigeants de la filière champenoise ne semblent pas tirer les conséquences des vendanges de la honte 2023 où quatre personnes sont mortes et dont le décès serait en lien avec des conditions de travail extrêmes, notamment lors du travail à la tâche en période de forte chaleur…
Malgré les efforts de la filière pour améliorer les conditions de travail, l’Intersyndicat CGT du champagne réclame une réglementation du droit du travail beaucoup plus stricte, notamment pour le travail en période de forte chaleur. Et, afin d’éviter les dérives des dernières vendanges et obliger les maisons et les viticulteurs à respecter les dispositions arrêtées dans le plan d’action présenté au mois de juin par la filière, la CGT champagne revendique des sanctions inscrites au cahier des charges de l’AOC pouvant aller jusqu’au déclassement de la récolte des contrevenants.
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Code du travail
Un décret publié ce mercredi permet aux vignerons de faire travailler leurs saisonniers sans journée de repos. Une décision critiquée après les décès survenus durant les récoltes de 2023.
Les vendanges dans un vignoble de la côte de Beaune en septembre 2023. © Photo Michel Joly/Hans Lucas
par Olivier Monod et AFP publié le 11 juillet 2024 à 12h43
Et le septième jour, ils continuèrent à vendanger. Un décret publié ce mercredi 10 juillet au Journal officiel assouplit les règles concernant le respect du jour de repos hebdomadaire pour les travailleurs dans le secteur agricole. Le texte considère «les récoltes réalisées manuellement» comme «des travaux dont l’exécution ne peut être différée», ouvrant la possibilité à «la suspension du repos hebdomadaire» pour les travailleurs dans la limite d’«une fois au plus sur une période de 30 jours». Un assouplissement du droit du travail qui interroge alors que l’année dernière au moins quatre saisonniers étaient morts dans le vignoble champenois au cours de vendanges rendues particulièrement éprouvantes par les températures caniculaires.
Dans le droit du travail, le repos du dimanche ne peut être retiré que dans le cas de «circonstances exceptionnelles». Le sujet est particulièrement prégnant dans le secteur viticole, où la récolte doit se faire vite, en une dizaine de jours à la fin de l’été. A ce titre, les vignerons disposent déjà de possibilité de déroger au droit du travail concernant le temps de travail. Sur cette période, ils peuvent faire travailler leurs vendangeurs jusqu’à 60 heures par semaine, et même parfois 72 heures au lieu des 48 heures légales. Mais certains exploitants se dispensent également du repos hebdomadaire, estimant que les vendanges sont «des circonstances exceptionnelles» suffisantes pour demander à leurs saisonniers de travailler plus de sept jours d’affilée.
«Sécuriser» les viticulteurs
Cette lecture de la loi n’est pas du goût de la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités du Grand Est, qui, concernant les usages des viticulteurs de Champagne, a infligé des amendes administratives de plusieurs milliers d’euros. Amendes validées par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne. Le décret publié ce 10 juillet vise donc à «sécuriser» juridiquement une pratique déjà en cours. Quatre parlementaires du département de la Marne, notamment la députée Lise Magnier, réélue dimanche, se réjouissent ainsi, dans un communiqué diffusé sur X (ex-Twitter), d’un décret apportant «une réponse stable» aux vignerons: «La situation était incongrue puisque, pour tout contrat se déroulant sur deux semaines calendaires, l’employeur se voit dans l’obligation d’octroyer un jour de repos.» De quoi faire bondir Anthony Smith, ancien inspecteur du travail, aujourd’hui eurodéputé LFI. Auprès de Libération, il fustige un «décret pleinement politique» qui répond à «une commande des lobbyistes». De plus, ce décret n’aurait pas dû selon lui être signé par un gouvernement en sursis, supposé «gérer les affaires courantes». Le gouvernement n’a pas répondu à nos sollicitations.
Assouplir le droit du travail applicable aux vendanges, le sujet est dans l’air depuis plusieurs années. Fin 2021, déjà, le sénateur de l’Aisne Pierre-Jean Verzelen, dans une question au gouvernement, pointait du doigt «les conditions d’embauche des exploitants vignerons pendant les vendanges». Il déplorait l’harmonisation en cours des «régimes du code du travail et du code rural», qui remettrait en cause les besoins de la «filière champenoise». Il demandait en conséquence des dérogations pour le temps des vendanges.
Elisabeth Borne, alors ministre du Travail, lui oppose une fin de non-recevoir : «Il n’est pas souhaitable […] de suspendre le repos hebdomadaire après avoir travaillé dans les vignes 132 heures pendant douze jours consécutifs. C’est là une question de protection de la santé des travailleurs.»
Mais la pression n’a cessé de monter sur le sujet. En juillet 2023, le Rassemblement national dépose une proposition de loi «visant à sécuriser la situation juridique des exploitations agricoles en matière de repos hebdomadaire de la main-d’œuvre agricole». Si ce texte du parti d’extrême droite n’a pas été examiné, le sujet est revenu sur le tapis au printemps 2024, dans le cadre du projet de loi Souveraineté alimentaire et agricole, conçu en réponse à la colère des agriculteurs du mois de janvier. La sénatrice centriste de la Marne Anne-Sophie Romagny dépose alors un amendement pour intégrer «le risque de péril de la récolte ou toute autre raison motivée par l’employeur» dans les circonstances exceptionnelles pouvant justifier la dérogation au repos hebdomadaire. Un texte dont l’étude a été suspendue par la dissolution de l’Assemblée nationale.
Les exploitants ont donc finalement obtenu gain de cause avec le décret publié ce mercredi, malgré la défaite du camp présidentiel aux dernières élections législatives. «Ce décret envoie un très mauvais signal, peste Anthony Smith. La main-d’œuvre est corvéable à merci. Ils peuvent déjà déroger aux règles d’hébergement, à la durée du travail, et maintenant au droit au repos. Les morts de l’an dernier ne pèsent pas grand-chose face aux grappes de raisin. Et ça, c’est insupportable.»
Adaptation au changement climatique
Les conditions de travail pendant les vendanges, et singulièrement dans le champenois, ont été cruellement mises en lumière en 2023, où quatre personnes sont mortes. En Champagne, les vendanges attirent chaque année plus de 100 000 saisonniers qui récoltent les 34 300 hectares du vignoble de la région dans des conditions parfois caniculaires. Plus de la moitié de ces vendangeurs sont étrangers, notamment bulgares et polonais. Ils se répartissent entre plus de 20 000 employeurs. Après les vendanges meurtrières de 2023, les syndicats s’étaient mobilisés pour demander une adaptation des conditions de travail au changement climatique. Et en septembre, le parquet de Châlons-en-Champagne avait ouvert «deux enquêtes pour traite d’êtres humains» après la fermeture par la préfecture de la Marne d’hébergements collectifs de vendangeurs à Nesle-le-Repons (Marne), jugés «insalubres» et «indignes». Un procès est prévu pour mars prochain.
De son côté, la filière a présenté un plan d’action au mois de juin, pour éviter les dérives de l’été dernier. Des guides recensant obligations et bonnes pratiques sont remis aux vignerons. Certaines exploitations se disent prêtes à décaler les horaires de travail en cas de fortes chaleurs. Mais les syndicats auraient aimé un cadrage national sur le sujet. Les salariés du bâtiment, eux, en ont obtenu un : un décret publié le 28 juin autorise les employeurs du BTP à arrêter les chantiers lorsque Météo France émet une alerte de vigilance canicule orange ou rouge, en continuant de rémunérer leurs salariés à 75 %. Mais, contrairement à un chantier, une récolte, elle, n’attend pas.