Vue sur le vignoble champenois sur les hauteurs d’Hautvillers et de Cumières. © Barmalini/Shutterstock
✍️ Par l’Intersyndicat CGT du champagne
📅 Publié le 10 mars 2025
⏱ Temps de lecture 7 mn
La filière Champagne est-elle en train de suivre le même chemin que les vins de Bordeaux, victime d’une perte de réputation et d’une chute des ventes ? Entre hausse des prix, standardisation du produit et crise sociale, le secteur champenois est menacé. Cet article s’appuie sur l’analyse de Jean-Marie Cardebat, professeur d’économie, publié le 9 mars 2025 sur le site The Conversation.
La CGT Champagne tire la sonnette d’alarme depuis plusieurs années face à ces dérives économiques et sociales. Découvrez les raisons de cette situation inquiétante et les solutions possibles pour enrayer cette spirale négative.
Depuis quelque temps, les signes d’un possible « Champagne Bashing » se multiplient, rappelant tristement le « Bordeaux Bashing » qui avait durement frappé les vins bordelais dans les années 2010. L’article récemment publié, que vous pourrez télécharger au bas de cette page, expose plusieurs facteurs inquiétants qui menacent la réputation et l’avenir du Champagne, et nous partageons pleinement ces préoccupations.
Une montée des critiques qui inquiète
La filière Champagne connaît depuis deux ans une baisse marquée des ventes avec des chiffres alarmants :
- 325 millions de bouteilles expédiées en 2022 pour 6,3 milliards de chiffre d’affaires.
- 299 millions en 2023, pour 6,4 milliards de chiffre d’affaires.
- 271 millions en 2024 pour 5,8 milliards de chiffre d’affaires.
Cette chute des ventes s’accompagne d’un désamour croissant de la part des consommateurs et distributeurs, en particulier aux États-Unis, où certaines marques emblématiques comme Veuve Clicquot sont déjà délaissées dans certains établissements prestigieux.
Des causes multiples à cette situation
Cette situation préoccupante découle de plusieurs facteurs :
- Une hausse des prix brutale et mal comprise
Les prix du Champagne ont augmenté d’environ 40 % depuis 2022, bien au-delà de l’inflation et sans justification évidente en termes de qualité perçue. Cet écart tarifaire renforce la perception d’un produit surfacturé, surtout face à des alternatives concurrentielles comme le Crémant, le Cava ou le Prosecco, qui séduisent de plus en plus les consommateurs. Ces vins effervescents offrent une alternative perçue comme plus accessible et parfois même plus qualitative en raison de leur caractère artisanal, alors que l’image du Champagne est associée à une production de plus en plus standardisée.
- Une standardisation croissante et inquiétante
L’expansion des grandes maisons de Champagne (négociants) a entraîné une industrialisation des processus de production, reléguant les vignerons manipulant à un rôle plus marginal (moins de 18 % de la production aujourd’hui contre 25 % en 2000). Cette uniformisation du produit nuit gravement à son image de produit haut de gamme, luxueux et artisanal.
La montée en puissance des grandes maisons privilégie des méthodes de production standardisées qui gomment la diversité et l’identité propre au terroir champenois, misant beaucoup sur le marketing pour survendre ce produit. Or, les consommateurs sont de plus en plus sensibles à l’authenticité et recherchent des vins dotés d’une identité forte. En conséquence, des alternatives comme le Crémant, le Cava ou le Prosecco profitent de cette évolution pour séduire les amateurs de vins effervescents.
- Des pratiques agricoles préoccupantes
L’article évoque les dérives du secteur, mais il faut aussi alerter sur une tendance particulièrement inquiétante : la réduction des coûts d’exploitation dans les vignobles.
Ces économies se traduisent par :
- Le recours croissant à de la main-d’œuvre non qualifiée, issue de prestataires aux méthodes standardisées.
- Une accélération des cadences, favorisant le rendement au détriment de la qualité.
- Les vendanges 2023, tristement qualifiées de « vendanges de la honte », qui symbolisent cette détérioration des conditions de travail et de la qualité.
- Une croissance inquiétante du recours aux sociétés de prestataires de services pour tous les travaux viticoles. Cette pratique, visant à réduire les coûts de production, met en péril la qualité du travail dans les vignes.
- Problèmes sociaux et environnementaux
La région Champagne, surtout côté viticole, souffre d’une crise sociale marquée par des conditions de travail précaires et un partage inéquitable des richesses. Ces tensions ont éclaté lors de la canicule de 2023, où plusieurs vendangeurs ont perdu la vie, démontrant la dégradation des conditions de travail dans les vignes.
Le secteur viticole est désormais classé comme un métier en tension en raison du manque d’attractivité du métier d’ouvrier vigneron, caractérisé par de petits salaires et des conditions de travail très pénibles. Cette situation aggrave les difficultés de recrutement et renforce le recours aux prestataires de services, accentuant encore les problèmes sociaux et économiques du secteur.
Sur le plan environnemental, la filière accuse un sérieux retard en matière de transition biologique, et la bouteille de champagne, responsable de près de 30 % du bilan carbone du vignoble, nuit également à l’image du secteur à l’international.
La CGT Champagne, lanceur d’alerte depuis plusieurs années
La CGT Champagne alerte depuis plusieurs années sur ces dérives inquiétantes. Elle dénonce une gestion du secteur dominée par des financiers qui ne jurent que par la réduction des coûts de production ou d’exploitation, au prix d’une « smicardisation » des salaires et d’une standardisation du Champagne, éloignant le produit de son image artisanale et haut de gamme. Cette politique s’accompagne également de la mise en place de vignes semi-larges, une méthode destinée à diminuer les coûts d’exploitation et de main-d’œuvre, mais qui risque de compromettre la qualité du produit et d’accentuer encore davantage la standardisation du Champagne.
Agir avant qu’il ne soit trop tard
La filière Champagne ne doit pas ignorer ces signaux alarmants. Il est urgent de :
- Réduire les excès tarifaires injustifiés,
- Retrouver une production plus authentique et qualitative,
- Améliorer les conditions de travail dans les vignobles,
- Accélérer la transition écologique pour réduire l’empreinte carbone du secteur.
Sans une réaction rapide et adaptée, le risque d’un Champagne Bashing incontrôlable devient de plus en plus plausible. Il est encore temps d’agir pour préserver l’image et la réputation du produit phare de notre région.
Pour en savoir plus, retrouvez l’article complet sur The Conversation : theconversation.com/vers-un-champagne-bashing
Voir également une vidéo pour mieux comprendre l’histoire du Champagne :
Pour mieux comprendre les origines et l’évolution de ce produit emblématique, nous vous invitons à découvrir la vidéo « L’histoire en bulles : comment est né le Champagne », qui revient sur les racines historiques et les traditions qui ont forgé l’identité unique du Champagne.